Florian Thauvin, un travailleur libre ?

De l’avis général dans le milieu du football et, quelques soient les raisons et la durée de contrat restant, il est très compliqué de garder un joueur contre son gré, a fortiori si celui-ci part au terme d’un bras de fer contre son club. Cela a été le cas de Florian Thauvin, qui, comme nous l’avons expliqué précédemment, a décidé de sécher les entraînements pour obliger le président Seydoux à revenir sur sa position.

1. La valeur du contrat entre un joueur et son club

L’appartenance d’un joueur à un club se caractérise par un contrat signé entre les deux parties au préalable. Entre 1932, début de l’ère professionnelle en France, et aujourd’hui, les enjeux de ces contrats ont bien évolué. En effet, les joueurs ont pendant longtemps été propriété à vie de leurs clubs. Ils étaient formés et finissaient pour la plupart dans leur club, les départs étant très peu fréquents. Le club avait alors pleine autorité sur le joueur et décidait si oui ou non celui-ci pouvait quitter le club. Il y avait alors clairement un ascendant du club sur le joueur, ce qui lui permettait de négocier les salaires vers le bas. En Angleterre, un Salary Cap (plafond de salaire) était même instauré et fixé à £12 par semaine. Ce n’est qu’en 1953 que Jimmy Hill, ailier anglais transféré de Brentford à Fulham, dépasse ce plafond en gagnant £20 par semaine [1], somme déjà jugée indécente par le public de l’époque. En 1961, le Salary Cap est aboli et le milieu offensif international obtient le plus gros salaire de l’époque : £100 par semaine. Dans les années 1960 se créent alors les premiers syndicats de joueurs, dont en France l’Union Nationale des Footballeurs Professionnels (UNFP), qui parvient à négocier en 1969 l’instauration du contrat à durée déterminée. Parallèlement, les syndicats de joueurs anglais parviennent à obtenir une hausse des salaires à la fin des années 1960, et grâce à l’abolition du Salary Cap, Manchester United augmente en 1968 le Ballon d’Or formé au club Georges Best, icône à la fois footballistique et médiatique (voir par ailleurs), qui gagnera un salaire de 1200€ par mois. Néanmoins, jusqu’en 1978 et malgré les velléités des syndicats anglais, le contrat à durée déterminée n’existe toujours pas Outre-Manche. Il faudra attendre 1974 et le célèbre article « L’esclave blanc » du joueur écossais de Leeds United Billy Bremner, déclarant notamment qu’ « il n’y a pas de raison de faire de discrimination entre les hommes et les footballeurs », pour que le gouvernement intervienne en envoyant des observateurs étudier en France les conséquences du CDD.

Grâce au contrat, les joueurs sont liés aux clubs de manière contractuelle. Ils ont de plus un double statut, celui de travailleur pour le club qui les paye, mais également celui de marchandise. Les joueurs peuvent en effet être transféré, dans le cas où un club acheteur propose de racheter son contrat au club d’origine, que ce dernier accepte, et que l’acheteur offre un nouveau contrat que le joueur accepte. Il faut alors avoir un accord tripartite  pour qu’un transfert se réalise.  L’avantage du CDD réside dans la durée limitée du contrat. Si un joueur décide d’aller au bout de son obligation, il peut alors changer de club sans qu’aucune indemnité ne doive être versée à son club d’origine, et donc sans être dépendant de celui-ci. Son instauration dans le football français est donc un évènement majeur, qui modifie le rapport de force entre le club et le joueur. Ce n’est malgré tout pas encore le cas en Europe, où dans la plupart des fédérations, même à la fin de sont contrat le joueur ne peut pas quitter son club sans l’accord de celui-ci, qui se traduit le plus souvent par une indemnité financière versée par le club acheteur.

De plus, pendant les années 1980, la situation au sein de l’Europe évolue assez peu, chaque fédération n’autorisant qu’un nombre limité de joueurs étrangers dans les équipes de football. Ainsi, en 1981, la Fédération Française de Football interdit aux clubs d’aligner plus de deux joueurs étrangers sur la pelouse. En 1992, devant les remontrances de la Commission Européenne , l’UEFA obtient un accord et le règlement stipule alors que les équipes pourront aligner trois joueurs étrangers, et deux joueurs étrangers ayant passé au moins deux ans dans les équipes de jeunes d’un club. Ce n’est qu’en 1995 que la situation évolue réellement, avec l’arrêt Bosman.

2. L’arrêt Bosman ou la fabrique d’une jurisprudence sur la « liberté » des joueurs

L’arrêt Bosman est rendu en 1995 par la Cour de justice des Communautés Européenne (CJCE) pour régler un litige entre le footballeur Jean-Marc Bosman et le FC Liège. En 1990, le premier nommé arrive en fin de contrat avec le club liégeois, et ce dernier lui propose une prolongation, faisant passer son salaire de 3 000€ à 500€ par mois. Bosman refuse et le club le place sur la liste des transferts (liste tacite, le club disant simplement qu’il est prêt à vendre le joueur), et demande une indemnité de 300 000€. Finalement, l’US Dunkerque parvient à négocier avec Liège un prêt payant de 30 000€, et un salaire avec le joueur de 2 500€ mensuels. Doutant de la solvabilité financière de l’US Dunkerque, le RCF de Liège parvient au dernier moment à faire capoter le transfert, et exclut Bosman de son effectif. Celui-ci est donc privé de toute compétition pour la saison suivante, et décide de déposer un premier recours à un juge national pour demander la possibilité d’un joueur de quitter le club sans son accord une fois le contrat terminé. Finalement, l’affaire arrive devant la CJCE en 1995, et requiert de vérifier à la fois la conformité du système de transfert, et la règle du « 3+2 » évoquée précédemment (qui interdit aux clubs d’aligner plus de trois joueurs étrangers, et deux joueurs étrangers ayant passé au moins trois ans dans les équipes jeunes du club).

Invoquant l’article 48 du traité de Rome sur la libre circulation des travailleurs en Europe, la Cour donne raison au joueur, transformant du même coup le marché des transferts : les footballeurs européens sont alors libres d’aller jouer dans les clubs de leurs choix. De cette manière, la CJCE change radicalement le visage du marché privé du football européen. Si un club de football souhaite récupérer une indemnité indexée sur la valeur marchande du joueur (que nous essayeront d’estimer dans la suite), il doit parvenir à le vendre avant la fin de son contrat. De plus, l’abolition de la règle du « 3+2 » permet aux clubs d’aligner autant de joueurs étrangers européens qu’ils le souhaitent, ce qui va abolir les frontières et augmenter la concurrence tant sur le plan du salaire que sur la plan de l’indemnité de transfert, entre les différents clubs européen.

Dorénavant, le rapport de force entre clubs et joueurs est dans une majorité des cas à l’avantage des seconds nommés. En effet, si un joueur de football est désiré par plusieurs clubs, il peut alors poser ses conditions pour tenter de faire monter les enchères, et ainsi obtenir par exemple un meilleur salaire. C’est notamment ce qu’ont reproché les dirigeants lillois à Florian Thauvin, arguant que contrairement à ses dires, l’espoir français ne souhaitait non pas jouer à Marseille par passion, mais par vénalité :

« J’ai pourtant entendu Thauvin déclarer qu’il pourrait jouer à Marseille pour la même rémunération qu’à Bastia. Et pourquoi les discussions autour du salaire et des primes inflationnistes se sont-elles alors éternisées entre le clan du joueur et l’OM le dernier jour du mercato ? [2]»

 

3. Clubs et joueurs : des intérêts parfois différents

A l’été 2013, Florian Thauvin est donc contractuellement lié avec Lille jusqu’en 2017, pour un salaire mensuel d’environ 45 000 euros. L’Olympique de Marseille s’intéresse alors au joueur, et en fait la priorité de son mercato. C’est un club qui lui propose à la fois un salaire plus important, et un challenge sportif plus intéressant de par sa participation à la ligue des champions suivante. L’offre est séduisante pour le joueur, qui affiche sa volonté de rejoindre le club marseillais malgré l’opposition de son club, ce dernier refusant plusieurs offres de Marseille (dont une évaluée à 10 millions d’euros). Le joueur entre alors dans un bras de fer avec Lille, s’estimant lésé par un club qui refuse de lui laisser sa liberté de joueur. Sa seule solution pour cela est, en attendant la fin du mercato d’été (qui a lieu en Europe entre le 1er Juillet et début Septembre, en 2013 la date limite était le 2 Septembre), de ne pas se présenter aux entraînements du LOSC. A ce moment là, les dirigeants lillois sont conscients qu’il sera très compliqué de le retenir. En effet, non seulement la valeur marchande du joueur diminuerait  en cas de sanction lourde (par exemple le faire jouer quelques mois avec l’équipe réserve), mais même sportivement, ses coéquipiers n’acceptant pas son comportement, ils auraient quelques réticences à l’accueillir dans l’équipe. En effet, le capitaine de Lille a publiquement déclaré à son égard, le 1er Septembre, au cours d’une émission de Canal+: « S’il revient, il faudra une discussion vis à vis des joueurs. Vous me dites qu’il se sent mal, mais c’est un grand garçon, il faut qu’il assume ce qu’il fait. Je pense qu’il fait ça avec conscience, et je pense qu’il le regrettera plus tard ».

De tels évènements sont assez fréquents dans le milieu du football, lorsqu’un joueur désire rejoindre un autre club. La plupart du temps, les différents parties trouvent un arrangement et le club laisse partir le joueur, comme le souligne le rapport de l’Union Européenne sur les Aspects économiques et juridiques des transferts de Janvier 2013 : « Il existe peu de preuves d’un nombre important de conflits juridiques au niveau national en lien avec les transferts entre les clubs et les joueurs. Dans le football, 90% des conflits du travail sont liés au non-paiement de salaire. Les litiges sont habituellement résolus à l’amiable et de ce point de vue, les mécanismes d’arbitrage équitables doivent être encouragés ».

4. Les arbitres du football

En cas de litige contractuels entre clubs et joueurs, il est alors possible de saisir la Chambre de Résolution des Litiges de la FIFA (CRL). Si l’une des parties souhaite faire appel d’une décision de la CRL, elle peut porter l’affaire devant le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), situé à Lausanne. Comme le dit le code du TAS : « La sentence, notifiée par le Greffe du TAS, tranche définitivement le litige. Elle n’est susceptible d’aucun recours dans la mesure où les parties n’ont ni domicile, ni résidence habituelle, ni établissement en Suisse et ont expressément renoncé au recours dans la convention d’arbitrage ou dans un accord écrit conclu ultérieurement, notamment en début de procédure ». Il n’y a donc alors plus de recours sportif possible une fois le litige réglé. Néanmoins, comme l’a montré l’arrêt Bosman, et même si ce n’est pas courant, les deux parties ont toujours la possibilité de saisir la justice civile.

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[1] Sportune, Septembre 2013

[2]  Le président Seydoux, Septembre 2013