Les enseignants du primaire sont au contact direct des enfants, et sont donc témoins des effets des différentes réformes tant sur les élèves que sur leur travail. Ils se sont beaucoup exprimés, mais comment et via qui?

 

En premier lieu, il est très important de remarquer que les enseignants ont un double rôle dans cette controverse. En effet, puisqu’ils sont au contact direct des élèves pendant le temps scolaire, leur témoignage est probablement un des meilleurs indicateurs de la réussite des élèves, en absence d’étude précise. Cependant, il faut garder à l’esprit que, si la réforme des rythmes scolaires peut avoir une influence sur la réussite des élèves, elle a aussi des conséquences sur la vie personnelle des enseignants et sur leurs conditions de travail. Lorsque les enseignants parlent au nom des élèves, il est donc délicat pour eux d’être complètement objectif et de mettre de côté tout intérêt personnel.

Évidemment, la parole d’un enseignant seul, même si elle peut être enrichissante, n’apporte pas d’indication sur la position globale du corps enseignant dans la controverse. Afin de rassembler différents points de vue qui peuvent être exprimés par les professeur à travers le pays, nous nous sommes intéressés aux acteurs publics ayant déjà effectué cette collecte d’information afin de s’engager dans la controverse au niveau national : il s’agit des syndicats professoraux.

 

Le positionnement des syndicats

 

Les enseignants comme porte-paroles des élèves

Différents syndicats d’enseignants du primaire prennent position dans la controverse. Pour eux, les intérêts des professeurs et des élèves ne sont pas en opposition, car les deux sont trop intimement liés. C’est notamment l’avis de Francette Popineau, co-secrétaire générale du SNUipp-FSU[1], le syndicat majoritaire des professeurs des écoles et des collèges, que nous avons rencontrée. Voici ce qu’elle pense de la question :
“Les enfants et les professeurs vivent ensemble au quotidien, et ce qui affecte l’un affecte nécessairement l’autre. Un changement dans les rythmes scolaires qui permet aux enfants d’être moins fatigués, plus à l’écoute, sera forcément bénéfique pour l’enseignant. Et vice versa : si la réforme permet au professeur d’être plus reposé, plus disponible, les petits apprendront mieux. Toute amélioration de la condition de l’un avantagera aussi celle de l’autre.”

Le SNUipp-FSU a pour mission de “transformer l’école” : par là, ils entendent l’améliorer, la moderniser en tenant compte des avis de chacun. Il déplore alors le manque d’écoute des gouvernements successifs envers l’avis des professeurs, et considère que la situation ne sera réglée que lorsque l’on remettra l’enfant au centre des priorités.

Cet article donnera essentiellement le point de vue de ce syndicat, car il est le représentant principal des enseignants dans cette controverse. À chaque réforme des rythmes scolaires, il a pris position au niveau national ; cependant, il maintient aujourd’hui que la solution ne peut pas venir d’un modèle unique imposé par le gouvernement à toute la France. Selon sa représentante Francette Popineau, pour optimiser la capacité d’apprentissage d’un élève dans une école donnée, il faut s’intéresser à ce qui se passe au niveau local, pour que se mette en place une discussion qui intègre les besoins et limitations de chaque acteur : maire, parents d’élèves, directeur de l’école, professeurs…

Cette vision moderne, qui reconnaît que la transformation de l’école sera un processus nécessairement long, est l’aboutissement d’années de réflexion et d’engagement. Intéressons-nous donc au positionnement du SNUipp-FSU sur les points majeurs de la controverse.

 

Réforme Darcos – passage à 4 jours

Lors de la réforme Darcos de 2008, qui instaure au niveau national la semaine de 4 jours, Gilles Moindrot, responsable du SNUipp à l’époque, ne s’oppose pas à la réforme mais demande plus de concertation avec les syndicats: “Nous n’avons pas d’opposition de principe, explique-t-il, de plus en plus, nos collègues sont pour la suppression du samedi. Mais on ne peut faire de telles annonces en laissant tant d’incertitudes : comment ce soutien scolaire va s’organiser, quelles vont être les conséquences sur les pro­grammes, etc…”. [2]
Cependant les objectifs de cette réforme conviennent globalement au SNUipp, qui se positionne en faveur d’une semaine à 4 jours et reste donc légèrement en retrait dans le débat. La CGT se positionne avec le SNUipp-FSU, et qualifie cette réforme de “marche forcée”.[3]

D’autres syndicats, tels que le SE-UNSA, se montrent en faveur de cette réforme. Dans un article pour Charente Libre[4], le syndicat explique que ce format de la semaine ne sera pas un problème pour la prise en charge des élèves en difficulté qui pourra s’effectuer le mercredi, malgré la suppression du samedi.

 

Réforme Peillon – passage à 4,5 jours

Si la réforme Darcos s’est faite dans le calme, on ne pourra en dire autant de la réforme Peillon en 2013, que le syndicat majoritaire rejette fortement, dénonçant un non-sens. Cette réforme impose le retour de la semaine à 4,5 jours, qui raccourcit les journées d’école et instaure des temps d’activités périscolaires facultatives. Le SNUipp fait alors réaliser un sondage[5] auprès des enseignants pour légitimer leur opposition à cette dernière réforme.

La méthode de sondage est la suivante:

  • sondage internet
  • échantillon de 1497 professeurs des écoles à partir d’un fichier de contacts du SNUipp
  • redressement appliqué aux variables suivantes : sexe, âge, région de l’interviewé(e) et niveau d’enseignement (maternelle/élémentaire)

Les conclusions du sondage sont alors que 70% des enseignants pensaient que l’école primaire n’était pas une priorité pour le gouvernement de 2013 de Jean-Marc Ayrault.

Vis-à-vis de la réforme, 54% des enseignants considéraient alors que l’organisation de la semaine de travail s’était dégradée sous François Hollande, 39% la considéraient comme inchangée et 6% comme s’étant améliorée.

Il est intéressant de noter que ce sondage portait aussi sur la vision des professeurs sur les syndicats et que 52% des enseignants considéraient que les syndicats sont débordés par la situation sur la question des rythmes scolaires, bien que 68% d’entre eux aient annoncé que ceux-ci défendaient de bonnes idées. On voit donc à travers ce sondage que bien que le SNUipp-FSU se soit opposé à la réforme de Vincent Peillon les enseignants sondés sont partagés sur la question des rythmes scolaire. Seule un peu plus de la moitié de ces enseignants est contre ce retour à 4,5 jours. Ce sondage a de plus été effectué en ligne sur un échantillon de 1457 professeurs des écoles. Or selon une synthèse statistique de l’éducation nationale[6], il y avait 384 800 enseignants (dans le publique et le privé) en France sur l’année 2016-2017. Les conclusions de celui-ci sont donc à nuancer.

Mais cette réforme est rejetée au delà du SNUipp-FSU. En effet, la réforme a conduit à une grève nationale le 14 novembre 2013 qui aurait été suivie à 41,3% sur Paris d’après le rectorat et à 23% en France[7]. Et cette grève a été appelé par d‘autres syndicats minoritaires: la CGT, FO, SUD et la FAEN. Les enseignants semblent donc en majorité favorables à une semaine de 4 jours.

 

Décret Hamon – assouplissement de la réforme Peillon

Après le changement de gouvernement en avril 2014 et la démission de Vincent Peillon, c’est Benoît Hamon, alors nouveau ministre de l’éducation, qui est en charge du dossier des rythmes scolaires. Afin d’apaiser les tensions, ce dernier porte un nouveau décret pour l’assouplissement de la réforme Peillon.

Comme expliqué dans la chronologie ce décret permets aux recteurs de changer l’organisation de la semaine, tout en gardant une structure sur 5 matinées. Le SNUipp-FSU s’oppose encore à la réforme initiale, et fait un sondage internet entre novembre et décembre 2014[8]. Ce sondage ne porte pas sur le décret Hamon en lui-même mais sur les impacts de la réforme Peillon et du décret Hamon. Selon le syndicat, 16 764 enseignants y auraient répondu.

Le SNUipp-FSU ne fournit pas de données précise sur ce sondage ni les questions qui ont été posées aux enseignants. Ce que les résultats mettent cependant en avant, c’est l’impact négatif du décret Hamon sur ce qu’ils appellent le “scolaire” et qui comprend les résultats sur l’attention des élèves, la fatigue et d’autres paramètres non communiqués.
Ainsi, comme on le voit sur le graphique ci-dessous, 74% des enseignants interrogés estiment que ce décret a eu un impact négatif sur le scolaire.

 

Le syndicat donne tout de même des résultats plus précis divisés en 3 catégories: les effets du décret sur les apprentissages, sur la capacité de concentration et d’attention et sur l’ambiance dans la classe. Ces résultats sont présentés dans les graphiques ci-dessous.

Les résultats obtenus dans ces catégories sont les suivants:

Effets sur les apprentissages
Effets sur la capacité
de concentration et d’attention
Effets sur l’ambiance
dans la classe

Ce que l’on remarque alors, c’est que dans ces trois catégories, le nombre d’enseignant considérant que le décret a des effets négatifs n’excèdent pas 73%, alors que le pourcentage global est de 74%.

Bien que ne nous donnant pas l’avis direct des enseignants sur le décret Hamon, on peut retirer de ce sondage qu’en règle générale, les enseignants considèrent que la réforme Peillon ainsi que le décret Hamon ont eu des effets négatifs sur l’apprentissage et le bien-être des enfants en classe.

Si le SNUipp-FSU semble estimer que la semaine à 4 jours est plus bénéfique pour les élèves que la semaine à 4,5 jours, Francette Popineau, co-secrétaire générale du syndicat, explique que la situation est plus complexe :

“En fait, cela dépend beaucoup des régions, du contexte socio-économique, …
Il est illusoire de vouloir améliorer la situation simultanément dans tout le pays avec un schéma unique. Par exemple, en région de montagne où les enfants ont souvent une heure de bus dans chaque sens pour aller à l’école, c’est idiot de les faire venir le mercredi matin : ça leur ajoute beaucoup de fatigue dûe aux déplacements pour seulement trois heures de cours.
Il faut essayer d’être le plus fin possible. L’idéal est que chaque école prenne la décision qui optimise la qualité de l’enseignement en fonction de leurs contraintes particulières. Là où la semaine de 4,5 jours fonctionne bien, ça ne sert à rien de leur imposer le changement pour le changement.”

 

Décret Jean-Michel Blanquer – le choix est laissé aux communes

Dès l’annonce du décret Blanquer, le SNUipp-FSU lance un nouveau sondage pour recueillir l’avis des professeurs sur la réforme[9]. Ce sondage prend à peu près la même forme que pour le décret Hamon à la différence que les résultats sont mieux explicités et que de nouveaux thèmes sont abordés. De plus, il a été réalisé auprès de 28 642 enseignants.

En ce qui concerne les élèves, le syndicat pose à nouveau la question de l’impact du format actuel de la semaine sur:

  • L’attention des élèves : 72.8% considèrent cet impact comme négatif
  • Le climat scolaire : 71.3% considèrent cet impact comme négatif
  • L’apprentissage des élèves : 57.5% considèrent cet impact comme négatif

 

Ce graphique nous est donné sur le site du sondage[9] mais seuls les pourcentages des réponses “impact négatif” sont donnés, ce qui montre à nouveau la volonté du SNUipp de mettre en avant les effets négatifs d’une semaine à quatre jours sur les élèves.

 

Les intérêts des enseignants

Si les professeurs des écoles sont en effet bien placés pour connaître les effets des réformes et des décrets successifs sur la réussite des élèves, il n’en demeurent pas moins qu’ils ont eux aussi leurs intérêts dans cette controverse. Certains enseignants sont par exemple attachés aux vacances scolaires, et d’autres revendiquent la nécessité d’une pause dans la semaine.

C’est à nouveau le SNUipp-FSU qui fournit le plus grand nombre de données de part ses sondages effectués auprès des enseignants. Il est intéressant de remarquer qu’avant le décret Hamon, ces sondages ne prennent pas en compte l’impact des réformes sur les professeurs. Les seuls arguments avancés concernaient essentiellement les effets sur l’apprentissage des enfants, du point de vue des enseignants.

On apprend ainsi que 81% des enseignants considéraient, selon un sondage du SNUipp-FSU de décembre 2014[8], que la réforme de Vincent Peillon avait un effet négatif sur leur vie personnelle, et ce malgré l’assouplissement du décret Hamon. 68% des professeurs sondés estimaient de plus qu’il y avait des impacts négatifs sur leurs conditions de travail.

Selon un sondage plus récent, datant du décret Blanquer[9], “81,6 % des enseignant.es déclarent que la réforme a un impact négatif ou très négatif” sur les conditions de travail et d’exercice du métier. Ce sondage affirme de plus que “pour 77% des enseignant.es, l’organisation de la semaine scolaire a un impact négatif sur leur vie personnelle contre 7% qui estiment cet impact positif.”.

 

Conclusion

Ces deux sondages montrent donc globalement un fort mécontentement des enseignants vis-à-vis de la semaine à 4,5 jours, qui a des effets négatifs sur leur vie personnelle et sur leur conditions de travail. Ce n’est cependant pas le cas de tous, et les défenseurs de cette semaine plus étalée ne sont pas favorables à se voir imposer la loi de la majorité. De plus, il est nécessaire de garder à l’esprit que les enseignants sont un double acteur et que cette position particulière peut influencer les sondages : après tout, les syndicats de professeurs ont pour rôle premier la défense des intérêts des enseignants, et non des élèves.

La solution préconisée aujourd’hui est de se baser sur une discussion à l’échelle locale, d’égal à égal, des différents acteurs concernés. Les syndicats regrettent que cette discussion n’ait pas forcément lieu dans beaucoup de municipalités, malgré la position actuelle du gouvernement qui donne plus de liberté de choix à celles-ci : sans doute faut-il que le ministère oblige les écoles à tenir cette réunion essentielle, déclare Francette Popineau.

Références

[1] Ministère de l’éducation nationale (2014), Résultats élection 2014 – CAPN commune aux instituteurs et professeurs des écoles , disponible sur: <http://cache.media.education.gouv.fr/vote_electronique/2014/pdf/PNF00021NAT.pdf> (consulté le 08/06/2018)

[2] Propos recueillis par Libération, Ecole : Darcos adopte le régime des quatre jours, disponible sur: <http://www.liberation.fr/societe/2007/09/29/ecole-darcos-adopte-le-regime-des-quatre-jours_102783> (consulté le 05/06/2018)

[3] AFP Infos Françaises, jeudi 2 Octobre 2008, Ecole le mercredi matin: enseignants et parents dénoncent un « forcing » dans le Val-de-Marne

[4] Charente Libre, mardi 10 juin 2008, p.3, Ecoles : petite semaine, grandes manoeuvres

[5] Sondage Harris pour le SNUipp-F, Les enseignants d’école primaire et la réforme des rythmes scolaires, disponible sur: <https://www.snuipp.fr/IMG/pdf/Sondage_Harris.pdf> (consulté le 05/06/2018)

[6] Ministère de l’éducation nationale, L’éducation nationale en chiffres (2017), disponible sur: <http://cache.media.education.gouv.fr/file/2017/96/3/depp-enc-2017_801963.pdf> (consulté le 05/06/2018)

[7] Rapport de l’AFP, Rythmes scolaires : instits’ en grève, soutenus par des maires, 14 novembre 2013

[8] SNUipp-FSU, Rythmes scolaires – Ce sont les enseignants qui le disent , disponible sur: <https://www.snuipp.fr/IMG/pdf/SNUIPP_Rythmes_presse_V5.pdf> (consulté le 08/06/2018)

[9] SNUipp-FSU, Rythmes scolaires, pas sans nous ! Les résultats, disponible sur : <http://consult-rythmes.snuipp.fr/les-resultats> (consulté le 08/06/2018)