Concurrence

L’analyse du lien entre situation de marché et pratique de l’obsolescence est essentiellement due aux travaux de Jeremy Bulow parus en 1985 et intitulé ‘An economic theory of Planned obsolescence », repris et étayés par la suite par de nombreux autres économistes, notamment Paul Grout.

La théorie de Jeremy Bulow est la suivante : si une entreprise n’est pas en situation de monopole, alors elle n’a aucun intérêt à recourir à l’obsolescence programmée.  Pourquoi ?

Si une entreprise est en situation de monopole et qu’elle fabrique des produits durables, elle finit par se trouver en concurrence avec sa propre production. Dans un tel cas, elle aurait eu davantage intérêt à louer sa production plutôt qu’à la vendre, ce qui est, en terme d’application plutôt délicat.                                                                                                                                         C’est cette logique qui amène J. Bulow à affirmer l’utilité du recours à l’obsolescence : plus facile à mettre en place qu’une location de ses produits, que les consommateurs ne sont de toute manière pas nécessairement prêts à accepter,  jouer sur la durée de vie permet d’éviter de se retrouver en concurrence avec soi-même et par là aussi de lutter contre une baisse des prix et donc des profits des entreprises (dans la mesure où l’équipement des consommateurs entrainerait une baisse de la demande résiduelle).

Mais dès lors que l’entrée de nouvelles entreprises menacera la pérennité du monopole, l’entreprise, ou les entreprises en situation d’oligopole, auront naturellement tendance à augmenter la durée de vie de leurs produits afin de faire face aux nouveaux entrants en proposants des produits d’une qualité supérieure. Si par ailleurs, les entreprises se trouvent en situation d’oligopole, Jeremy Bulow souligne une tendance à l’entente qui ira dans le sens de l’obsolescence en cas de stabilité du marché mais qui ira vers une hausse de la durée de vie dès le moment où une menace se fera sentir.

Ainsi, en s’en tenant uniquement à cette théorie, elle-même inspirée de celle de Ronald Coase exposée dans son papier de 1972 « Durable Goods Monopolists » paru dans Journal of Law and Economics, Jeremy Bulow montre le côté irrationnel à pratiquer l’obsolescence dans d’autres situations qu’une situation de monopole pour la raison principale que c’est bien souvent la qualité et le type des services proposés qui permettent de faire la différence entre deux produits. En situation de concurrence pure et parfaite, le consommateur fera son choix entre deux produits d’une même gamme selon son rapport qualité/prix, il est donc primordial pour le producteur de proposer à ses clients des produits à la durée de vie maximale. Or à l’heure actuelle, les situations de monopole sont sur le marché très rares.

Pourtant en 2005, Paul Grout pose une critique à cette théorie et affirme la possibilité d’envisager en concurrence, des cas d’obsolescence programmée. Pour lui, il s’agit que se trouver dans un cadre d’asymétrie d’informations, où le consommateur ne sachant pas par avance lequel des produits en vente sur le marché est de meilleur qualité ou durera le plus longtemps, procéderait à un arbitrage prix, guidés par les conseils du vendeur. Ce sont donc les industriels ayant les prix les plus attractifs et les vendeurs les plus compétents qui vendraient le plus, sans qu’aucun lien avec la qualité du produit ne soit établis. Toutefois, avoir la moins bonne qualité ne signifie pas pour autant pratique volontaire d’obsolescence programmée.

Pour Bernard Heger, délégué général du groupe SIMAVELEC cet argument ne tient pas vraiment, ou du moins n’a des chances que très réduites d’avoir lieu, puisqu’il est aujourd’hui assez facile grâce à internet et aux associations de consommateur de connaitre la qualité et la fiabilité de tel ou tel produit. En ce sens la transparence serait supérieure au moins sur ce point et recourir à l’obsolescence technique signerait la mort de l’entreprise responsable :

« Si, sur un de nos produit, quelqu’un pense qu’il s’est fait avoir, il achètera chez la concurrence. La meilleur défense c’est l’attaque. C’est quelqu’un de chez LG qui me disait « je rêve que Samsung fasse de l’obsolescence programmée », parce que là, il lance les tweeter et tous ces trucs contre Samsung [...] L’obsolescence programmée c’est [...] une arme redoutable, si quelqu’un était pris la main dans le sac, il serait mort. »

En terme de situation de marché, donc, il semblerait que l’entrepreneur n’ait pas intérêt à pratiquer l’obsolescence programmée en d’autres situations qu’une situation de monopole.