Echange avec le collectif VAN (Vigiliance Arménienne contre le Négationnisme)

<=== Entretien avec M. Salvatori, représentant de Liberté pour l’histoire

Entretien avec M. le sénateur Jean-Jacques Hyest ===>

 

Echanges avec Séta Papazian, présidente du collectif.

 

Quelle est la position du collectif vis-à-vis de la pénalisation du négationnisme ?

Confronté quotidiennement au négationnisme des génocides, le Collectif VAN a une position sans équivoque et il en soutient bien évidemment la pénalisation.

Le négationnisme, qualifié par Elie Wiesel de double meurtre, contient une dimension de passage à l’acte, qui se manifeste en France, en Europe et dans le monde entier.

C’est d’ailleurs l’opinion  de plusieurs militants turcs des droits de l’homme, vivant en Turquie ou non, et qui soutiennent cette loi. Pour eux comme pour nous, le négationnisme n’est pas une opinion, c’est un délit au même titre que le racisme.

Seule une loi est en mesure de protéger les victimes du négationnisme, ainsi que leur liberté d’expression comme le démontre le récent verdict du Tribunal de Paris qui vient de lourdement condamner un journaliste franco-arménien ayant qualifié de négationniste une Franco-Turque.

En France, une poignée d’intellectuels sincères prétend pouvoir répondre aux campagnes internationales d’Ankara avec des articles érudits mais il est hélas illusoire de compter seulement sur le débat pour répondre à un négationnisme d’Etat.

Concernant spécifiquement la controverse au sujet de la loi adoptée à la fois par l’Assemblée Nationale et le Sénat, mais rejetée par le Conseil Constitutionnel, elle représente un cas d’école.  En effet, des personnalités publiques de premier plan ont commis de graves dérapages sans être pour autant disqualifiées sur le sujet.

Par exemple, en octobre 2011, l’historien Pierre Nora – qui a pourtant reconnu n’avoir aucune qualification sur le sujet – a réfuté en ces termes sur France-Inter le qualificatif de génocide pour le cas arménien : « Si vous écrasez trois mouches, on peut aussi vous parler d’un génocide ». Cela ne l’a pas empêché d’être régulièrement invité par les médias et par nos parlementaires pour donner son avis au titre de président de l’association « Liberté pour l’histoire ».

Ce parti-pris indigne n’a pas permis un débat de fond serein. Rappelons aussi que la loi sur les Harkis, votée le 27 février 2012, n’a posé aucun problème au Conseil constitutionnel.

Enfin, de l’avis de spécialistes turcs eux-mêmes, toute l’économie turque actuelle – et donc les affaires juteuses réalisées par certaines compagnies françaises qui ont fait un lobbying intense contre la loi (voir l’Institut du Bosphore) – repose sur la spoliation des Arméniens. La terreur d’Ankara est d’avoir à payer des réparations et à opérer des restitutions.

Le fait que les cadastres d’avant 1915 soient tous numérisés mais qu’il soit interdit par le gouvernement turc de les mettre en ligne pour éviter des réclamations, est une illustration de la nécessité économique du déni, dont se fait complice de facto la majorité des opposants français à la loi.

 

Pensez-vous que la Turquie va prochainement modifier sa position sur le génocide et pourquoi ?

Il y a fort à craindre que la réponse soit négative. Selon des spécialistes turcs (par exemple Uğur Ümit Üngör) toute l’économie turque repose sur la spoliation des chrétiens anéantis. La question de la pureté raciale turque peut éventuellement évoluer, mais pour ce qui est de la dimension économique, financière, territoriale, c’est peu probable, hélas.

Il y a déjà eu et il y aura certainement des propos lénifiants de manière épisodique pour faire croire qu’il y a du progrès, que la Turquie reconnaît « quelque chose », mais qu’il faut en discuter encore pendant 150 ans à travers une Commission d’historiens par exemple, tous propos dont les puissances occidentales se saisiront pour « calmer » le jeu et faire taire les ayants droit. Mais on ne s’attend pas à un changement fondamental de la part des autorités turques à moins d’une révolution ou d’un bouleversement géostratégique majeur.

Que pensez-vous des tensions diplomatiques occasionnées entre la Turquie et la France par ces débats ?

Beaucoup d’esbroufe du côté turc et beaucoup d’hypocrisie côté français. En 2001, après la loi stipulant que « La France reconnaît le génocide arménien de 1915 », il y a eu certes un fléchissement des contrats, mais dès 2003, tout était redevenu comme par le passé. L’argent n’a pas d’odeur. Pénaliser des entreprises françaises, qui emploient 70.000 personnes, aurait obligatoirement des conséquences sur leurs salariés turcs. Un boycott des produits français gênerait aussi les commerçants les vendant. N’oublions pas non plus que la Turquie est l’une des destinations préférées des touristes français.

Une partie des réactions violentes est certainement destinée au public turc, nationaliste, pour donner une bonne image du  gouvernement turc.

Côté français, les entrepreneurs craignent pour leur business en Turquie, alors qu’on l’a vu, celui-ci ne risque pas grand-chose en fait : le négationnisme ne semble pas les gêner, comme, de manière générale, tous les manquements aux droits civiques ou humains partout dans le monde. Exemple intéressant : Carrefour est associé à Sabanci, holding de Turquie dont la fortune vient de la spoliation des Arméniens…

Quelles que soient les tensions réelles ou supposées, la France se doit de protéger ses citoyens contre un négationnisme d’Etat. C’est là sa mission sauf à considérer que les citoyens d’origine arménienne ne sont pas des citoyens comme les autres et qu’ils ne méritent pas l’attention et la protection de la République.

 

Certains reprochent à ces projets de loi de ne pas favoriser l’apaisement entre l’Arménie et la Turquie ?
Que leur répondriez-vous ?

Les descendants des morts vivent très, très majoritairement ailleurs qu’en Arménie (7 à 8 millions en diaspora, contre 3 millions d’habitants en République d’Arménie. D’ailleurs, sur les 3 millions de citoyens arméniens, une grande partie ne descend pas des rescapés, puisque l’actuelle République d’Arménie est l’héritière de l’Arménie russe et non pas de celle placée sous le joug ottoman en 1915) ; « l’apaisement » éventuel avec l’Arménie n’« apaisera » pas la diaspora… C’est cette dernière, surtout, qui a une créance morale et matérielle colossale. Et c’est elle qui subit de plein fouet un négationnisme outrancier, surtout ici, en France.

On peut d’autre part estimer que le négationniste est prêt à commettre à nouveau le crime qu’il nie. En ce sens, le combat porté par la diaspora vise également à protéger l’Arménie dont l’intégrité territoriale est menacée par la Turquie et l’Azerbaïdjan voisins.

Et les propos menaçants de Mehmet Dülger (AKP), Président de la Commission des Affaires étrangères du Parlement turc : « Ils réclament, les Arméniens… Pourtant, ils sont 4 millions, nous sommes 70. Si on éternuait sur les Arméniens, ça serait suffisant ».

Suffisant pour quoi ? Pour un nouveau génocide aussi exemplaire que le premier ? Ou pour un génocide qui lave encore plus blanc ?

Le déni et le piétinement d’une justice même réduite à sa seule dimension verbale, n’ont aucune chance de favoriser un apaisement quelconque, que ce soit entre particuliers, ou entre nations, ou entre groupes ethniques. « Regarder vers l’avenir » sans « purger le passé » ne marche pas. En Espagne, en Argentine, on voit que le passé est de retour. De toute façon, il commence à rejaillir en Turquie même, dans les corps mêmes de citoyens turcs et kurdes musulmans qui se découvrent par milliers des grands-mères arméniennes, kidnappées durant le génocide et islamisées de force…

Ceux qui tiennent ce discours ont souvent soit des intérêts financiers en Turquie, soit une petite jouissance à dire à des descendants des victimes d’un génocide qu’ils doivent tourner la page sans un mot d’excuse de la part des héritiers du Crime, sans un euro de réparation. Dans la complicité ou la complaisance envers le déni de crimes (y compris crimes individuels, tels que viols, meurtres racistes, etc.), il convient de ne pas ignorer le rôle de la jouissance inconsciente. Il faut oser aller dire à une jeune fille violée dont le violeur est identifié : « écoute, ma petite, ne remue pas tout ça, cela va créer des tensions, et puis, tu n’es pas morte, après tout ? » Eh bien, les Arméniens, les Grecs, les Assyriens, ils ne sont pas TOUS morts, après tout ? Alors pourquoi faire du remue-ménage ? « Buvez un coup de raki ensemble, et n’en parlez plus ».

 

Envisagez-vous une réconciliation avec les représentants turcs sur la question ? La situation vous semble-t-elle bloquée ?

Etant donné les milliards que la Turquie et l’Azerbaïdjan turcophone dépensent annuellement pour leurs campagnes internationales de déni qui vont crescendo dans la perspective du Centenaire du génocide en 2015, on ne peut pas être optimiste en ce qui concerne les autorités turques et azéries, et la majorité de la population éduquée par lesdites autorités.

De plus, à notre niveau, en tant que Français d’origine arménienne, nous ne pouvons avoir de relations d’Etat à Etat avec la Turquie : la diaspora n’est pas une structure étatique. Seule l’Arménie peut choisir la politique qui lui convient et mettre en œuvre les relations qu’elle souhaite entretenir avec les représentants turcs.

D’autre part, le terme « réconciliation » est mal choisi. Des amis qui se brouillent peuvent se réconcilier. Dans le cas des Arméniens et « des représentants turcs », il ne s’agit pas de ce champ lexical car cela donne à penser que le passé était idyllique et qu’il suffirait d’un peu de bonne volonté pour le faire resurgir. Or, la population arménienne a vécu pendant des siècles sous le joug des Turcs (qui ont envahi l’Arménie historique à partir du XIe siècle), selon un système oppressif. Les Arméniens n’étaient pas considérés comme des citoyens égaux mais comme des dhimmis, à peine tolérés dans leur propre pays, comme le seraient en fait des étrangers nouvellement arrivés.

Vexations, répressions, discriminations, viols, rapts, conversions forcées, massacres de masse, impôts exorbitants : telle a été la réalité de siècles de cohabitation avec « les représentants turcs ».

Pour autant, même s’il ne s’agit pas de « réconciliation », il nous est désormais aisé de nouer des liens avec des Turcs, mais au niveau personnel. De très courageux intellectuels et militants turcs, sont investis dans la lutte qu’ils partagent avec nous : de véritables amitiés se tissent donc et sont porteuses d’espoir.

Quand Hasan Cemal, petit-fils de Cemal Pacha, l’un des trois membres du triumvirat génocidaire en 1915, va en Arménie visiter le musée du génocide, met des fleurs au mémorial, puis écrit un livre sur le génocide, force est de constater qu’au niveau de certains individus, les choses bougent. Avec eux, la situation n’est plus bloquée. Mais ils sont terriblement minoritaires, et se retrouvent régulièrement en prison (tels l’éditeur Ragip Zarakolu et son fils Deniz. Le premier est en libération conditionnelle et le second toujours derrière les barreaux) ou salis dans la presse extrémiste de leur pays.

Leur position est, hélas, loin d’être celle de l’Etat turc. Ankara manie à merveille le double-langage : entre les déclarations d’intention et la réalité, il y a trop souvent un fossé immense…

 

<=== Entretien avec M. Salvatori, représentant de Liberté pour l’histoire

Entretien avec M. le sénateur Jean-Jacques Hyest ===>