Des intermédiaires de la valeur : les agents de joueurs dans le monde du football

A la fin du marché estival, et quelques jours avant que le transfert n’aboutisse, Michel Seydoux accablait l’entourage du joueur en déclarant « Florian Thauvin est très mal conseillé. (…) Ce n’est pas un smicard ni un chômeur, il doit respecter son employeur. Son entourage n’adopte pas la bonne conduite. Je ne connais pas le problème de ce Adil, celui qu’il appelle « Tonton », et je ne sais pas s’il s’agit d’une question de fric ou d’ego ».

1. Le rôle des agents de joueurs

Dans un marché économique, la valeur marchande d’un objet est définie par la loi de l’offre et de la demande, et de nombreux outils permettent aux acteurs économiques d’évaluer cet objet. Le marché du football a la particularité d’être asymétrique, c’est à dire que certaines parties (club acheteur, club vendeur, joueur) manquent d’informations Pour le joueur, il est difficile d’évaluer son propre niveau et, en règle générale, il ne connait pas le salaire de ses partenaires au moment de signer son contrat. Pour un club, il est difficile de mesurer le talent d’un joueur, sa personnalité et donc sa capacité d’adaptation, son professionnalisme et même son état de santé. C’est là qu’interviennent les agents de joueurs. Le rôle d’un agent est ainsi de réduire l’incertitude liée à ce manque d’information et faciliter les accords.

La plupart du temps, ce sont les joueurs qui demandent l’aide d’un agent, et son rôle peut-être très diversifié. Il va ainsi représenter le joueur lors des négociations de son contrat, mais peut également gérer le patrimoine du joueur, gérer son image et le mettre ainsi en relation avec des marques désireuses de s’associer avec lui. Néanmoins, il n’est pas rare que les clubs de football eux-mêmes se tournent vers les agents comme des intermédiaires, notamment lors de transferts internationaux. En échange, l’agent du joueur prendra une commission avoisinant généralement les 10% du montant du transfert ou de la prime à la signature. Ils ont ainsi un rôle essentiel au sein du marché des transferts, c’est par leur action que celui-ci devient si important.[1]

2. La législation en vigueur : le rapport entre agents et autorités sportives et publiques

Avant 2000, il n’était pas nécessaire d’être licencié pour être agent de football. Le métier était alors réservé, comme le déclare Eric Conti dans une interview à aworldoffootball, « essentiellement à des anciens joueurs, qui ont un gros réseau mais n’ont pas forcément le côté juridique et le côté gestion » [2]. Depuis, le milieu est plutôt composé de spécialistes ayant une assez grande connaissance des enjeux juridiques, qui sont capables de voir les enjeux d’un contrat.

Il faut en effet avoir une licence décernée par la FIFA pour pouvoir exercer le métier, et une auprès de la FFF pour être agent en France, conformément à la loi n°2000-627 du 6 juillet 2000. Un diplôme d’agent est décerné, et une école d’agents de joueurs existe même en France depuis 2009.

Malgré tout, selon Patrick Razurel, délégué général du FC Metz, « il doit y avoir 350 agents licenciés FIFA, mais en réalité 1500 ». Il est en réalité extrêmement difficile pour l’instance internationale de vérifier le bon respect du règlement. Dans ce sens, à l’horizon 2015, la FIFA va abandonner le système de licence d’agent de joueur faute de ne pouvoir l’appliquer réellement. En France néanmoins, le métier d’agent dépendant également de l’Etat, ce système sera conservé en vertu de la loi n°2000-627 du 6 juillet 2000.

3. Les « gardiens » de la valeur : repérer et conserver en fidélisant le joueur

Les agents de joueur cherchent généralement à recruter leurs protégés dès le plus jeune âge, dans les divers centres de formation, d’abord afin de créer une attache particulière avec le joueur, ensuite parce qu’un joueur déjà confirmé a en général déjà un représentant, la concurrence étant très importante dans le milieu. Cela peut entraîner certaines dérives, l’agent de joueur promettant monts et merveilles à l’adolescent et à ses parents, leurs faisant prendre des choix souvent difficile (partir dans un grand club à l’étranger dès 14 ans), avec des résultats qui ne sont pas toujours là. Il y a à cette période de la vie du joueur de football (du moins joueur en devenir), une première opposition entre les agents de joueur et les clubs de football. Ces derniers cherchent ainsi à protéger leurs jeunes joueurs des conseils mal avisés que peuvent leur faire un entourage peu scrupuleux. Dans un entretien qu’il nous a accordé, Patrick Razurel nous a ainsi déclaré :

« Les agents vont directement au contact des parents, et le football génère tellement d’informations relatives à l’argent que les parents ont l’impression de gagner au loto. Les agents sont assez malins pour vendre aux parents le fait que l’enfant va devenir un grand et riche joueur. […] Tous nos jeunes joueurs sont approchés par des agents pour signer dans des clubs étrangers. Ceux-ci ont d’ailleurs dressé une toile d’araignée sur la France. Les matchs de toutes les catégories de jeunes nationaux, jusqu’aux U13 et U12, sont regardés par des agents. Les parents sont toujours sollicités, sans arrêt. Il est alors très difficile pour nous de convaincre les parents du bienfait de rester chez nous, proche de ses parents »

Néanmoins, les clubs de football ne peuvent pas se passer des agents de joueurs, et mettent volontiers leurs différents de côté lorsqu’ils veulent recruter un footballeur. Et même, comme nous le confiait Patrick Razurel, « bien qu’il existe des lois draconiennes encadrant le métier d’agent, les clubs, à partir du moment où ils veulent un joueur, sont prêts à négocier avec n’importe quel intermédiaire ». Les agents facilitent ainsi le travail des clubs acheteurs, quand ils gênent parfois le club d’origine du joueur. On retrouve cette polarité dans le cas du transfert de Florian Thauvin. Aux propos accusateurs des dirigeants lillois viennent s’opposer ceux de Vincent Labrune, président du club marseillais, dans Le Parisien en septembre dernier: « Il est un peu à Florian Thauvin ce que j’étais pour Robert Louis-Dreyfus, un défenseur fidèle de ses intérêts ».

Il est par ailleurs à noter que l’agent du jeune joueur s’est exprimé a posteriori, précisant qu’il n’était pas agent de joueur mais conseiller de l’international espoir et ajoutant dans le Parisien qu’il n’a « pas touché un centime d’euro sur le transfert de Florian Thauvin à l’OM. Il y a eu 0% de commission ».

Malgré tout, le Lille Olympique Sporting Club se retrouve bloqué entre l’obsession de l’Olympique de Marseille à recruter Florian Thauvin, et la volonté du joueur à rejoindre le club phocéen.

[1]  Brocard, Jean-François. « Marché des transferts et agents sportifs : le dessous des cartes »

[2] Aworldoffootball, Août 2012

 

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