Les rythmes scolaires appliqués dans les écoles sont le résultat de réformes successives justifiées par des choix politiques : mais quel est vraiment le processus de construction de ces réformes ?

 

Les directives sur les rythmes scolaires sont prises à l’échelle nationale par le ministère de l’Education nationale, puis appliquées à l’échelle des communes. Cependant, on ne sait pas toujours comment les décisions sont prises, et quels sont les arguments utilisés pour construire une réforme. Nous allons donc voir le processus qu’a suivi le ministère de Jean Michel Blanquer pour construire le décret de 2017 sur les rythmes scolaires.

 

Les fondements d’une réforme

 

Un contexte politique tendu

C’est dans un contexte de forte contestation face à la situation des rythmes scolaires que le nouveau ministre Jean Michel Blanquer a dû construire sa réforme.

Le point de départ de la controverse est la réforme Peillon de 2013, qui passe d’une semaine de 4 jours, imposée aux communes par le décret Darcos en 2008, à une semaine de 4 jours et demi. Les enfants ont alors cours le mercredi matin, et ont des temps d’activités périscolaires aménagés dans l’emploi du temps pour conserver le même nombre d’heure de cours. En effet, le changement ne porte pas sur la durée de l’enseignement (qui reste de 24 heures par semaine) mais sur sa répartition dans la semaine.

Cette décision est prise en se basant sur le rapport de l’Académie de médecine du 15 janvier 2010, qui dénonce le « rôle néfaste de la semaine de 4 jours sur la vigilance et les performances des enfants les 2 premiers jours de la semaine » [1]. Cette réforme a donc pour but de favoriser le bien être de l’enfant en se basant sur des considérations de concentration, d’attention et de fatigue de l’enfant.

Les nouveaux rythmes sont imposés à l’ensemble des communes qui doivent réorganiser leurs écoles et aménager les activités périscolaires. Il y a une forte contestation de la part des communes, des parents d’élèves ainsi que des enseignants avec une grève nationale en novembre 2013. La difficulté d’application de la réforme, notamment, la rend notamment impopulaire : on lui reproche d’imposer un nouveau modèle d’enseignement, alors qu’on avait déjà imposé un nouveau modèle 5 ans plus tôt. Le rejet global de cette réfore précipiteront le départ de Vincent Peillon du ministère de l’Education Nationale en avril 2014.

En réaction à cet accueil défavorable, le nouveau ministre Benoit Hamon passe un décret le 8 mai 2014 qui vient assouplir la réforme Peillon. Ainsi, les communes avec le conseil d’école pourront faire une saisine conjointe de l’académie pour obtenir une dérogation qui permettent d’organiser la semaine toujours sur 5 jours mais en consacrant une demie journée à des activités périscolaires. C’est une démarche d’assouplissement qui a pour objectif de calmer les communes et le corps enseignants. Malgré cet assouplissement, la controverse reste vive, et il y a une demande de plus de liberté pour les communes qui ont chacune leurs contraintes propres.

 

Continuer la démarche d’assouplissement

Pour calmer un climat politique relativement tendu sur le sujet des rythmes scolaires, le ministre Blanquer va continuer et aller plus loin dans la logique de l’assouplissement. Il laisse, avec le décret Blanquer, la possibilité d’organiser la semaine sur 4 jours avec le même type de demandes de dérogation à l’académie. C’est une démarche qui avait débuté avant même la prise de fonction du ministre : il l’annonce durant la campagne présidentielle de 2017 en construisant le programme éducation d’Emmanuel Macron[3].

Le décret est le résultat de nombreuses consultations avec l’ensemble des acteurs : syndicats d’enseignants, de parents, scientifiques… qui ont amené le Ministre à prendre la décision de laisser le choix à une échelle plus locale. On quitte ainsi la logique d’imposer un modèle aux communes de toute la France, mais, au contraire, on fait confiance aux collectivités territoriales pour organiser elles-mêmes au mieux le temps scolaire.

Une des raisons importantes de ce revirement est qu’il a été décidé de se baser uniquement sur les résultats scolaires, et non sur l’attention des élèves en classe. Comme l’explique Fanny Anor, conseillère spéciale du ministre : « Si on se fonde sur du rationnel, sur ce qui a un impact sur les résultats scolaires, étant donné que l’on n’a pas fait la démonstration de cet impact-là, on laisse la liberté en local de s’organiser sur le temps scolaire »[2]. En effet, aucune étude n’a montré une influence de l’organisation de la semaine sur les résultats scolaires… et ce même pour les études faites à l’époque de Lionel Jospin, où les différentes solutions avaient été testées sur des plages de temps significatives pour tenter de trancher, déjà, la même interrogation !

D’après le Ministre actuel, les réalités et problématiques étant très variées sur l’ensemble du pays, une solution unique semble peu adaptée pour y répondre. On considère donc que les communes avec la consultation des différents acteurs locaux (écoles et parents d’élèves) sont les plus à même pour proposer une solution locale adapté aux spécificités de leurs territoire.

 

Vers plus de stabilité ?

La succession de réformes qui modifient l’organisation des temps scolaires pose, selon l’association des maires de France (AMF), une question de stabilité. Les changements successifs sont en effet souvent coûteux et complexes à mettre en place. C’est aussi une des raisons pour laquelle le gouvernement a choisi de laisser les communes libres de choisir leur propre organisation.

En effet, si on pourrait s’attendre à ce que ça ne fasse que changer l’échelle de l’instabilité de l’Etat à la commune, la conseillère spéciale Fanny Anor explique que ce n’est pas le cas : selon elle, il n’est politiquement pas dans l’intérêt d’un maire ou d’un candidat d’imposer de nombreux changements qui sont lourds de conséquences en terme d’organisation. De plus, il y a un contrôle des Conseils d’école, qui viennent garantir la stabilité – dans leur propre intérêt -, et de l’Académie qui vérifie la logique des demandes de dérogations.

Enfin, si la commune parvient à trouver une solution qui, dans son cas particulier, fonctionne bien, elle n’a plus de raison de changer de modèle. D’après Fanny Anor, ce nouveau maillage plus fin étant plus proche des besoins réels de chaque commune, il devrait permettre de limiter les modifications à répétition d’organisation de la semaine scolaire.

 

 

Références

[1] Y. Touitou et P. Bègue, « Aménagement du temps scolaire et santé de l’enfant » – Académie de Médecine. Consulté le 17 avril 2018, disponible ici.

[2]  Entretien avec Fanny Anor, conseillère spéciale auprès du Ministre de l’Education Nationale, le 16/05/2018

[3] L’École de demain : Propositions pour une Éducation nationale rénovée, Paris, Odile Jacob, 2016