Impact sur les inégalités

Les smarts-drugs : une déviation de la sphère thérapeutique

Alors que les technologies de stimulation cérébrale (interfaces neuronales, stimulation magnétique transcrânienne, etc) ont encore aujourd’hui une visée exclusivement thérapeutique, les smarts drugs sont depuis longtemps utilisées sans prescription médicale : elles fourmillent sur des marchés en ligne, ou elles sont souvent vendues de manière illégale (Pells, 2016). Par exemple, dans les dernières années, de nombreuses enquêtes ont montré une utilisation croissante de ces stimulants cognitifs dans la sphère éducative : dès 1994, une enquête menée par J. Canterbury and E. Lloyd révèle qu’environ 5% des étudiants mâles américains utilisent des “smart drugs” dans le but d’améliorer leurs résultats. Leur diffusion touche également le domaine sportif, comme le révèlent les nombreux scandales relayés par les médias : au printemps 2003 éclate l’affaire Balco, scandale de dopage dans le sport américain. Si aujourd’hui la plupart des smart drugs ont été interdites dans la sphère sportive, elles se retrouvent entre les mains d’un nombre croissant de jeunes actifs souhaitant faire face à l’anxiété du travail (Quignon, 2016).

Vers des inégalités accrues ?

Ainsi l’utilisation de smart drugs dans un cadre compétitif semble-elle à l’origine non seulement d’inégalités croissantes, mais également d’une pression sociale, voire d’une obligation de consommer pour ne pas se laisser devancer, comme souligné dans Independant par Barbara Sahakian, professeur en neuropsychologie à l’Université de Cambridge. Pour répondre aux inquiétudes de nombreux étudiants se sentant victimes de tricherie, Duke University (Caroline du Nord) a interdit l’utilisation  sans prescription de drogues améliorant les performances cognitives (Sahakian, 2017).

Par ailleurs, les avancées technologiques dans le domaine thérapeutique laissent entrevoir un possible détournement des autres technologies de stimulation cérébrale au profit de la neuro-amélioration. Si ces dernières devenaient accessibles, quels seraient les risques d’accroissement des inégalités inter-individuelles et sociales ? Dans son livre I, Cyborg, rédigé en 2002, Kevin Warwick prédit une division de la société en deux classes :

 “Ceux qui désireront rester humains et refuseront de s’améliorer auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur”,  Kevin Warwick

De même, le CCNE se dit préoccupé par l’émergence d’une “classe sociale améliorée constituée d’une petite minorité” (2014).  Toutefois, dans une critique de l’avis du CCNE publié en 2014, Marc Roux soutient que si la neuro-amélioration est responsable de l’aggravation des inégalités, alors toutes les autres technologies sont condamnables au même titre (Roux, 2014) :

“On tombe là dans le travers de l’organisation Pièce et Main d’Œuvre (PMO) pour laquelle, dans un contexte d’exploitation capitaliste, toute avancée technologique ne peut que servir d’abord le capitalisme et doit donc être combattue. ” Marc Roux

Les perspectives d’un bénéfice universel

Il apparaît donc, comme le souligne Alim-Louis Benabid dans (Institut Diderot, 2017), que la question est plutôt celle de l’usage que l’on peut faire de cette technique si elle apparaît un jour :

S’il s’agit d’aggraver la compétition entre les individus, de permettre à certains de devenir des oppresseurs, ce n’est pas acceptable. Mais les choses devront-elles nécessairement se produire de cette façon ?“  Alim Louis Benabid

Si ces pilules de l’intelligence devenaient plus largement accessibles, peut-être pourraient-elles bénéficier non plus à quelques-uns mais à l’ensemble de la communauté ? Et si plus généralement les technologies de neuro-amélioration permettaient une uniformisation des capacités cognitives dans un contexte où l’intelligence artificielle risque de détruire massivement les emplois ne nécessitant pas de capacités cognitives élevées ? C’est l’hypothèse que défend Laurent Alexandre face à ce dilemme sociétal :

“Que fait-on des gens qui ne savent pas manipuler de la data ? Est-ce qu’on leur donne le revenu universel et ils restent chez eux ou est-ce que l’on augmente les capacités de leur cerveau ? C’est ça l’enjeu du 21e siècle car la démocratie ne pourra pas survivre à des écarts de quotient intellectuel trop important.” Laurent Alexandre

 

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