Les attentes et influences des fans

1. Spectateurs et supporters

On peut différencier deux principaux individus dans le public du football : le spectateur et le supporter. Le premier terme est défini par le dictionnaire Larousse comme « une personne qui se contente d’observer et ne participe pas à l’action », quand le deuxième terme est défini par « une personne qui encourage une équipe, un concurrent ». Ainsi, il existe une différence notable entre ces deux éléments du public. L’un reste passif et attend de voir un spectacle, quand l’autre est actif et contribue à rendre le spectacle plus attractif.

a) Le spectateur et ses attentes

Le spectateur vient pour un spectacle, il n’a donc pas envie de venir au stade lorsque le club ne joue pas bien. En revanche, lorsqu’il désire aller voir un match de football, il est prêt à consommer davantage (sandwichs, boissons…) pour regarder le jeu de la manière la plus confortable possible. Il est ainsi une source de revenus plus importante pour le club que le supporter, lorsque le spectacle (et donc les résultats de l’équipe) est au rendez-vous. De plus, il regarde fréquemment les matchs à la télévision (et paye donc les chaînes payantes pour pouvoir les regarder) dans l’espoir toujours de voir du beau jeu produits par de grands joueurs.

Néanmoins, il regarde également le football pour la passion que le sport génère et l’ambiance qui accompagne les soirées de foot. Ainsi, le spectacle est non seulement représenté par des joueurs talentueux proposant un football spectaculaire et séduisant, mais est également caractérisé par l’ambiance proposée par les supporters.

b) Le supporter et ses attentes

Pour participer au spectacle, le supporter doit se trouver au stade. Il participe donc non seulement au spectacle en y rajoutant un certain folklore, mais il remplit également des enceintes parfois vides lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous (ainsi, alors que l’affluence moyenne de la saison 2013/2014 est de 71,5% en Ligue 1[1], celle de la Ligue 2 est de 40,4%[2]), et est donc une source de revenus presque constante pour le club.

Mais le supporter est profondément attaché aux valeurs et à l’histoire de son club. Pour lui, celui-ci doit donc respecter ce qui fait son histoire, comme la couleur de son maillot, son stade et son appartenance à sa ville et à son pays. Ainsi, en 2010, la présentation du nouveau maillot du PSG, démuni de sa traditionnelle couleur rouge, avait provoqué l’ire des supporters. Cette attache des supporters aux valeurs du club (et plus particulièrement de son attache à la ville) a atteint son paroxysme en 2005, lors de l’achat du Manchester United Football Club par la famille Glazer. Famille américaine, les Glazer sont perçus par une partie des supporters de Manchester comme profanes en matière de ballon rond, et suspectés de ne racheter le club que pour faire des profits. En réponse à cette dénaturation de « leur » club, une partie des fans de Manchester United a décidé de fonder un nouveau club de football : le Football Club United of Manchester, basé sur sept principes :

• Les dirigeants sont élus démocratiquement par les supporters.

• Les décisions seront prises en respectant le principe : un homme, un vote.

• Le club développera une relation forte avec la communauté locale, sans aucune discrimination.

• Le club veillera à pratiquer des prix d’entrée accessibles.

• Le club encouragera une participation des jeunes et des gens du cru, sur le terrain et dans les tribunes.

• Les dirigeants veilleront à ne pas verser dans la commercialisation à outrance.

• Le club restera toujours une association à but non lucratif.

Ainsi, l’obsession du supporter n’est pas de voir des superstars jouer au foot. Il veut pouvoir s’identifier à son équipe, se sentir proche d’elle, garder une véritable liaison avec son club. A ce sujet, Patrick Razurel nous a ainsi confié : « En Angleterre, les Emirs sont arrivés avant de venir ici. Moi, en tant que passionné de football, ça ne me fait pas rêver. Alors bien sûr, ça fait venir les très grands joueurs, mais le PSG n’a plus d’âme. Il a aseptisé son stade ».  C’est bien cette âme que le supporter recherche, cette entité métaphysique qui entre souvent en désaccord avec le football-business.

2. Le rapport du club au public

Le club de football doit donc satisfaire deux types de public. Pour attirer des spectateurs et générer des revenus plus importants, il doit être capable d’attirer des stars et produire du spectacle, mais pour garder un socle durable de supporters et maintenir par là même un certain spectacle dans les tribunes, il doit satisfaire ses fans et rester fidèle à son histoire et son ancrage local. Il doit également laisser les places à un niveau abordable même pour les classes sociales les plus défavorisées, afin de garantir la possibilité au supporter d’aller dans les tribunes. A ce sujet, Pape Diouf écrit à propos d’une augmentation des prix des abonnements qu’il aurait pu décréter lors de sa présidence à l’OM (entre 2004 et 2009) : « le football doit rester populaire, et ma conviction était qu’en augmentant le prix des abonnements, le club n’aurait pas gagné beaucoup plus et aurait braqué ses supporters de manière inutile »[3]. Ainsi, si l’argent du spectateur permet au club de progresser financièrement et donc sportivement, l’absence de supporters peut s’avérer dévastatrice lorsque les résultats ne sont pas là. Au sujet des tribunes du FC Metz d’autant plus clairsemées que le club était en National en 2012/2013, Patrick Razurel nous a ainsi déclaré « Dans le sport, il faut supporter son équipe quand elle va moins bien ! Quand elle va bien, elle n’a presque pas besoin de supporters ! ».

Pour faire perdurer un lien avec les supporters, certains clubs européens leur accordent un certain pouvoir au sein de l’institution. Ainsi, à Marseille, la gestion des virages (les tribunes situées derrière les buts) est laissée aux différents clubs de supporters depuis le passage de Bernard Tapie au club. En Espagne, les plus grands clubs comme le Real de Madrid ou le FC Barcelone sont gérés par les « socios », les adhérents du club. Ils payent au club une indemnité allant de 700 à 1000 euros l’année, ont une place réservée au stade et votent les décisions importantes du club. Ainsi, le président est élu par les socios, un socio équivalant à une voix. Ce système permet de garantir l’identité du club et son rapport à ses supporters. D’une certaine manière, le club appartient aux supporters.

Néanmoins, pour parvenir à satisfaire la demande de spectacle du spectateur, le club de football doit générer de l’argent, ce qui peut entraîner un conflit avec sa base de supporters. Par exemple augmenter le prix des places, créer de nouveaux maillots (pour augmenter les ventes) à des prix toujours plus élevés (le prix du maillot de l’OM, par exemple, est de 80 €), mettre toujours plus de sponsors sur celui-ci, ou introduire le « Naming » des stades, c’est à dire vendre pour une certaine durée le nom d’un stade à une entreprise (par exemple l’Allianz Arena à Munich ou l’Emirates Stadium d’Arsenal).

Afin de parvenir à satisfaire ces deux parties du public, Patrick Mignon écrit qu’ « à ce scénario d’un stade rempli de spectateurs à haut pouvoir de consommation ou de décision, pourrait s’opposer l’assistance gratuite au stade, pour produire un bon décor aux retransmissions télévisées et avoir le fameux douzième homme à la télévision » [4] . De cette manière, non seulement le supporter retrouverait un rôle primordial pour l’équipe, mais celui-ci servirait d’autant plus à la promotion de son club.

La régulation du football a ainsi un impact important sur le rapport du club au public. La mondialisation du football due à l’arrêt Bosman encourage les clubs à acheter des stars afin d’attirer des spectateurs, au détriment de son ancrage local et de son rapport avec ses supporters historiques.

[1] LFP.fr, Affluences Ligue 1

[2] LFP.fr, Affluence Ligue 2

[3]  Pape Diouf « C’est bien plus qu’un jeu ». Grasset, mars 2013, n°101, p.89-104

[4]  Patrick Mignon « L’argent du football ». Pouvoirs, février 2002, n°101, p.89-104

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