ÉQUITÉ

Équité des paramètres d'affectation et de l'algorithme

Dans la partie réservée à la sélection, nous avons vu que différents critères et paramètres d’affectation étaient utilisés. Mais ces critères permettent-ils l’équité ? De manière générale, les algorithmes d'affectation sont-ils équitables ? 

Des critères complexes et inégalement équitables 

Julien Grenet[1], estime qu'il n'y a pas "d’équation idéale", "de pondération parfaite" : tout cela est relatif à la volonté des pouvoirs publics. Si pour Affelnet le critère géographique est retenu, Julien Grenet souligne le caractère assez inéquitable de celui-ci. Toutefois dans la mesure où plus on est jeune, moins on est mobile, le critère géographique doit continuer à être déterminant puisqu'il ne peut être demandé à un jeune lycéen de partir à l'autre bout de sa région pour étudier. Au contraire, dans le supérieur, les étudiants sont beaucoup plus mobiles ; le critère géographique est moins pertinent. Néanmoins, il souligne que ce critère est utilisé pour caractériser indirectement l’origine sociale des élèves. Il estime, personnellement, qu’il faudrait agir de manière plus simple et prendre en compte directement ce critère social. Il met ainsi en lumière l'idée que le critère géographique n'apparait pas comme très égalitaire, de même pour ce qui concerne le critère social dans le logiciel Affelnet. En effet, selon lui, la binarité du critère boursier/non-boursier est inadaptée pour le critère social. Il faudrait plutôt prendre en compte les quotients familiaux. 

Dessin de presse de Lasserre. Source : SUD Éducation Paris. Disponible sur : http://www.sudeducation75.org/spip.php?article881. [Consulté le 29/05/2017]

Il apparait ainsi que le critère qui apparait comme le plus "équitable" soit celui relatif aux résultats scolaires, puisqu'un lissage est effectué dans les moyennes annuelles des élèves pour pallier les possibles différences dans les notations de professeurs plus ou moins sévères. Toutefois, en se focalisant sur le critère des résultats scolaires, Julien Grenet met en avant que prendre en compte les résultats semble empêcher toute mixité

Julien Grenet insiste sur la distinction à faire entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. Les enjeux étant différents, les algorithmes doivent prendre en compte différemment les critères ; et donc adapter les modalités d’affectation. Par exemple, il estime que la sélection sur critère scolaire devrait être effective que dans le supérieur. En effet c’est une incitation à l’effort et cela répond à une spécialisation accrue : plus les formations deviennent différenciées avec des compétences requises plus importantes, plus le niveau scolaire doit compter. En ce qui concerne APB, le critère géographique peut donc aussi être critiqué. L'académie restent un des critères phares de répartition pour l'université notamment, tout élève  souhaitant aller à l'université aura quasi aucune chance d'être pris dans un établissement hors de son académie d'origine (i.e celle ou l'élève a passé le baccalauréat et/ou se trouve son lycée d'origine). Une critique récurrente , faite par les utilisateurs de cet algorithme, est donc de privilégier les étudiants de l'académie, critique que l'on retrouve surtout pour l'académie de Paris  puisqu'une grande majorité des étudiants veulent venir étudier dans la capitale. La pression est ainsi particulièrement importante pour les universités  Paris-I-Panthéon-Sorbonne et Paris-II-Panthéon-Assas, ainsi que Paris-Ouest-Nanterre, Orsay et Sceaux qui débordent de candidatures en raison de leur prestige[2]. L'université de la Sorbonne écrit d'ailleurs elle-même sur son site que : 

"Les étudiants de la région sont prioritaires pour les affectations" Université Paris-Sorbonne

En bref, pour avoir une chance d’être admis à Assas (antenne de Paris) en droit par exemple, il faut faire six vœux, mettre Assas en premier et habiter Paris. Comme Marie Estelle Pech, journaliste du Figaro, le rappelle dans son article [3], la question de l'équité des critères pour l'algorithme d'APB se concentre principalement sur le critère géographique et sur les postulants à l'université. En effet, les candidats en classe préparatoire aux grandes écoles sont et savent qu'ils vont être sélectionnés sur le critère scolaire principalement. 

Inéquité des élèves face à la connaissance et l'accès aux algorithmes ? 

Dans d'autres pays, des méthodes d'affectation quelque peu analogues sont utilisées pour répartir les élèves. Mais les critères et les résultats ne sont pas comparables. Au Chili par exemple, Julien Grenet explique qu'un algorithme semblable à APB a été mis en place. Parallèlement à la publication des résultats, sont publiés le nombre de points obtenus par chaque individu. Il y a donc une transparence absolue et les résultats deviennent, dans ce cas précis, incontestables. Au contraire, en France, les critères sont beaucoup plus opaques (se référer à la partie Transparence pour plus de détails). Plus que les critères eux-mêmes [4],  la question d'égalité amène plus spécifiquement à la non égalité face à ces algorithmes. Seuls les plus informés vont pouvoir comprendre et établir des stratégies. En étant complexes et surtout opaques, les algorithmes perdent donc souvent la confiance des parents.

« On ne donne pas aux parents tous les éléments sur les paramètres d’affectation. Affelnet peut donc logiquement créer de l'anxiété dans les familles ».

Julien Grenet

 

Présentation du site APB. Source : Capture d'écran de Admission Post-Bac. Disponible sur : https://www.admission-postbac.fr. [Consulté le 03/04/2017]

Néanmoins, le rapport Analyse de l’orientation et des poursuites d’études des lycéens à partir de la procédure admission post-bac de l'Inspection générale de l’éducation nationale [5], nuance un tel manque d'iniquité. Pour le portail APB par exemple le rapport souligne l'équité d'un tel système.

 « L’accès à APB est gratuit et la connexion peut être établie en tout lieu du territoire ou à l’étranger, sous réserve de disposer d’un ordinateur relié au réseau Internet et d’avoir une adresse électronique valide ». Inspection générale de l'Éducation Nationale 

En outre, il apparait donc que malgré certaines critiques, les algorithmes de répartition permettent une plus grande,de mixité sociale et scolaire. Même si certains critères sont parfois jugés inégaux par des chercheurs (Julien Grenet) ou les utilisateurs (élèves provinciaux voulant postuler à Paris par exemple), en comparaison avec d'autres pays, l'université française reste accessible par (presque) tous. 

En comparaison avec l'étranger... une équité dans les critères plus grande en France?

Tandis que les universités canadiennes, américaines et anglaises opèrent une sélection sur dossier à l’entrée, d’autres modèles existent comme l’Espagne, où l’admission à l’université est conditionnée à l’obtention d’un examen d’entrée ou encore l’Allemagne et l’Autriche qui ont recours à un numerus clausus puis à une sélection sur dossier. En Italie, la pratique du numerus clausus est aussi utilisée et est subordonnée à la réussite d’un examen d’entrée. En France, la sélection à l’université reste tabou et ce  malgré le fort taux d’échec en licence : sans sélection, environ un étudiant français sur 3 obtient sa licence en 3 ans et environ 45% en 4 ans. A l’étranger, malgré une sélection à l’entrée, le constat est globalement le même à la fin de la licence puisqu’une étude de l’OCDE a classé la France dans la moyenne du taux de réussite à l’université.[6] En comparaison avec d'autres pays, la France apparait donc comme un système très égalitaire, au moins au niveau de l'entrée à l'université. 

De plus, Julien Grenet expliquait qu'au Chili, un algorithme beaucoup plus transparent qu'APB avait été mis en place et qu'une plus  grande équité en résultait. D'autres méthodes de répartition existent en effet et semblent parfois amener une meilleur égalité et équité entre les candidats que les algorithmes français. 

L’article “A stable and Pareto efficient update of matching in school choice” [7], du chercheur japonais Yasunori Okumura, illustre, qu’outre l’algorithme de Gale et Shapley, d’autres méthodes de répartition seraient envisageables, comme en utilisant le principe de Pareto, qui revient à utiliser un algorithme dit “à temps polynomial”. L’application du principe de Pareto, permettant d’identifier les propriétés des problèmes stratégiques et de les séparer des autres, permettrait en l’espèce de classer les élèves selon des critères de priorité. Une plus grande équité en résulterait.  En fonction des pays, plusieurs méthodes de répartition peuvent être employées, c’est notamment une des raisons pour lesquelles nous avons décidé de nous concentrer sur le modèle français. De même, la répartition des élèves est évoquée dans ”Many-to-one matchings without substitutability”[8], de Umut Dur & Devrim Ikizler, qui montre que l'existence d'une allocation stable est fortement liée aux élèves ayant des «préférences harmonieuses» sur leurs ensembles de choix universitaires acceptables. Enfin, dans l’article, “A new perspective on Kesten’s school choice with consent idea[9]”, les deux auteurs et chercheurs de l’université de Shanghaï proposent un nouvel appariement des élèves en utilisant la méthode de Kesten (algorithme de Kesten), qui consiste à abandonner les priorités d’établissement accordées aux élèves. Cela leur permet surtout d’inventer un nouvel algorithme permettant lui même de simplifier les algorithmes déjà existants (et notamment la méthode de référence de Gale et Shapley). Grâce au travaux de ces différents chercheurs, il apparaît ainsi qu’outre les méthodes utilisées en France, d’autres sont envisageables et même déjà appliquées à l’international. Mais ces méthodes sont-elles plus égalitaires ? Rien n'est moins sur. En effet, l'utilisation du principe de Pareto laisserait tout de même une partie des élèves sur le coté d'après Yasunori Okumura, et ce, même si il permettrait de se focaliser sur les élèves les plus nécessiteux au départ. De même, la méthode de Kesten serait à terme désavantageuse puisque les choix des élèves ne seraient plus pris en compte. Finalement, il apparait donc que c'est bien l'algorithme d'affectation différenciée de Gale et Shapley qui permettrait la meilleure équité si certains biais n'avait pas été rajoutés comme avec l'algorithme d'Affelnet. 

 

[1] GRENET Julien, Chargé de recherche au CNRS, Professeur associé à l’École d’Économie de Paris, Directeur de l’Institut des Politiques Publiques. Entretien réalisé à Paris, le 6 avril 2017.

[2] Anonyme. (2013, 29 novembre). APB 2016 : les astuces pour s’inscrire à l’université. Le Figaro Etudiant. Disponible sur: http://etudiant.lefigaro.fr/orientation/trouver-sa-formation/detail/article/apb-les-astuces-pour-sinscrire-a-luniversite-3568/. [Consulté le 10/06/2017].

[3] PECH, M-E. (2014, 19 septembre). Sélection à l’université : la face cachée "d’APB". Le Figaro, sect. Société.

[4] IEHLÉ, V. (2016, 2 décembre). Algorithmes à l’école : ne nous trompons pas de polémique. The Conversation

[5] Inspection générale de l’éducation nationale (2012), Analyse de l’orientation et des poursuites d’études des lycéens à partir de la procédure admission, 79 pages. Disponible sur :http://cache.media.education.gouv.fr/file/10_octobre/21/5/Rapport_IGEN_APB_2012-123_239215.pdf  [Consulté le 10/03/2016]

[6] OCDE. (2010). Mesurer l'innovation : un nouveau regard. Disponible sur : https://www.oecd.org/fr/sites/strategiedelocdepourlinnovation/45301408.pdf. [Consulté le 23/04/2017]

[7] OKUMURA, Y. (2016) A stable and Pareto efficient update of matching in school choice. Economics Letters, n°143, 111-113.

[8] DUR, U., IKIZLER, D. (2016). « Many-to-one matchings without substitutability ». Economics Letters, n°144, 123-126.

[9] QIANFENG, T., YU, J. (2014). A new perspective on Kesten’s school choice with consent idea. Journal of Economic Theory, n°154, 543-561.