ÉQUITÉ

Secteurs multi-collèges

Mise en place d'expérimentations pour rétablir la mixité sociale dans les collèges

 

       « Ramener à moins de 10% les écarts de réussite scolaire entre élèves »[1]. Voici un des objectifs fixés par le quinquennat de François Hollande.

 

        De cette façon, vont être lancées des expérimentations visant à renforcer la mixité sociale pour la rentrée 2017 dans les collèges. Ces expérimentations sont multiples et passent par des actions sur l’offre de formation ainsi que la modification de la sectorisation. Une expérimentation sort particulièrement du lot : la création des secteurs multicollèges.[2] Par ailleurs, celle-ci se fonde sur une affectation algorithmique des élèves : il s'agit d'une version dérivée d'Affelnet 6ème.

 

         La création des secteurs multicollèges a été rendue possible par la loi du 8 juillet 2013. L’article L. 213-1 du Code de l’Éducation dispose que « lorsque cela favorise la mixité sociale, un même secteur de recrutement peut être partagé par plusieurs collèges publics situés à l’intérieur d’un même périmètre de transports urbains ».

 

Comment ?

      Dans ces secteurs, au moins deux établissements, l'un attractif et l'autre moins réputé, vont s’agréger. Chaque élève devra ordonner ses vœux, et c’est finalement un algorithme qui attribuera les places en fonction de la proximité géographique mais également d’autres critères tels que le handicap, le rapprochement de fratrie ou le quotient familial. Le but est d’empêcher une ségrégation sociale au niveau des collèges en favorisant la mixité sociale. Le ministère de l’éducation nationale indique néanmoins que "Ces critères ne sont pas arrêtés. Ils doivent être discutés avec les familles. »[3]

Source : Schneider, Frédérique. « Un algorithme pour plus de mixité sociale dans les collèges parisiens ». La Croix, 13 septembre 2016, sect. Famille.

Un accueil plus ou moins favorable

Source : Association Parents Citoyens. Disponible sur http://parentscitoyens.canalblog.com/archives/2011/05/05/21060803.html. [Consulté le 29/05/2017]

        Julien Grenet, un économiste spécialisé dans les politiques éducatives et proche de Thomas Piketty, soutient ce projet. Selon lui, il permettrait de favoriser la mixité sociale et d’établir une plus grande réussite de chaque collégien, sans distinction. C’est pour cette raison qu’il travaille en coopération avec la direction des affaires sociales de Paris pour « renforcer la mixité sociale dans les collèges ». Au vu de la situation alarmante de l’enseignement français qui perpétue les inégalités, il affirme « la nécessité de prendre des mesures ».[4]

           Néanmoins, le projet ne reçoit pas de soutien unanime : des parents d’élèves s’y opposent fortement. Pour comprendre davantage cette situation, il convient d’étudier les expérimentations de ce projet dans l’Académie de Paris car elle cristallise les points saillants de la controverse. D’abord, parce qu’elle met en exergue le statut particulier de l’Académie de Paris, qui n’utilise pas Affelnet 6e pour affecter les élèves. D’autre part, parce que l’Académie de Paris est la plus ségréguée socialement de France.[5] Pour Julien Grenet, les secteurs multicollèges seraient l’occassion d’introduire Affelnet 6e dans l’académie de Paris.[6]

        Ainsi, douze projets ont été soumis à la mairie par l’Académie de Paris. Quatre secteurs et huit collèges ont été retenus pour engager des concertations avec l’accord des maires d’arrondissement. Les objectifs pour les différents secteurs sont de « rééquilibrer les caractéristiques des collèges » et de « profiter de la nécessité de réalimenter un collège en perte d’élèves pour y adjoindre un objectif de mixité sociale ».

Source des deux illustrations : FCPE, association de parents d'élèves. Disponible sur http://www.fcpe75.org/secteurs-multi-colleges-dans-le-18e-le-point-sur-la-situation/. [Consulté le 04/06/2017]

Image ci-dessus : Comparaison entre collèges Berlioz et Coysevox d'une part et entre secteurs Berlioz et Coysevox d'autre part au niveau des Catégories Socio-Professionnelle.

On voit que que la mise en place des secteurs a permis d'homogénéiser les proportions des différentes Catégories Socio-Professionnelles (PCS) entre les collèges. Néanmoins, il reste un déséquilibre entre les deux établissements, où l'un est fréquenté davantage par des élèves dont les parents ont une PCS plus favorisée que l'autre. 

 

Image ci-contre : Part de la CSP "Cadre-Profession - Intellectuelle supérieure par rapport à la CSP "Employé - Ouvrier". 

On voit sur cette carte qu'en terme de Catégorie Socio-professionnelle, les quartiers sont nettement clivés. Ce manque de mixité se répercute dans les collèges. Ainsi, le graphique fait apparaître que le collège Antoine Coysevox est situé au coeur d'un quartier où la proportion est de plus de quatre cadres pour un employé/ouvrier, tandis que le collège Hector Berlioz est au croisement d'un quartier où il y a un à deux cadres  pour un employé/ouvrier et de deux à quatre employés ouvriers pour un cadre. Les dominantes sociales ne sont donc pas les mêmes et elles se ressentent dans la fréquentation des collèges (cf. graphique ci-dessus).

Secteur des collèges Berlioz et Coysevox (18ème arrondissement de Paris) : un exemple d'expérimentation qui fait débat

           Ces projets font l’objet d’un accueil mitigé, surtout à Paris, comme c’est le cas dans le secteur rassemblant les collèges Hector Berlioz et Antoine Coysevox, dans le 18e arrondissement. Ces deux établissements sont tous les deux segmentés : l’un se compose majoritairement d’enfants de catégories socioprofessionnelles supérieures, quand l’autre en accueille presque 50% issus de milieu défavorisé. Les parents d’élèves du « mauvais collège » se réjouissent de ce projet, les autres se disent « dégoutés ». Tous affirment que la mixité sociale est une idée louable, mais les parents d’élèves du « bon collège » regrettent que cela se passe dans de telles conditions. Un parent d’élève interrogé déplore le « rush » opéré par la mairie et le caractère illusoire des dites « concertations » à la sortie des classes. Elle souligne que « le mélange des élèves n’implique pas nécessairement des interactions ».[7] « Des cours de sports ont été mutualisés dès le début d’année, favorisant ainsi la bonne entente »[8] rétorque le principal d’un des collèges impliqués. Il affirme que tout au long de l’année, des activités ont été créées pour construire ex nihilo une cohésion inter-établissement.

         

Une limite aux secteurs multi-collèges : la fuite vers le privé

       Lors d’un entretien, Luc Pham, directeur académique adjoint des services de l’Éducation Nationale de Paris, a affirmé prendre en compte les diverses oppositions. Néanmoins, il souligne que le consensus ne peut être total, sous peine d’inaction. Pour lui, forcer la main, dans une certaine mesure, est une manière de faire avancer une situation inerte depuis des décennies. Ce tour de force ne doit pas être trop fort, sous peine de voir partir les élèves les plus aisés dans l'enseignement privé qui aboutirait à l’inefficacité de l’expérimentation.[9]

        C’est également ce que souligne Julien Grenet : l’évitement scolaire et la fuite vers le privé sont des limites à ces expérimentations. C’est pour cela qu’il milite pour que le secteur privé soit pris en compte dans les différents systèmes d’appariement, à tous les niveaux académiques : dans le secondaire (Affelnet) et dans le supérieur (APB).[10]

      

Source : CAP Education, revue numérique. Disponible sur http://www.cap-education.fr/article-carte-scolaire-les-effets-performatifs-d-une-politique-philippe-gombert-109570228.html. [Consulté le 06/06/2017]

[1] Gouvernement, La lutte contre les inégalités scolaires. Site institutionnel [en ligne] Disponible sur : http://www.gouvernement.fr/action/la-lutte-contre-les-inegalites-scolaires [Consulté le 16/05/2017] 

[2] Ministère de l’Éducation Nationale de l'Enseignement Supérieur et de la recherche (2016), Agir pour la mixité sociale et scolaire au collège. 45 pages. Disponible sur : http://cache.media.education.gouv.fr/file/12_-_Decembre/23/5/2016_DP_mixite_sociale_scolaire_college_683235.pdf [Consulté le 2/06/2017]

[3] Bertrand, M., Brizard, C., Février, R., (2016, Septembre 14), Affelnet et secteurs multi-collèges : du nouveau dans l'affectation en 6e à Paris. L’Obs

[4] GRENET, J., (2013) Renforcer la mixité sociale dans les collèges parisiens. Working Paper. Issued in June 2016, 20 pages. Disponible sur : http://www.parisschoolofeconomics.com/grenet-julien/Other/Slides_multi_college.pdf [Consulté le 24/05/2017]

[5] Zerouala F., (2016, Septembre 13) Éducation entretien Juliet Grenet : « La ségragation sociale dans les collèges parisiens est la plus forte du territoire ». Médiapart

[6] GRENET Julien, Chargé de recherche au CNRS, Professeur associé à l’École d’Économie de Paris, Directeur de l’Institut des Politiques Publiques. Entretien réalisé le 6 avril 2017 à Paris.

[7] Parents d’élèves dont les enfants sont concernés par la création d'un secteur multi-collèges. Entretien réalisé le 6 juin 2017 à Paris.

[8] Principal d’un collège dont l'établissement est concerné par la création d'un secteur multi-collège. Entretien réalisé le 6 juin 2017 à Paris.

[9] PHAM Luc, Directeur académique adjoint du second degré de l’Académie de Paris. Entretien réalisé le 20 avril 2017 à Paris.

[10] Bertrand M., Brizard C., Le Guellec C., (2016, Septembre 15) Carte scolaire à Paris : « Le grand soir de la mixité sociale, je n’y crois pas ». L’Obs