Entretien avec M. le sénateur Jean-Jacques Hyest

<=== Echange avec le collectif VAN (Vigilance Arménienne contre le Négationnisme)

Entretien avec M. Salvatori, représentant de Liberté pour l’Histoire ===>

 

Entretien avec le sénateur Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest, vous êtes sénateur de la Seine et Marne depuis 1995, membre du groupe UMP. Merci de nous recevoir.

Nous souhaitions vous entretenir au sujet du thème de la loi et du génocide arménien, auquel nous nous intéressons dans le cadre d’un travail d’étude de controverse mené aux Mines de Paris où nous sommes élèves-ingénieurs en première année.

L’Assemblée nationale avait adopté en première lecture le 12 octobre 2006 un texte de loi visant à punir d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende les personnes qui contestent publiquement l’existence du génocide arménien de 1915 en complétant le dispositif législatif préexistant de 2001, à savoir une loi réduite à un seul article « La République reconnaît le génocide arménien » (le 29 janvier 2001).

  • Pourquoi ces tentatives de légiférer sur un fait historique qui ne concerne la France que de loin a priori ? Est-ce de l’électoralisme à l’égard de la communauté arménienne ? Existe-t-il un fort lobbying arménien auprès des partis et des assemblées ? Le législateur, s’est-il laissé emporter par une émotion et une compassion tout à fait respectable à l’égard du peuple arménien, victime de terribles massacres autour de 1915 ?

Et bien à toutes ces questions je réponds « oui ». Oui ! C’est vrai. C’est quand même extraordinaire ! Quel besoin a-t-on d’aller légiférer sur des faits qui se sont produits à des milliers de kilomètres de notre pays, en 1915 soit il y a presque cent ans. Vous savez, ce fut très difficile de s’opposer à une telle loi. Il y a une véritable passion dans la communauté arménienne et les revendications de leurs associations contribuent à un très fort lobby arménien en France. Beaucoup d’Arméniens ont par ailleurs émigré en France et ils sont plus de 500 000 d’origine. Ils sont d’ailleurs répartis par régions : il y a une très forte communauté à Marseille et en région parisienne. Il est vrai qu’ils exercent une forte pression sur les législateurs pour faire passer ces lois. Je me souviens, le Président du Conseil Général des Hauts de Seine dont je ne me souviens plus du nom…

Patrick Devedjian,

Oui, c’est cela, et bien, il m’a presque insulté parce que j’étais contre une telle loi. Il ne faut pas être dupe. Voir un tel texte retomber juste avant les élections, ce n’est certainement pas fortuit.

 

  • Ce  texte fut bloqué en 2008 par le gouvernement avant son passage au Sénat. Pourtant, en avril 2011, soit 3 ans après, le texte est étudié au Sénat et vous en êtes le rapporteur, est-ce bien cela ?

 Tout-à-fait. L’Assemblée Nationale avait déjà examinée la proposition de loi en 2006, puis en 2008, le nouveau gouvernement de l’époque n’a effectivement pas souhaité l’inscription à l’ordre du jour. Il arrive fréquemment qu’un texte ne soit analysé que par l’une des deux assemblées. Je veux signaler que dans ce cas, il s’agissait d’une proposition de loi et non d’un projet de loi. Il faut bien faire la différence car j’entends tous les jours la confusion à la radio. Ce n’est pourtant pas compliqué : le projet de loi est déposé par le gouvernement alors que la proposition de loi relève de l’initiative parlementaire. Il y a à peu près une semaine par mois consacrée aux propositions de loi au Sénat. Bon ! Le groupe socialiste aurait pu tenter de le faire inscrire à l’ordre du jour mais il ne l’a pas fait. Je n’en connais pas la raison exacte. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’un certain nombre de socialistes y étaient hostiles. Et puis ça a dû retomber avec les élections.

J’étais effectivement rapporteur du texte de loi devant la commission lorsqu’il a été examiné le 30 mars 2011. En fait, j’étais même président de la commission à l’époque. Je ne le suis plus car comme vous le savez, le Sénat est passé à gauche après les sénatoriales de septembre 2011. A présent, c’est Jean-Pierre Sueur qui en est le président. Mais ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’il a repris exactement les mêmes arguments que ceux de l’exception d’irrecevabilité que j’avais déposée. La Commission des lois avait voté à l’unanimité ma motion d’exception d’irrecevabilité. Et quand la loi est passée finalement au Sénat en 2012, le gouvernement avait fait pression sur tous les groupes pour qu’ils ne déposent pas de recours devant le Conseil constitutionnel. J’en avais même discuté avec le président de l’époque, Nicolas Sarkozy, et lui avais bien dit que je ne transigeais pas avec cela. On s’est fait tiré les oreilles. Mais là encore, le Conseil constitutionnel dans son arrêt a repris les mêmes arguments que moi.

  • Le 4 mai 2011, suite à l’examen du texte en Commission, vous présentez une motion d’exception d’irrecevabilité à la proposition de loi. Quelles en étaient les motifs ?

Il y avait deux grands points sur lesquels le texte était défaillant d’un point de vue constitutionnel. Tout d’abord, il était contraire au principe de la liberté d’opinion et d’expression pour des raisons évidentes. Ensuite, il allait à l’encontre du principe de la légalité des délits et des peines qui précise qu’on ne peut être condamné pénalement qu’en vertu d’un texte pénal précis et clair ; or il est impossible de définir juridiquement de manière précise et claire les actes négationnistes envers le génocide arménien. Est-ce que minimiser, contester certains détails précis, contester certaines dimensions spatiales et temporelles peut être considéré comme de la négation ? Le texte n’était pas clair.

  •  L’article 9 de la loi Gayssot du 13 juillet 1990 qualifie de délit la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité, tels que définis dans le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg, qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de ce statut soit par une personne reconnue coupable de tels crimes. Pourquoi ne pourrait-on pas adopter une mesure similaire à l’égard de ceux qui contestent le génocide arménien ?

Certains ont effectivement mis en avant cette fameuse loi Gayssot que, soit dit en passant, j’avais voté pour à l’époque. La différence avec le génocide arménien réside dans le fait que l’on se repose sur un statut prononcé par le tribunal de Nuremberg et reconnu par tous les pays. Ce n’est pas du tout la même base juridique. On s’appuyait également sur le concept de crime contre l’humanité. Dans le cas du génocide arménien, on a bien sûr le traité de Sèvres de 1920 qui reconnaît plus ou moins le génocide arménien, mais tous les pays ne l’ont pas reconnu, et puis ça n’a pas eu le même retentissement. Et puis honnêtement, la Shoah et le génocide arménien, ce n’est pas la même chose. La Shoah, c’est absolument unique dans l’histoire.  On ne retrouve pas dans le génocide arménien cette volonté systématique et méthodique d’exterminer un peuple à grande échelle par des moyens quasi industriels. Le génocide arménien a été terrible, mais ce n’est pas la même chose. Et la France a été plus directement concernée par la Shoah. Avec le génocide arménien, le terme de « contestation » est trop flou. En effet, la loi vise à pénaliser ceux qui contestent l’existence du génocide. Mais ici qui est véritablement le responsable ? Les débats historiques n’ont pas apporté de réelles conclusions à ces questions. A cause du terme de « contestation » trop vague, la loi n’est pas applicable en vertu du principe de légalité des délits et des peines.

  • Sur la question plus générale des lois mémorielles, nous avons compris que vous approuviez le rapport du président Accoyer de 2008 sur les lois mémorielles, qui a préconisé de renoncer désormais à la loi pour porter une appréciation sur l’histoire ou la qualifier. Quelle est votre position exacte : existe-t-il des lois mémorielles « acceptables » (comme la loi Gayssot ou l’article unique de 2001) et d’autres à proscrire ? Quelles sont les frontières entre la loi et l’histoire ? Où se termine le travail de l’historien et où commence celui du législateur ?

Ah je suis absolument hostile à toutes les lois mémorielles. Et puis dire que « la France reconnaît le génocide arménien » ça n’a ni queue ni tête. Ce n’est même pas une loi. Ou c’est une très mauvaise loi. En effet, une loi, ça doit avoir des implications juridiques. Après, si ça avait été une résolution, ça aurait été différent : je l’aurais voté. Mais les résolutions ne sont possibles que depuis la réforme de la Constitution de 2008. Sur le thème de la loi et de l’histoire, vous noterez que Badinter a eu exactement la même argumentation que moi. On ne refait pas l’histoire. L’histoire, ça se construit par le travail des historiens. A une époque, on disait que le colonialisme venait apporter la colonisation aux peuples sous développés d’Afrique. Maintenant, on change peu à peu d’avis et des aspects sombres du colonialisme font surface et l’emportent sur les bienfaits. On a eu alors la loi Taubira qui est une bêtise. L’histoire est en évolution permanente : le plus compliqué, c’est la colonisation en Algérie, avec les harkis fidèles à la France qu’on a laissé se faire massacrer. Et puis quand on regarde les pieds noirs, ce n’était pas tous des gros colons : certains étaient d’humbles commerçants ou agriculteurs implantés depuis 5 ou 6 générations dont la vie était là-bas.

Mais pour revenir à la question de la loi et de l’histoire, j’ai eu à l’époque l’occasion de recevoir Monsieur … Monsieur… ? Comment s’appelle-t-il déjà ?

Pierre Nora !

Oui voilà, Monsieur Pierre Nora, de l’association « Liberté pour l’histoire ». Alors je me souviens, il nous a dit « mais surtout, ne votez pas cette loi !». En effet, de telles lois mettent en péril la recherche historique qui menace de s’arrêter nette quand le législateur vient s’en mêler. Nous n’avons pas à interférer avec le travail des historiens.

  • Les parlementaires qui ont défendu le projet de loi ont avancé que le dispositif purement déclaratif de 2001 nécessitait également un dispositif coercitif et donc une loi punissant le négationnisme. Pensez-vous que l’article voté en 2001 stipulant que la République reconnaît le génocide arménien peut se suffire à lui-même où qu’il s’agissait également d’une erreur ?

C’était une erreur ! Ah clairement. Car ce n’est pas une loi. Et quand bien même on voudrait en faire une loi, on échouerait pour des raisons constitutionnelles.

  •  Le 22 décembre 2011, l’Assemblée nationale vote ]à une large majorité une nouvelle proposition de loi condamnant la négation du génocide arménien. Cette proposition de loi prévoit encore une peine d’emprisonnement d’un an et 45 000 euros d’amende. Mais cette fois ci, elle est adoptée à son tour par le Sénat le 23 janvier 2012. Comment l’expliquer ?

Le président Sarkozy et le candidat Hollande voulaient le faire passer pour des raisons d’ordre électoral. Ça a été la course à l’échalote. Il y a eu des consignes au sein de certains groupes et on l’a voté. Moi je ne l’ai pas voté avec d’autres. Mais on nous a disputé. Sarkozy m’a critiqué. Surtout au moment du recours devant le Conseil constitutionnel. Je me souviens à cette époque, un soir où j’allais dîner au Rotary club, un arménien m’a pris à parti à l’entrée, m’a insulté etc. On a été obligé de le sortir. Depuis, je me fais fréquemment agresser par des élus d’origine arménienne.

  •  Pensez vous que la communauté arménienne a cru trouver dans la France, patrie des droits de l’homme, un arbitre favorable dans le conflit douloureux qui l’oppose au gouvernement turque depuis bientôt cent ans ? Une réconciliation entre la Turquie et l’Arménie est-elle envisageable ? Comment la France peut-elle y contribuer ?

C’est sûr qu’ils n’ont pas été contents. Mais voilà, on leur vote une loi disant que « La France reconnaît le génocide arménien ». On croit qu’ils vont s’en satisfaire, mais non ! Ils reviennent à la charge en demandant la pénalisation du négationnisme, et puis ça ne s’arrête jamais… Il faut que cette histoire se règle entre les turcs et les arméniens. Le gouvernement turc a fait quelques petites ouvertures. Il faudra qu’il le reconnaisse. J’ai reçu à l’époque l’ambassadeur de Turquie : je lui ai dit, « mais moi je reconnais le génocide arménien et je le dis haut et fort ; si je m’oppose à ce texte, c’est pour des raisons juridiques ». En parallèle, la Turquie demande l’adhésion à l’Europe. Il faut savoir que les premières demandes datent de 1963. Ils ont d’ailleurs fait beaucoup d’efforts ces dernières années surtout en matière de droits de l’homme pour y parvenir. Pour moi c’est impossible : ce n’est pas en Europe géographiquement, et d’un point de vue culturel, c’est trop éloigné aussi. Et bien sûr qu’on se sert de la France comme d’un arbitre. Les arméniens constituent un peuple très solidaire, très soudé, très ancien et possédant une très forte culture propre. Ils sont chrétiens, surtout orthodoxes, très liés, comme toutes les cultures d’ailleurs. Et comme ils sont très implantés en France, ils exercent beaucoup de pression sur le gouvernement, les partis, les parlements …

Nous n’allons pas abuser de votre précieux temps bien davantage ; il nous resterait deux questions à vous poser.

Oh mais pas du tout, je vous en prie …

  •  Un philosophe français, Frédéric Worms, a dit quelque chose d’intéressant. Il a dit, je cite, « Tout d’abord, si la dignité de la personne humaine est bafouée par l’exécution de crimes contre l’humanité, quels qu’ils soient, elle l’est aussi par la contestation de ces mêmes crimes généralement considérée comme l’étape ultime de tout processus génocidaire :  » Le négateur fait au témoin ce que le bourreau fait à la victime  »  ». C’est comme si le négateur retournait un couteau dans la plaie déjà douloureuse d’un peuple qui a été victime de terribles atrocités et poursuivait ainsi l’œuvre des génocidaires. Cela ne mérite-t-il pas d’être puni ? Qu’en pensez-vous ?

Bien sûr, mais il y a des arrêts de la cour de cassation à l’égard des négateurs. La liberté d’expression n’est pas sans borne en France.

Badinter disait justement à ce sujet qu’il est possible de poursuivre en justice ceux qui dans leur affirmation publiques vont à l’encontre de la bonne foi, de la rigueur, de l’examen approfondi des sources nécessaires au travail de l’historien …

Oui, Badinter a tout-à-fait raison sur ce point. Il est déjà possible de sanctionner. Et c’est une des raisons pour lesquelles on n’a vraiment pas besoin de ces textes.

  • Hollande a reçu le 12 novembre dernier le président arménien Serge Sarkissian et il aurait promis de faire voter ce projet de loi même si pour l’instant il n’est pas à l’ordre du jour ? Va-t-on assister au même scénario ? Vous y opposerez vous avec la même fermeté si le texte était encore débattu au Sénat ?

Je ne vois vraiment pas comment ça se ferait. Ça ne peut pas marcher. On ne peut pas revenir sur une décision du Conseil constitutionnel. Ou alors, il faudrait présenter un autre texte, mais ce serait un texte édulcoré. Non, je ne vois vraiment pas comment ce serait possible. C’est encore une de ces promesses que certains font dans certaines occasions, sans trop y réfléchir. Et puis Fabius y est opposé car les relations sont déjà suffisamment compliquées avec la Turquie. D’ailleurs, je ne connais pas beaucoup de ministres des affaires étrangères qui seraient favorables à une telle loi …

 

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