France : Un dialogue national tendu

Le gouvernement communique ses décisions aux agriculteurs par l’intermédiaire de décrets et d’arrêtés, qui définissent tantôt des règles, tantôt des préconisations. L’arrêté [1] édité en 2009 par la préfecture de l’Oise, en donne, dans le cadre de la lutte contre le pollution par les nitrates, un exemple. Y figurent, par exemple, les obligations suivantes : « Obligation d’implanter une bande enherbée ou boisée permanente d’une largeur minimale de 5 m le long des cours d’eau [...]. » « Obligation d’assurer progressivement une couverture de 100 % des sols pendant la période de risque de lessivage des nitrates à échéance de 2012. »  Les différentes situations et les comportements qu’il convient d’adopter y sont décrits de manières précises, comme on peut le voir dans l’extrait suivant : « à l’échelle de l’exploitation, les surfaces ayant effectivement reçu des épandages de boues de papeterie dans le cadre d’un plan d’épandage autorisé par la préfecture, seront exclues de l’assiette du calcul du pourcentage annuel de couverture des sols. Lors du contrôle, l’exploitant devra être en possession des justificatifs désignant les parcelles et surfaces concernées par cet épandage. »

L’Arrêté du 22 novembre 1993 relatif au code des bonnes pratiques agricoles [2], édité en 1993 par le ministre de l’agriculture et de la pêche et le ministre de l’environnement, contient, quant à lui, un code des bonnes pratiques agricoles. Les «recommandations» y sont, par opposition aux «obligations» décrites précédemment, prédominantes, avec des tournures telles que « il convient d’éviter», «dans la mesure du possible et là où c’est nécessaire», et visent à encourager une meilleure utilisation des engrais, pour diminuer la pollution dont ils sont à l’origine. En réalité, ce texte est plus ancien que l’arrêté précédent, et beaucoup de ces recommandations ont été dans ce dernier, modifiées, pour y devenir des obligations, dans le but de remplir les objectifs imposé par l’Union Européenne. On peut citer notamment, la mesure qui consiste à mettre en place une bande enherbée autour des cours d’eau qui se situent à proximité des zones d’épandage.

Afin que que ces mesures soient acceptées et adoptées par les agriculteurs, ceux-ci doivent pouvoir également exprimer leur point de vue auprès du gouvernement et de manière plus générale, de ceux qui prennent les décisions les concernant, afin que celles-ci correspondent, autant que possible, à la réalité de leur métier et de ses contraintes. Cela se fait par l’intermédiaire de syndicats d’agriculteurs, dont les deux plus connus sont la FNSEA et la Confédération Paysanne. Au sujet des nitrates agricoles, diverses associations, environnementales en particulier, comme la FNE, ou Eau et Rivières de Bretagne, sont les représentantes d’un point de vue partagé par de nombreuses personnes. La communication entre ces syndicats ou associations, et les pouvoirs publics a lieu en différentes places, notamment au Cese (le Conseil Economique Social et Environnemental), qui se définit lui même comme « une assemblée constitutionnelle consultative » qui « par la représentation des principales activités économiques, sociales et environnementales, favorise la collaboration des différentes catégories socio professionnelles entre elles et assure leur participation à la définition et l’évaluation des politiques », ou encore au sein d’associations comme le Farre, le Forum des Agriculteurs Responsables Respectueux de l’Environnement, une association comptant plus de 1000 membres, qui regroupe en réalité, aussi bien des agriculteurs que des industriels de l’agroalimentaire, des syndicalistes agricoles, des commerciaux, des représentants des chambres de l’agriculture, l’objectif de cette association étant bien la communication entre ces différentes professions. Enfin lors de réunions de concertations, des associations comme la FNE et des syndicats, ainsi que des représentants des pouvoirs publics discutent de la mise en place de nouvelles mesures, exprimant chacun leur propre opinion quant à ces mesures. Les agriculteurs, et les écologistes, peuvents ainsi influer, de manière directe ou indirecte sur les prises de décisions.

Les discussions s’avèrent parfois houleuses, les différents intervenants pouvant avoir des points de vue radicalement opposés. Pour la FNE, par exemple, les solutions proposées par le gouvernements pour tenter de lutter contre la pollution par les nitrates consistent simplement à intervenir sur les conséquences, les symptômes, d’un modèle agricole contestable, en imposant par exemple d’ajouter un produit dans les lisiers pour les rendre moins nocifs, au lieu de tenter de résoudre le problème à sa source, en modifiant le modèle agricole actuel en profondeur. Par ailleurs, en 2011, la FNE avait lancé une campagne d’affichage dite « choc » par la fédération elle-même [3] dans le but de dénoncer l’utilisation intensive de pesticides, le développement des OGM et des marées vertes. Elle avait alors été accusée de vouloir « rompre le dialogue », dixit M. Pépin, membre de la FNE, par les autres associations ou syndicats et notamment la FNSEA. Pour abaisser les tensions, avait en conséquence été organisée une journée appelée « de la crispation à la médiation », dont le but était d’acter les points d’accord et de désaccord et de voir les possiblités d’évolution quand à ces problématiques.

Les pouvoirs publics peuvent aussi agir, dans la lutte contre la pollution agricole, auprès des industriels producteurs d’engrais. Ainsi, le 10 octobre 2013, l’Assemblée Nationale a adopté un amendement qui serait à l’origine d’une augmentation du taux de TVA sur les engrais, qui passerait alors de 7% à 20%. La TVA étant remboursée aux agriculteurs, c’est bien l’industrie qui serait directement touchée par cette augmentation, qui représenterait au total 400 millions d’euros. Dans l’amendement il est dit que les engrais « peuvent être à l’origine de dommages environnementaux. Or au titre de l’article L 225-2 du code rural, les engrais sont autorisés après avoir apporté la preuve de leur « innocuité à l’égard de l’homme, des animaux ou de leur environnement » » [4]. Une justification contestée par les industriels. L’Unifa, association regroupant les producteurs d’engrais, et Farre, ont, en réaction, organisé un colloque le 22 octobre 2013, sur le thème « Fertilisation azotée : comment concilier performance et durabilité ? ». Etaient notamment présents, d’après un articles “Le ras-le-bol fiscal des industriels” [5], un député PS, un membre de MNLE (le Mouvement National de Lutte pour l’environnement), un docteur nutritionniste, le président de l’Unifa, Thierry Loyer, et Hervé Lejeune, du Conseil Général de l’Alimentation, de l’Agriculture et des Espaces Ruraux. De manière générale, ces assemblées permettent aux différentes professions concernées de se rencontrer et d’échanger leurs points de vues. On peut se demander dans quelle mesure ces réunions influencent les décisions prises par les pouvoir publics. Toutefois, l’industrie agroalimentaire constitue un secteur dynamique, qui génère des sommes d’argent élevées. En conséquence, et bien qu’il soit difficile d’en évaluer la portée, son influence sur les prises de décisions est vraisemblable.





[1] Arrêté préfectoral relatif au 4ème programme d’action à mettre en œuvre en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d’origine agricole, signé le 30/06/2009
Disponible sur http://www.chambres-agriculture-picardie.fr/fileadmin/documents/Environnement/Directive_nitrates/ZV_arrete_oise.pdf

[2] Arrêté du 22 novembre 1993 relatif au code des bonnes pratiques agricoles
Disponible sur http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000362190

[3] FNE, « La campagne »
Disponible sur http://www.fne.asso.fr/fr/nos-dossiers/Agriculture/campagne-2011/la-campagne.html

[4] « L’Unifa remontée contre le PLF 2014″,  publié le 20/10/2013
Disponible sur www.industrie.com/chimie/l-unifa-remontee-contre-le-plf-2014,48229

[5] « Le ras-le-bol fiscal des industriels », publié le 23/102013
Disponible sur http://www.agrodistribution.fr/actualites-coops-negoces-agricoles/engrais-le-ras-le-bol-fiscal-des-industriels-79127.html#.U2OdoPl_u0x