Entretien avec Brigitte GOTHIERE

Brigitte Gothière est co-fondatrice de l'association activiste de défense des animaux L214. Anciennement professeur, elle a cofondé l'association après avoir visité une exploitation d'élevage et y avoir découvert les pratiques barbares qui y étaient perpétrées. Elle s'y consacre aujourd'hui à plein temps et a abandonné son travail d'enseignante. Elle écrit également régulièrement des articles dans les cahiers antispécistes. 


Quelle est votre position dans cette controverse ?

L'objectif des cahiers antispécistes se trouve dans la réflexion autour de la question animale, de leurs droits, ainsi que du rapport que nous avons, nous êtres humains, avec les animaux. Nous nous appuyons surtout sur des textes philosophiques d'origine anglo-saxonne. Et cela tout simplement car il n'y a que peu de textes qui traitent de ces sujets en français, puisque le sujet n'est pas encore très à la mode en France.
Pour résumer, la fonction des cahiers antispécistes est de mettre la littérature existante sur ce sujet à disposition de tout le monde, et de montrer les différents points de vue, les différentes philosophies soutenues à travers le monde.

 

Quelles sont les différents courants anglo-saxons ?

Il existe 3 grands courants dans le monde anglo-saxon :

  • la théorie des droits, dont la figure de proue est Tom Regan.
  • l'abolitionnisme, qui s'oppose à la notion de propriété des animaux, et qui les reconnaît comme êtres sensibles (Gary Francione);
  • l'utilitarisme (Gary Singer).
 

Et dans quel courant vous inscrivez-vous au sein de l'association L214 ?

Nous nous inscrivons plutôt dans le mouvement abolitionniste car nous nous opposons contre toute forme d'exploitation des animaux, du fait de leur nature d'êtres sensibles. Ils désirent avoir une bonne vie, ils ont des sentiments, ils ressentent la douleur, ... Ainsi, nous refusons le fait qu'un animal puisse avoir un propriétaire. Nous voudrions donc la création d'un nouveau statut juridique pour l'animal (certains états ont déjà mis une telle mesure en vigueur, preuve que c'est possible) puisqu'actuellement, la situation juridique est insatisfaisante. En effet, le code civil décrit l'animal comme un bien meuble alors que l'article L214 du code rural le décrit comme un être sensible.
Afin de faire bouger la situation, nous menons des actions dans des fermes et des exploitations d'élevage où nous filmons la situation des animaux, puisque 99% des animaux "maltraités" sont les animaux d'élevage, contre 1% pour les corridas, les expérimentations, etc...
Aujourd'hui, 80% des Français voudraient que les poules pondeuses ne vivent pas dans des cages, ce qui est le cas pour la plupart d'entre elles, pourtant la majorité des Français consomment ces œufs. La situation est donc paradoxale, mais si la démocratie suivait l'avis de la population, l'élevage intensif devrait disparaître. Cependant, moins d'élevage intensif entraîne une baisse de la production des produits issus de l'exploitation animale, et donc moins de profits pour l'industrie agroalimentaire qui fait donc peser son énorme poids dans la balance politique pour empêcher les mesures d'être prises. On peut par exemple constater l'existence du Comité Noé, qui est une association composée de tous les "utilisateurs" des animaux (éleveurs, chasseurs, ...) et qui s'opposent à la création d'un nouveau statut pour l'animal qui mettrait en péril l'utilisation qu'ils en font. Ainsi, malgré tous les inconvénients de l'élevage, il continue. Et il y en a beaucoup :
  • problème éthique évident;
  • problème environnemental puisque les animaux d'élevages sont responsables d'une partie non négligeable des émetteurs de gaz à effets de serre;
  • problème au niveau de la santé. En effet, les quantités astronomiques d'antibiotiques donnés aux animaux entraînent l'anti-biorésistance des bactéries qui pourront ensuite être transmises à l'homme;
  • problème de partage des ressources puisqu'ils consomment plus qu'ils ne produisent (il faut 7 kg de céréales pour produire 1 kg de viande).
 

De ce point de vue, il semblerait que l'être humain ne soit jamais enclin à laisser tomber l'élevage des animaux. Quel avenir donc pour la défense de leurs droits ?

Même si cela ne se voit pas trop dans la situation globale, les mentalités commencent à changer. Les éleveurs ne peuvent plus nier l'existence d'une sensibilité animale. Ce qui fait que le débat commence petit à petit à faire son apparition sur la scène politique, dans les médias, ... Les scandales alimentaires qui se font de plus en plus nombreux, comme le scandale Findus, font évoluer les mentalités. En effet, le cheval est plutôt un animal de compagnie qu'un animal consommé (les boucheries chevalines ont presque disparues en France). Le nombre d'articles publiés sur la question aux USA explose depuis quelques années, les médias écoutent de plus en plus ce que des associations comme nous avons à dire.

Cependant, même si on n'a jamais autant parlé de ce problème, la situation n'a jamais été pire. En effet, un projet d'une exploitation de 1000 vaches élevées en intérieur est en cours de mise en œuvre, c'est du jamais vu !!

Comment expliquer ce paradoxe ?

En France, l'industrie agroalimentaire est très puissante, et notamment le lobby de la viande (la France est le premier producteur de bovin). Ainsi, pour le foie gras par exemple, la France est en infraction par rapport aux textes de la commission européenne, mais le gouvernement soutien les producteurs de foie gras. Soi-disant qu'il s'agirait d'une tradition ancestrale alors qu'il y a 100 ans, il n'y avait pas de foie gras en France. Il y a une soi-disant tradition culinaire en France, où l'on mangerait mieux qu'ailleurs, alors que 75% du foie gras est consommé par des Français, et la Californie a même interdit sa vente.
Il y a également le courant de pensée des welfaristes, qui prônent une "viande heureuse", c'est à dire la viande d'animaux heureux. Mais de tels animaux n'existent pas parmi les animaux d'élevages, ils souffrent toujours (ex : ébecage des poules ou castration des porcs). De plus, comment abattre des animaux de sorte à ce qu'ils soient heureux ? L'étourdissement électrique par exemple n'est pas du tout indolore pour l'animal, qui comprend ce qui lui arrive. On ne peut empêcher le stress d'une mort imminente.
On se représente les animaux plus bêtes qu'ils ne le sont, car sinon nous nous rendons compte que nous sommes horribles.
Par ailleurs, il y a une véritable propagande mise en place par le programme national nutrition santé selon lequel la viande serait nécessaire pour la croissance, or ce n'est pas le cas. On peut retrouver exactement les mêmes nutriments si on ne mange pas du tout de produits de l'exploitation animale, sauf la vitamine B12, dont on peut prendre des comprimés (c'est comme ça que les animaux l'ont maintenant de toute façon). Par exemple, dans les cantines, il y a des produits laitiers pour chaque repas, alors que ce n'est absolument pas nécessaire.

 

Quelles sont précisément les actions de l'association L214 ?

Nous faisons principalement des enquêtes, c'est à dire que nous filmons la réalité de l'élevage pour la montrer à la population, afin qu'ils aient une autre vision que le salon de l'agriculture où on voit des animaux tous beaux et bien traités. Nous essayons également de dénoncer ceux qui ne respectent pas les normes et les règlementations. Nous nous battons également pour faire évoluer certaines règlementations, comme pour le lapin par exemple (il n'en existe aucune, on peut faire ce qu'on veut d'un lapin d'élevage ...). Nous nous consacrons entièrement à notre cause, et même si on se sent petit au milieu de tous les acteurs, même si on n'a pas beaucoup de poids, on essaye d'en faire parler le plus possible, c'est comme ça qu'on arrivera à faire changer la situation.

Quelle serait la société idéale pour l'association L214 ?

Ce serait une société où les humains cohabiteraient avec les animaux au lieu de les exploiter, où nous ne verrions pas les animaux par espèces, mais comme des individus, où nous respecterions leurs besoins. Pas d'expérimentations sur les animaux. Nous ne nous nourririons pas d'animaux. Sans changer fondamentalement notre mode de vie. Tout le monde serait végétalien, ce qui serait facile dans une société adaptée (ce qui n'est absolument pas le cas en France actuellement, alors qu'aux USA il y a des menus spéciaux partout). Je refuse de faire passer mon plaisir gustatif face à la souffrance d'êtres sensibles, d'animaux. Même si mes plats préférés étaient à base de viande, il existe des similis carnés, de la gastronomie haute gamme, des fast-foods végétaliens. Il y a toujours moyen de trouver des plats très bons, c'est juste un autre monde gustatif.