LÉGALITÉ

Illégalité des algorithmes

    En avril 2015, alors que les algorithmes d’allocation sont utilisés depuis moins d’une dizaine d’années pour répartir les élèves dans les différents établissements du territoire national, une association étudiante - Droits des lycéens - demande au ministère de l'Education nationale la publication du code source de l’algorithme APB. Mais, en mai 2016, le ministère oppose un refus à l’association. Les lois qui régissent l’algorithme demeurent assez floues. Un mois plus tard, le Tribunal Administratif de Bordeaux juge illégal le tirage au sort à l’entrée à l’université. Le nombre de recours administratifs contre les affectations faites par l’algorithme s'accroît. La légalité de celui-ci apparaît depuis lors comme un point clivant et un des noeuds principaux de la controverse. La problématique juridique s’est autonomisée des autres, elle devient une sphère à part entière dans le traitement de la controverse.

La genèse du débat : l’arrêt du Tribunal administratif de Bordeaux

        L’arrêt qui juge illégal le tirage au sort à l’entrée à l’université a été rendu par le Tribunal Administratif de Bordeaux en 2016. Si l’on constate dès cette même année pas moins de six arrêts de tribunaux administratifs, qui concernent tous des insatisfactions en lien avec le fonctionnement d’APB, un arrêt se distingue des autres en ce sens qu’il expose un principe important. Le tribunal administratif de Bordeaux[1] déclare explicitement illégal le tirage au sort à l’entrée à l’université en filières sous tension et non sélectives (STAPS en l’espèce). La demande en annulation de l’étudiant du refus de son inscription en première année de Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS) après tirage au sort est accueillie favorablement. Le juge administratif  a en effet estimé que “l'absence de réglementation permettant de fonder la procédure de tirage au sort est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision en litige”. Le refus d’inscription d’un étudiant écarté par tirage au sort à l’entrée en STAPS est ainsi jugé comme une “erreur de droit”. Cet arrêt ouvre la voie à de nombreux recours pour les étudiants pour lesquels on a refusé l'entrée en licence sous tension suite à un tirage au sort. Maître Merlet-Bonnan, avocat au Barreau de Bordeaux, constatait cette inflation de recours en justice contre des décisions usant du tirage au sort dans une interview donnée au Figaro Étudiant il y a moins d’un an[2].

Les fondements juridiques de l’illégalité des algorithmes

Des avocats, à l’instar de Mes Jean Merlet-Bonnan - avocat de l’association Droit des Lycéens - et Camille Valdes se sont alors emparés de la controverse. Experts du droit, ils se sont attachés à souligner l’illégalité de tels algorithmes en étoffant leur démonstration avec des éléments juridiques.

Dans leur article[3] publié dans Village de la Justice, ils mettent en exergue que la procédure APB est illégale à trois niveaux :

  • Les critères du tirage au sort sont opaques
  • Les critères de sélection sont contraires à l’article L. 612-3 du Code de l’Éducation
  • Le tirage au sort est illégal si le principe d’égalité n’est pas respecté

Les critères du tirage au sort sont opaques

Lorsqu’un candidat demande une filière sous-tension (c'est-à-dire qu’elle reçoit plus de candidatures qu’elle n’offre de places[4]) une pastille jaune[5] lui rappelle que l’algorithme peut procéder à un tirage au sort pour que le nombre d’étudiants n’excède pas la capacité d’accueil de l’établissement. Néanmoins, si les étudiants savent qu’un tirage au sort peut être effectué, ils n’ont pas connaissance des modalités de la procédure et des formules algorithmiques qui organisent ce tirage au sort. Les seules indications que donne le guide officiel du candidat 2017 (Bacs Français) sont les suivantes :

Si vous postulez sur une formation de licence non sélective dont les capacités d’accueil sont insuffisantes pour satisfaire toutes les candidatures, un traitement automatisé critérisé est mis en place pour départager l’ensemble des candidats et déterminer ceux qui bénéficient d’une proposition d’admission. L’algorithme tient compte de l’académie du candidat, de l’ordre de ses vœux et de sa situation de famille et si nécessaire d’un tirage au sort.”. APB, Guide Officiel du candidat 2017 

Mes Merlet-Bonnan et Valdes soulignent alors que les critères d’affectation restent assez flous. Par exemple, que signifie la situation familiale ?

Au contraire, dans une note de bas de page de son rapport [6] Analyse de l’orientation et des poursuites d’études des lycéens à partir de la procédure admission, l’Inspection générale de l’éducation nationale (IGEN) donnait des critères de sélection qui sont pourtant ignorés par la quasi totalité des élèves et des parents.

Elle expliquait alors que :

  • “-  sont d’abord classés les candidats ayant sollicité au moins six vœux de L1 [Licence 1] ; un premier groupe G1 est ainsi constitué ;
  • -  puis ceux ayant classé cette L1 en premier vœu de la formation concernée (premier vœu relatif à cette formation par rapport à l’ensemble des vœux formulés par le candidat) ; ils constituent alors un groupe G2 (inclus dans G1) ;
  • -  puis les candidats ayant sollicité cette L1 en vœu 1 absolu (première position par rapport à l’ensemble des vœux formulés par le candidat) ; ils forment alors un groupe G3 (inclus dans G2) ;
  • -  si la capacité d’accueil n’est pas suffisante pour accueillir tous les étudiants, le choix se fait par tirage au sort d’abord au sein de G3, puis éventuellement en faisant appel à G2 puis G1”

 

Mes Valdes et Merlet-Bonnan remarquent que les critères énoncés dans le guide et ceux présentés par l'IGEN ne correspondent pas. Si dans la pratique ce tirage dit “aléatoire” est régi par diverses règles, il n’existe pourtant pas de texte législatif ou réglementaire précisant ses modalités et encadrant juridiquement le tirage au sort à l’université. On ne peut donc pas juger de la légalité de ces critères, qui sont utilisés mais non codifiés.

Numéros lors du tirage au loto. Source : site du Tribunal Administratif de Bordeaux. Disponible sur http://bordeaux.tribunal-administratif.fr/A-savoir/Communiques/Le-tirage-au-sort-pour-l-admission-post-bac-a-l-universite-est-illegal. [Consulté le 30/05/2017]

  

Les critères de sélection sont contraires à l’Article L. 612-3 du Code de l’Éducation

L’article L.612-3 du Code dispose que :

 “Tout candidat est libre de s’inscrire dans l’établissement de son choix, sous réserve d’avoir, au préalable, sollicité une préinscription lui permettant de bénéficier du dispositif d’information et d’orientation dudit établissement, qui doit être établi en concertation avec les lycées. [...]. Lorsque l'effectif des candidatures excède les capacités d'accueil d'un établissement, constatées par l'autorité administrative, les inscriptions sont prononcées, après avis du président de cet établissement, par le recteur chancelier, selon la réglementation établie par le ministre chargé de l'enseignement supérieur, en fonction du domicile, de la situation de famille du candidat et des préférences exprimées par celui-ci.

Selon le Code de l'Education, trois critères clairement identifiés : 

  • le domicile,
  • la situation familiale du candidat
  • les préférences du candidat

permettent de procéder à une sélection et apparaissent comme des exceptions au principe de non sélection à l’université. Toutefois, les informations relatives aux critères de sélection contenues dans le rapport de l’Inspection générale de l’Éducation Nationale sont contraires au Code de l’Éducation. Par exemple, nul part n’est inscrit dans le Code la condition le fait de choisir six licences pour participer au tirage au sort. Un tel critère est illégal. Au contraire, si le Code évoque la prise en compte de la “situation de famille du candidat”, ce critère n'apparaît pas dans le rapport comme étant finalement retenu pour sélectionner les candidats.

Maitres Merlet-Bonnan et Valdes concluent de la manière suivante :

“Il ressort ainsi de ces éléments que la procédure de sélections des étudiants avant tirage au sort est irrégulière car contraire aux critères du code de l’éducation.” Maitres Merlet-Bonnan et Valdes

 

Le tirage au sort est illégal si le principe d’égalité n’est pas respecté

Si l’algorithme d’APB est manifestement illégal ne respectant pas les dispositions et critères énoncés dans le Code, Mes Merlet-Bonnan et Valdes rappellent que dans tous les cas la sélection des élèves par tirage au sort est irrégulière puisqu’elle n’est pas codifiée. Une interprétation et un formalisme stricts des textes voudraient que par essence, le fait de procéder à un tirage au sort soit illégal. Néanmoins, les juridictions administratives ne considèrent pas que le tirage au sort soit irrégulier en tant que tel. Elles cherchent à apprécier la violation du principe d’égalité pour pouvoir juger une décision comme illégale et non l’utilisation du tirage au sort qui est contraire au texte. Ainsi, le tirage au sort en tant que tel n’est pas considéré comme illégal par les juridictions administratives. Il pourrait l’être sous réserve de prouver que les modalités de celui-ci s’opposent au principe d’égalité des chances entre les candidats. Toutefois, l’opacité des algorithmes ne permet pas de répondre à une telle question.

Les associations dénoncent également l’illégalité

Cette illégalité des algorithmes a également été dénoncée par l’association Droit des Lycéens (dont Me Merlet-Bonnan est l’avocat). Dans le cadre d’un entretien qu’il nous a accordé, Clément Baillon, le fondateur et ancien président de l’association est revenu sur le caractère profondément illégal de l'algorithme d’APB.

"Outre le caractère irrégulier du tirage au sort pour les filières sous tension, tout est illégal" Clément Baillon

Il existe par exemple tout un ensemble de critères qui peuvent être pris en compte par les universités sans que ce soit signalé. Les universités peuvent alors trier par nationalité, sexe, etc. Par exemple, Clément Baillon a relaté le cas d’une université franco-allemande qui opérait une sélection en France via APB et une sélection en Allemagne via une autre voie. Pour éviter que les étudiants ne se présentent deux fois, les candidats de nationalité allemande qui passaient par APB se voyaient automatiquement rejetés parce qu’ils devaient passer par la plateforme allemande après leur lycée. Mais une telle sélection est problématique car un allemand qui aurait fait son lycée en France par exemple ne pourrait pas accéder à la licence. De même, les néo bacheliers passeraient après tout le monde dans le processus de sélection sans que personne ne le sache. Ainsi, l’algorithme APB semble être profondément illégal et bien plus que pour le simple tirage au sort des filières sous tension. Toutefois, comme le déplore Clément Baillon  "le manque de transparence ne permet pas de mesurer l’étendue de cette illégalité". D’ailleurs, le refus du ministère de communiquer un code clair et compréhensible ne semble pas anodin car cela pourrait révéler au grand jour les anomalies juridiques que comprend l’algorithme, c’est tout du moi ce que suspecte Clément Baillon. Si le manque de légalité n'est pas une thématique par rapport à laquelle les pouvoirs publics se sont positionnés, ces derniers se défendent en évoquant la possibilité de procéder à des recours juridiques, c'est ce que vous pouvez voir en cliquant sur la flèche ci-dessous.

Et les pouvoirs publics ?

Selon Libération[7], le ministère de l’Education Nationale entendait contester cette décision du Tribunal Administratif de Bordeaux, et «prouver que la réglementation existe bel et bien». L'entourage de la ministre Najat Vallaud-Belkacem avait d'ailleurs confié au journal : 

«[La réglementation] est constituée du guide aux candidats et d’un ensemble de documents de l’administration aux recteurs» Ministère de l'Éducation Nationale 

Hormis sur ce point, le ministère reste silencieux devant toutes les allégations d'illégalité soulevées par les avocats ou les associations. Le Ministère n'a d'ailleurs pas donné suite à notre demande lorsque nous avons tenté de le contacter. 

[1] Jugement n° 1504236, rendu le 16/06/2016 par la 2ème Chambre du Tribunal Administratif de Bordeaux[2] Tribunal Administratif de Bordeaux, jugement n° 1504236 (16/06/2016). Disponible sur : http://bordeaux.tribunal-administratif.fr/content/download/64378/581019/version/2/file/1504236.pdf, sur l’illégalité du tirage au sort

[2] De Coustin P (2016, 9 septembre). APB: une décision de justice relance le débat sur la sélection à l’université. Le Figaro Étudiant. Disponible sur http://etudiant.lefigaro.fr/les-news/actu/detail/article/apb-une-decision-de-justice-relance-le-debat-sur-la-selection-a-l-universite-21409/ [Consulté le 1er juin 2017]

[3] Merlet-Bonnan J, Valdes Camille (2015, 31 juillet) Admission post bac (APB) : comment contester un refus d’inscription à l’université ? Village Justice. Disponible sur http://www.village-justice.com/articles/admission-post-bac-apb-comment,20196.html [Consulté le 23 mai 2017]

[4] Admission Post-Bac (2017), Guide du candidat. Disponible sur https://www.admission-postbac.fr/site/guide_2017/Guide_du_candidat_2017.pdf [Consulté le 23 mai 2017]

[5] Buratti L (2016, 18 mars), APB : s’y retrouver dans les filières libres ou en tension et les pastilles vertes, bleues et orange. Le Monde. Disponible sur http://www.lemonde.fr/bac-lycee/article/2016/03/18/apb-s-y-retrouver-dans-les-pastilles-et-les-filieres-libres-ou-en-tension_4885581_4401499.html [Consulté le 26 mai 2017]

[6] Inspection générale de l’éducation nationale [2012], Analyse de l’orientation et des poursuites d’études des lycéens à partir de la procédure admission, 79 pages. Disponible sur http://cache.media.education.gouv.fr/file/10_octobre/21/5/Rapport_IGEN_APB_2012-123_239215.pdf  [Consulté le 10 avril 2016 ]

[7] Piquemal, M., (2016, juillet 6), Tirage au sort à la fac : le ministère va faire appel de la condamnation, Libération. Disponible sur : http://www.liberation.fr/france/2016/07/06/tirage-au-sort-a-la-fac-le-ministere-va-faire-appel-de-la-condamnation_1464504 [Consulté le 22/05/2017]