L’adaptation d’un texte européen

schema-contro-version3

Comment appliquer la directive « nitrates » à l’échelle de la France ?

La directive « nitrates » est actuellement mise en application en France par le 5ème programme d’action. Celui-ci comprend un volet national, qui comprend des mesures minimales obligatoires, et un volet régional, qui peut choisir de renforcer certaines mesures nationales, et qui doit fixer certaines normes régionales. Le volet national est en vigueur depuis 2013, et le volet régional devrait entrer en vigueur au printemps 2014. Les mesures du programme national s’appliquent uniquement aux zones vulnérables. Le programme d’action national comprend huit mesures [1] qui concernent :
1) Les périodes minimales d’interdiction d’épandage de fertilisants
2) Les capacités de stockage des effluents d’élevage
3) La limitation de l’épandage des fertilisants azotés
4) Les plans prévisionnels de fumure et cahiers d’épandage
5) La limitation à 170 kg/ha/an maximum de la quantité d’azote issue des effluents d’élevage épandue sur chaque exploitation
6) Les conditions d’épandage à proximité des cours d’eau, sur les sols en forte pente, détrempés, inondés, gelés ou enneigés
7) La couverture végétale des sols destinée à absorber l’azote du sol en période d’inter-culture, notamment les CIPAN
8) L’obligation d’avoir une bande enherbée d’au minimum 5 mètres au bord de plans d’eau de plus de 10 ha

Les six premières mesures sont imposées par l’annexe III de la directive « nitrates », et les deux dernières sont issues du Grenelle de l’environnement, et ne sont pas pas directement exigées par la directive. Les programmes d’action régionaux peuvent renforcer les mesures 1), 3), 7) et 8) du programme national, ou ajouter d’autres mesures complémentaires jugées nécessaires. Ils décrivent également les modalités de la création du GREN. Ce dernier doit fixer certaines normes régionales, en fonction de chaque culture. Ces règles servent à calculer l’azote issu des effluents d’élevage épandu, notamment pour veiller au respect du plafond des 170 kg/ha/an. Ces règles servent ensuite pour la mesure 3), pour avoir un équilibre de la fertilisation azotée : l’azote apporté par la fertilisation est calculé avec ces normes régionales, et l’agriculture peut donc théoriquement faire en sorte d’optimiser l’utilisation de l’azote en en mettant tout juste la quantité nécessaire à la plante. De plus, le plan d’action national s’appuie sur le Code des bonnes pratiques agricoles, qui date de novembre 1993 [2]et qui n’a pas été modifié depuis. Il s’agit d’un document qui répertorie des conseils de bonnes pratiques agricoles pour les agriculteurs, mais qui ne fait pas office de loi. Ce code est exigé par l’article 3 de la directive « nitrates ». Cependant, le fait qu’il n’ait pas évolué depuis 1993 – alors que les programmes d’action évoluent tous les quatre ans – montre bien qu’il n’est pas un élément essentiel du dispositif français contre les nitrates. En effet, ce code est principalement basé sur la bonne volonté des agriculteurs, qui rechignent déjà à appliquer les lois : la France se concentre donc principalement sur celles-ci.

L’Europe incohérente ?

Presque toutes les mesures chiffrées sont donc décidées par les états : seuls les seuils des 50 mg/L de nitrates dans l’eau (pour déterminer les zones vulnérables) et des 170 kg/ha/an d’azote issue des effluents d’élevage sont explicitement exigés par la directive « nitrates ». Celle-ci impose d’autres mesures, mais aucun socle minimal : elle en appelle donc à la bonne volonté et au jugement des états par rapport à leurs situations particulières. Au vu de son programme d’action national, la France semble être plutôt de bonne volonté puisqu’elle a rajouté aux mesures obligatoires les mesures 7) et 8), non exigées par la directive. Cependant, le contentieux actuel avec la Cour de Justice de la Communauté Européenne [3] montre que cette bonne volonté est une façade, puisque les seuils chiffrés déterminent en grande partie la sévérité du plan d’action. Par exemple, parmi les griefs actuels retenus contre la France figurent :

  • les périodes d’interdiction d’épandage sont trop faibles
  •   les capacités de stockage d’effluents d’élevage minimales sont insuffisantes
  • les normes d’azote épandable issu des animaux sont sous-évaluées

Ces griefs concernent tous des seuils chiffrés pas assez élevés et non la philosophie des mesures en elle-même. La stratégie de l’Europe, qui laisse beaucoup de latitude aux états signataires mais ensuite se montre plutôt sévère dans ses évaluations (beaucoup d’autre pays européens sont, comme la France, actuellement en contentieux avec l’Europe : la Pologne, la Grèce, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Estonie, la Slovaquie et la Bulgarie [3]) peut sembler assez injuste. Cependant, le problème des nitrates n’est pas de même envergure dans tous les pays européens, et ceux qui ont peu de soucis pourraient se sentir lésés si la directive imposait beaucoup de seuils drastiques. La situation est donc plutôt complexe, en particulier pour les états. En effet, le flou de la directive « nitrates » permet par exemple à la profession agricole d’avoir plus de poids, car les états ne peuvent pas se réfugier derrière la directive pour faire passer des mesures strictes. Se réfugier derrière la perspective d’une condamnation est nettement moins efficace, selon Philippe Jannot : « La profession agricole râle, parce qu’elle fait semblant de considérer que cette menace, c’est une menace qu’on brandit pour les embêter, mais qu’on ne risque rien ». Pourtant, si la France venait à être condamnée, ce qui est tout à fait possible dans quelques années selon Philippe Jannot, elle s’expose à une amende de l’ordre de dizaines de millions d’euros. Les pressions sont donc très fortes sur la France, prise en étau entre l’Europe qui menace de la sanctionner et la profession agricole.

Références


[1] Arrêté du 23 octobre 2013 modifiant l’arrêté du 19 décembre 2011 relatif au programme d’actions national à mettre en œuvre dans les zones vulnérables afin de réduire la pollution des eaux par les nitrates d’origine agricole. Lien internet : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000028138654&dateTexte=&categorieLien=id#JORFARTI000028138690

[2] Arrêté du 22/11/93 relatif au Code des bonnes pratiques agricoles. Lien internet : http://www.ineris.fr/aida/consultation_document/5841

[3] « La directive nitrates pour protéger l’eau des nitrates agricoles », présentation pour FNE de Emma Dousset et Philippe Jannot, 11 avril 2014