L’économie sociale et politique

Frédéric Bastiat

Economiste, homme politique et polémiste libéral français du XIXe siècle, il a écrit Sophismes économiques dans lequel on trouve le chapitre « Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas ».

Il s’oppose dans ce chapitre à l’idée qu’une destruction est favorable à l’activité économique. Il souligne que si effectivement les apparences peuvent le laisser penser (ce que l’on voit), un raisonnement en terme de coût d’opportunité amène à des conclusions toutes autres (ce que l’on ne voit pas).

Il développe le célèbre argument du sophisme de la vitre cassée avec l’exemple de Jacques Bonhomme (dont le fils a cassé une vitre) auquel certains dirent que de tels accidents font aller l’industrie et qu’il faut bien que les vitriers vivent. Or les 6 francs utilisés pour remplacer la vitre profitent certes au vitrier mais non à l’ensemble de l’économie. On aurait pu faire fonctionner, avec cette somme et le boulanger et le teinturier. De plus, cette option n’œuvre pas à la maximisation de l’utilité du consommateur, puisque au lieu de jouir d’une vitre et d’une paire de chaussure, le fils n’a qu’une vitre.

L’argent utilisé pour le remplacement d’objets en état de fonctionner ou qui auraient pu avoir une vie plus longue n’est, par définition, pas utilisé ailleurs.

Selon lui, « la société perd la valeur des objets inutilement détruits » et « destruction n’est pas profit »

Une partie de la théorie de Frédéric Bastiat, qui a recours aux notions économiques de base (coût d’opportunité), peut ainsi être réutilisée (avec cette idée de remplacer un objet encore un état de marche) dans l’étude de l’obsolescence programmée, le coût d’opportunité qu’entraîne une telle pratique.

Bernard London

Juif originaire de Russie, Bernard London est l’auteur d’un livre paru en 1932 aux Etats-Unis, L’obsolescence planifiéePour en finir avec la grande dépression, qui a mis en avant l’expression de planned obsolescence. Dans cet ouvrage il critique le fait d’utiliser un produit jusqu’à ce qu’il soit usé ou qu’il ne fonctionne plus et préconise que les gouvernements obligent les consommateurs à rendre leurs produits avant qu’ils ne soient usés afin de relancer l’économie en pleine crise des années 1930.

En outre, une mise en œuvre systématique et planifiée de l’obsolescence des objets permet ainsi d’utiliser la main d’œuvre inemployée et de mettre fin au chômage de masse de cette époque.

Une réédition française de ce livre a eu lieu en 2003 avec une postface de Serge LatoucheBernard London, ou la planification à des fins sociales.

Vance Packard

Économiste, sociologue et écrivain américain, il cherche à dénoncer dans son livre de 1962, L’art du gaspillage, « un système fortement élaboré : celui du gaspillage dans nos sociétés d’opulence, à commencer par celle des Etats-Unis. ». Vance Packard a étudié le système de consommation américain avec notamment les effets de la publicité.

Les « Waste Makers » (organisateur ou faiseur de gaspillage) sont nécessaires à l’économie américaine autant qu’elle l’est pour eux. Il y a le développement d’une « éthique collective du gaspillage » dans la production surabondante des biens de consommation, qui mènera, à terme, à l’épuisement des ressources naturelles (ndlr : c’est ce que l’on voit aujourd’hui apparaître : la disparition des ressources pétrolières aux USA, pousse les industriels de l’énergie à se rabattre sur le gaz de schistes, devenu plus rentable avec la hausse des cours du pétrole).

Vance Packard imagine une ville du futur caractérisée par l’abondance : Cornucopiacity, où tout serait éphémère, où l’on jetterait à foison les produits encore utilisables, mais où cela ne poserait pas de problème car il y aurait encore énormément de quoi se servir. Des nouvelles valeurs seraient en lien avec cette société d’abondance :

  • l’hédonisme
  • la satisfaction de soi
  • la passivité
  • des comportements voraces, impulsifs, gaspilleurs.

Vance Packard développe 9 stratagèmes pour renforcer cette situation, avec humour, parmi lesquels on retrouve l’obsolescence programmée :

  • fournir aux acheteurs des justifications plausibles et des arguments convaincants pour consommer davantage (le rôle de la pub)
  • renforcer l’esprit de dilapidation (produit utilisable une fois)
  • rechercher l’obsolescence fonctionnelle : on rend un produit obsolescent en en proposant un plus perfectionné (le cas Iphone)
  • l’obsolescence de qualité (diminuer la qualité des produits)
  • obsolescence de désidérabilité (effet de mode, insister sur la nouveauté)
  • développer la confusion des prix
  • développer la vente à crédit par des cartes de crédit distribuées par les banques
  • persuader les américains qu’ils peuvent jouir d’une vie facile et enrichie « sans lever le petit doigt » par le système de prêt-à-porter, prêt à emporter, prêt à servir.
  •  Saisir toutes les occasions de fêtes pour faire acheter davantage.

Mais cette économie prospère a des effets sur la société :

  • désagrégation de la famille
  • jeunesse intéressée que par les loisirs
  • l’égoïsme et le cynisme comme maitre mot des hommes d’affaire.

Quelques solutions :

  • renforcer les ligues de défense des consommateurs
  • instituer des chaines de télévisions sous l’autorité des pouvoirs publics
  • faire preuve d’humilité et d’idéalisme
  • se soucier du cas de notre prochain.

Alexandre Delaigue

Professeur d’économie à l’école militaire de Saint-Cyr, Alexandre Delaigue est le fondateur du site econoclaste avec Stéphane Méni qu’ils animent ensemble publiant depuis 1999 des articles chaque semaine, des notes critiques sur des livres, des émissions, proposant des leçons ou des réponses à des questions économiques…

En mars 2011, suite au documentaire d’Arte « Prêt à jeter », il écrit dans son blog « Le mythe de l’obsolescence programmée », devenant ainsi un acteur atypique sur ce sujet, peu revendiquant en effet aujourd’hui la non-existence de l’obsolescence programmée.

Il propose globalement une vision assez dénonciatrice des habituelles critiques faites contre l’obsolescence programmée (notamment de personnalités de gauche).

L’auteur reprend les arguments avancés dans le documentaire. Le point de vue d’Alexandre Delaigue est très clair, il l’explicite d’ailleurs dans le titre du billet : « Le mythe de l’obsolescence programmée ».

Il critique tout d’abord les biais d’une idéalisation du passé (par exemple la 2CV de Citroën présentée comme une voiture « increvable » mais pourtant peu agréable par rapport aux voitures d’aujourd’hui. Il a recours à son expérience personnelle (comme les mauvais souvenirs de la 2CV de ses parents à laquelle il fallait changer souvent les plaquettes de frein, le pot d’échappement, et qui était tellement attaquée par la corrosion que dès qu’il pleuvait l’eau rentrait dans la voiture).

Il dénonce aussi l’absurdité économique d’une prétendue obsolescence programmée.

D’autre part il met en évidence une certaine incompatibilité des attentes : la durabilité est en effet désirable, mais le faible coût, la faible consommation de ressources, la légèreté, la commodité… aussi ! (comme exemple souvent cité des collants autrefois inusables, mais qui ressemblaient à des bas de contention).

En outre, réparer coûte cher (« réparer est un artisanat qui coûte très cher, parce que dans nos pays développés le travail coûte cher ») et s’il existe des produits durables (Zippo, chaussures Church qui durent toute une vie…) ils sont chers !

Il met aussi en avant le goût pour le changement (notamment vestimentaire) (« nous aimons la variété et la nouveauté »).

Il revient sur le cartel Phoebus et écrit que c’est un « compromis entre diverses qualités, et pas une tentative pour escroquer les consommateurs ».

Alexandre Delaigue est d’ailleurs dans cet article assez véhément envers les autres acteurs qui traitent de ce sujet (appelant Serge Latouche le « grand prêtre du mouvement » de la décroissance).

Serge Latouche

by Niccolò Caranti – Wikimedia Commons

 Professeur émérite d’économie à l’Université Paris XI–Orsay, il est l’un des principaux spécialistes de l’obsolescence programmée en France. Il bénéficie d’une reconnaissance scientifique (en tant qu’économiste et sociologue) et est très présent sur la question de l’obsolescence programmée (émission sur France Culture, conférence au cnam…).

En octobre 2012, il a publié chez Les liens qui libèrent, Bon pour la casse : les déraisons de l’obsolescence programmée.

Ce livre est le résumé de son travail sur ce sujet. Il y mène une analyse historique, culturelle, sociétale et économique de ce phénomène, en essayant de saisir le sujet dans sa totalité en l’abordant sous plusieurs angles ce qui permet de saisir la multiplicité des problèmes soulevés par l’obsolescence et de comprendre ce phénomène.

Serge Latouche commence d’abord par tenter de définir l’obsolescence programmée puis analyse son origine. Il établit ensuite le domaine de l’obsolescence programmée avec la première apparition du jetable, le modèle de Détroit, l’obsolescence progressive et l’obsolescence alimentaire. Il s’intéresse aussi à l’aspect moral de l’obsolescence (son rôle social, l’éthique) et à ses limites.

Selon lui3 formes d’obsolescence existent :

  • technique,
  • psychologique,
  • programmée (ou planifiée).

Il définit l’obsolescence programmée comme étant une usure ou une défectuosité artificielle ; le produit est conçu par le fabricant pour avoir une durée de vie limitée (et ce grâce à l’introduction d’un dispositif ad hoc) de manière à en stimuler la consommation renouvelée. Tous les moyens étant bons pour accélérer la consommation, toutes les formes d’obsolescence sont programmées et peuvent donc entrer dans la case « obsolescence programmée » (ou planifiée) au sens large.

Cependant, passer de l’obsolescence programmée théorique à son application pratique n’est pas si simple en raison de la compétition entre fabricants. Il faut donc se trouver en situation de monopole ou créer des formes monopolistiques comme le cartel. (exemple avec Apple ou cartel Phœbus).

L’idéal pour les entreprises est de n’avoir pas besoin d’introduire une pièce défaillante dans le produit, ce qui est rendu possible grâce à la publicité. (« Grâce à une politique de marque, de design et de publicité, l’industrie automobile faisait la démonstration qu’on pouvait obtenir le même résultat qu’avec l’introduction d’une défaillance technique. » )

L’obsolescence symbolique apparaît alors comme le stade suprême de l’obsolescence programmée. La transformation des mentalités a permis l’obsolescence programmée et les « commerciaux » et la transformation progressive des ingénieurs en designers ont joué un rôle croissant.

Serge Latouche relève plusieurs étapes :

- Le jetable comme première forme d’obsolescence programmée : cols en papier pour les hommes, préservatifs, kleenex…

- Le modèle de Détroit : General Motors, lancer un nouveau modèle tous les ans… politique de marque, de design et de publicité.

- L’obsolescence progressive : acheter pour être dans le coup ou à la mode. Sophistications apportées aux appareils ménagers font partie de la stratégie (pannes partiellement dues à la prolifération d’accessoires qui bloquent totalement le fonctionnement de la machine lorsqu’ils se détraquent. La défaillance d’un accessoire est l’occasion de susciter un nouvel achat.

- Quatrième étape : une deuxième vague du jetable. Pour généraliser le jetable il fallait l’abandon des habitudes d’épargne des consommateurs et un abaissement significatif de la valeur des produits.

Serge Latouche écrit alors que « finalement, l’idéologie du jetable s’insinue partout comme un poison. » et que « Le stade ultime n’est autre que l’obsolescence de l’homme lui-même. ».

Son ouvrage tisse d’ailleurs des parallèles nombreux avec son domaine de prédilection : la décroissance.