La stratégie de Lille : survaloriser le joueur

1. La valeur incertaine des joueurs

Comme nous l’avons expliqué précédemment, le marché du football est asymétrique. La plupart des informations sur un joueur étant indisponibles, il est impossible de déterminer rigoureusement la valeur du joueur. Néanmoins, quelques critères permettent de donner une fourchette de prix, en fonction de certaines caractéristiques (malgré tout imprécises), comme son talent de footballeur, sa particularité, son âge, son expérience au plus haut niveau, le championnat et le club dans lequel il joue, sa santé physique, sa personnalité, la durée restante de son contrat et la situation actuelle du marché des transferts.

Le montant des transferts dépend de nombreux critères. Voir aussi : notre calculateur

Le talent de footballeur et sa particularité sont des valeurs très subjectives,  qui font forcément débat entre les différents acteurs. Afin de faire baisser les prix, le club acheteur va essayer de montrer que le joueur n’est pas aussi bon que ce que le club vendeur prétend. De même, il va essayer de montrer qu’il existe plusieurs joueurs semblables qu’il pourrait acheter, et donc qu’il n’a pas absolument besoin de ce joueur là. Il y aura ainsi concurrence sur le marché entre différents clubs vendeurs ce qui fera baisser le prix d’achat.

L’âge du joueur est une donnée incontestable. Plus le joueur est jeune, plus sa marge de progression est importante, plus la durée du nouveau contrat pourra être longue (sans que le joueur ne doive partir à la retraite).

L’expérience du joueur l’est également, sa personnalité et le championnat dans lequel il joue sont des facteurs importants, car ils réduisent l’incertitude entourant le joueur quant à sa capacité à s’adapter au plus haut niveau. Lorsqu’un joueur a été régulièrement bon en première division d’un grand championnat, le club acheteur est à peu près sûr qu’il n’aura pas de problème d’adaptation et qu’il sera très vite au niveau requis. De même, un joueur réputé difficile à intégrer dans un vestiaire risquera d’envenimer l’ambiance, ce qui aura probablement des conséquences sur le terrain.

La santé est essentielle également. Un joueur régulièrement blessé est moins utile au club car il jouera forcément moins, donc son prix sera moins élevé.

La durée du contrat fait varier considérablement le montant du transfert. D’une certaine manière, le club rachète les années de contrat restant au joueur dans son club d’origine. Ainsi, un joueur dont le contrat arrive à terme un an plus tard (et qui sera donc libre de s’engager sans indemnité chez un club rival) coûtera nécessairement moins cher qu’un joueur engagé pendant cinq ans avec son club.

De par ces caractéristiques, on peut définir plusieurs types de joueurs.

2. Les différents types de joueurs

Comme le montre le rapport de la Commission Européenne, on peut distinguer trois marchés de joueurs différents : le marché primaire supérieur, le marché primaire inférieur et le marché secondaire.

a) Le marché primaire supérieur

Conformément à ce que dit le rapport, c’est le marché « sur lequel un nombre limité de joueurs (les “superstars”) fait face à un nombre limité de clubs, se caractérise par une structure monopolistique. Sur ce marché, les joueurs (et leurs représentants) ont un pouvoir de marché très important. C’est sur ce segment que l’on retrouve les indemnités de transferts et les salaires les plus élevés ». Les superstars sont donc en situation de monopole et peuvent imposer un certain salaire aux clubs. Ceux pouvant se les offrir sont peu nombreux, il s’agit des clubs européens les plus riches.

Mais comment définit-on la superstar ? Il a été question précédemment de Georges Best, que l’on peut considérer comme la première vraie star du ballon rond. L’Irlandais brilla en effet tant par son génie sur le rectangle vert, qui fit rêver les supporters du Manchester United des années 1960, que par sa personnalité de pop star. Celui que l’on surnomme alors le « cinquième Beatle » profite de son statut de sex symbol pour devenir le premier footballeur à tourner dans des spots publicitaires, et devient la première attraction de son club, devant la légende anglaise Sir Bobby Charlton. Ses frasques extra-sportives participent à son mythe, celui-ci passant l’essentiel de son temps non pas à l’entraînement, mais à faire la fête et boire de l’alcool. Il déclarait ainsi « En 1969, j’ai arrêté l’alcool et les femmes. Ca a été les vingt minutes les plus longues de ma vie ».

La description de ce footballeur resté dans la légende permet d’établir une première variété de joueurs, la « superstar ». C’est un joueur tant génial sur le terrain que charismatique en dehors. Il permet à son équipe de gagner à la fois des matchs et de la renommée de par ses retombées médiatiques. Aujourd’hui, on peut citer dans cette catégorie des joueurs comme Cristiano Ronaldo, transféré de Manchester United au Real Madrid pour 94 millions d’euros, Lionel Messi dont le prix de transfert a été fixé dans le contrat par le FC Barcelone à 250 millions d’euros [1], et d’autres joueurs de très haut niveau.

b) Le marché primaire inférieur

C’est le marché « sur lequel un nombre limité de joueurs (les bons joueurs expérimentés) fait face à un grand nombre de clubs, se caractérise par une structure oligopolistique. Les joueurs (et leurs représentants) ont un pouvoir de marché moins important que celui des  « superstars » ». Après une année en Ligue 1, c’est dans cette catégorie que l’on peut classer Florian Thauvin. Bien loin du statut de « superstar » que nous avons cité plus haut (il n’a malgré tout pas assez prouvé au plus haut niveau, et n’a encore ni le charisme ni l’image d’une superstar), il n’en demeure pas moins sollicité par un certain nombre de clubs, et est déjà capable de négocier un salaire élevé.

c) Le marché secondaire

C’est le marché « sur lequel un grand nombre de joueurs fait face à un nombre limité de clubs, se caractérise quant à lui par une structure oligopsonistique. Sur ce segment, ce sont les clubs qui ont le plus grand pouvoir de marché afin de déterminer les prix (indemnités de transfert et salaires). ». Il y a donc plus de joueurs que de clubs de football. Sur ce marché, on peut considérer que chaque joueur est remplaçable, ce qui fait nécessairement chuter le prix des joueurs. La majorité des joueurs des clubs de bas de tableau de Ligue 1, et des divisions inférieures fait partie de ce marché, que l’on peut considérer masqué par les marchés primaires. Aujourd’hui, l’UNFP recense en France 306 joueurs professionnels et 86 joueurs fédéraux (c’est à dire semi-professionnels : ce sont des joueurs jouant dans des clubs ayant le statut amateur mais percevant malgré tout une rémunération financière) libres de tout contrat.

3. La situation entre Lille, Thauvin et Marseille

A l’hiver 2013, Lille achète donc Thauvin, qui a alors effectué six mois en Ligue 1 pour un montant de 3,5 millions d’euros, et le prête dans la foulée à Bastia pour une durée de six mois. A l’été, Marseille souhaite donc l’acheter, le LOSC refuse, et Thauvin sèche l’entraînement. Marseille fait plusieurs propositions à Lille. Une première évaluée à 4,5 millions d’euros [2] (en réalité une offre de 12,5 millions d’euros pour Payet et Thauvin, le premier étant évalué à 8 millions d’euros par le club marseillais) au milieu du mois de Juin, refusée par les Lillois. Vers la fin du mois d’août, une offre de 8 millions d’euros plus 2 millions de bonus[3] aurait été à nouveau refusée par le LOSC, avant que, le 2 Septembre (soit le dernier jour du mercato), Lille n’accepte une offre évaluée à hauteur de 13 millions d’euros, et que le joueur ne signe un contrat de cinq ans avec l’Olympique de Marseille [4]. A la lumière de ces chiffres, une question se pose : comment Lille a-t-il pu tirer un tel prix du joueur ?

Il est possible de reprendre les caractéristiques énumérées précédemment et de les appliquer à Florian Thauvin. A l’été 2013, Florian Thauvin est fraichement champion du monde des moins de 20 ans, et vient d’être élu meilleur espoir de la Ligue 1 par l’UNFP. Son talent de footballeur est donc reconnu par ses pairs et son jeune âge en fait une valeur financière montante. Le joueur semble également en bonne santé et joue dans un club de Ligue 1, et est lié à Lille pour une durée de quatre ans. Malgré tout, son expérience au plus haut niveau est très faible. Il n’a jamais été sélectionné en Equipe de France A et n’est en première division que depuis un an. De plus, on ne peut pas dire que le joueur soit unique sur le marché,d’autres bons jeunes joueurs de Ligue 1 au profil similaire étaient disponibles en Ligue 1, comme Romain Alessandrini à Rennes (que Marseille pistait également en début de mercato avant de s’essuyer au refus du club breton). Enfin, ayant été acheté par Lille 3,5 millions d’euros moins de six mois auparavant, et sans titre majeur entre temps, la valeur de Florian Thauvin ne peut pas avoir plus que quadruplé en si peu de temps. Néanmoins, on a ici une situation où le club vendeur ne souhaite pas vendre, et où le club acheteur est prêt à tout pour acheter. Le club vendeur profite ainsi de la situation et fait monter les enchères. C’est d’ailleurs ce que déclarait le président Seydoux à La Voix du Nord le 26 Août 2013 : qu’il ne vendrait pas Florian Thauvin à moins d’une offre « obscène ». [5]

De plus, ces quinze millions d’euros ne représentent pas la totalité de ce qu’a du payer Marseille pour ce transfert…

4. Ce que Marseille a  payé

Pour un tel transfert, Marseille a également dû payer une commission située entre 6 et 10 pour cent du prix du transfert à l’agent de Florian Thauvin. De plus, une prime à la signature est la plupart du temps négociée entre le club et le joueur. Celle-ci est d’autant plus importante que le prix du transfert est bas, ce qui n’est certes pas le cas ici. Enfin, le salaire du joueur a également dû être revu à la hausse, conformément au montant du transfert. Comme nous le déclarait Patrick Razurel, « si vous achetez un joueur 15M€, il faut mettre le salaire qui va avec ». Au salaire s’ajoutent les charges salariales et patronales, ainsi que l’impôt sur le revenu (le salaire étant dans l’extrême majorité des cas négocié net par le joueur).
Finalement, pour obtenir Florian Thauvin, Marseille aurait déboursé 11 millions d’euros, auxquels viendront se rajouter 2 millions d’euros en cas de revente du joueur, ces 13 millions d’euros vont être répartis entre le club de Lille, l’agent de Thauvin et Thauvin lui-même dans des proportions qui n’ont pas été dévoilées publiquement. A long terme, Marseille devra prendre en charge le salaire de Thauvin, soit pour cinq saisons 5,4 M€ qui vont aller eux à l’Etat et à Thauvin.

[1] FootMercato, Lionel Messi

[2] L’équipe, Juin 2013, Lionel Messi

[3] L’Equipe, Août 2013

[4] L’Equipe, Septembre 2013

[5] La Voix du Nord, Août 2013

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