Un article ciblant les géants du web ?

La directive européenne sur le droit d’auteur sur internet, et notamment son article 13, visent avant tout les plus grandes entreprises d’internet diffusant du contenu en ligne : notamment Google, Facebook, Twitter, Amazon — qui possède Twitch.
La directive européenne sur le droit d’auteur sur internet, et notamment son article 13, visent avant tout les plus grandes entreprises d’internet diffusant du contenu en ligne : notamment Google, Facebook, Twitter, Amazon — qui possède Twitch.
Des critiques sur le champ d’application large du texte
Des critiques sur le champ d’application large du texte
Cependant, dans les premières versions du texte, le champ d’application de l’article 13 s’étendait bien au-delà des plus grosses entreprises du Web : ainsi, le texte s’appliquait aussi bien aux entreprises commerciales qu’à but non-lucratif, aux plus gros sites qu’à ceux nouvellement créés ou plus confidentiels.
Cependant, dans les premières versions du texte, le champ d’application de l’article 13 s’étendait bien au-delà des plus grosses entreprises du Web : ainsi, le texte s’appliquait aussi bien aux entreprises commerciales qu’à but non-lucratif, aux plus gros sites qu’à ceux nouvellement créés ou plus confidentiels.
Cette absence de distinction a déclenché des campagnes d’opposition à l’article de différents acteurs. D’abord, des ONG et associations de protection des libertés comme l’Electronic Frontier Foundation, via par exemple une lettre écrite en juin 2018 et destinée au président du Parlement Européen Antonio Tajani, pointent du doigt le déséquilibre dans la possibilité d'application du texte entre les plus grosses plateformes, et les nouvellement crées ou plus petites.
Cette absence de distinction a déclenché des campagnes d’opposition à l’article de différents acteurs. D’abord, des ONG et associations de protection des libertés comme l’Electronic Frontier Foundation, via par exemple une lettre écrite en juin 2018 et destinée au président du Parlement Européen Antonio Tajani[1], pointent du doigt le déséquilibre dans la possibilité d'application du texte entre les plus grosses plateformes, et les nouvellement crées ou plus petites.
Ainsi, l’EFF affirme que, tandis que les plus grosses plateformes notamment américaines ont les moyens financiers et techniques de mettre en place des mécanismes de filtrage ou d’établir des contrats avec les ayants-droits, tel n’est pas nécessairement le cas de leurs concurrents notamment européens. La crainte est alors qu’un monopole apparaisse avec l’impossibilité pour de nouvelles plateformes d’émerger, limitant in fine la liberté d’expression sur Internet.
Ainsi, l’EFF affirme que, tandis que les plus grosses plateformes notamment américaines ont les moyens financiers et techniques de mettre en place des mécanismes de filtrage ou d’établir des contrats avec les ayants-droits, tel n’est pas nécessairement le cas de leurs concurrents notamment européens. La crainte est alors qu’un monopole apparaisse avec l’impossibilité pour de nouvelles plateformes d’émerger, limitant in fine la liberté d’expression sur Internet.
La Quadrature du Net, quant à elle, appuie cette position et considère que les plus grosses plateformes comme YouTube ou Twitch ne seront pas substantiellement mise en danger par la directive, car disposant déjà de moyens technologiques de taille pour y répondre. A contrario, des plateformes comme YouTube possèdent déjà des systèmes de filtrage comme ContentID, réalisant déjà effectivement un filtrage automatique.
La Quadrature du Net, quant à elle, appuie cette position et considère que les plus grosses plateformes comme YouTube ou Twitch ne seront pas substantiellement mise en danger par la directive, car disposant déjà de moyens technologiques de taille pour y répondre. A contrario, des plateformes comme YouTube possèdent déjà des systèmes de filtrage comme ContentID, réalisant déjà effectivement un filtrage automatique.
Au-delà de son opposition globale au texte, la Quadrature du Net a donc notamment fait campagne pour que le texte incluse une exception pour les plateformes de petite taille ou non-commerciales, telle PeerTube qu’elle considère être représentant de l’Internet libre et ouvert.
Au-delà de son opposition globale au texte, la Quadrature du Net a donc notamment fait campagne pour que le texte incluse une exception pour les plateformes de petite taille ou non-commerciales, telle PeerTube qu’elle considère être représentant de l’Internet libre et ouvert.
Fait notable, non seulement des organismes de protection des libertés ont alerté du problème du champ d’application considéré trop large du texte, mais aussi des entreprises touchées indirectement par le texte. Ainsi, le service GitHub propriété de Microsoft, permettant aux informaticiens de mettre en ligne et partager leurs codes dans des projets open-source, serait touché par le texte, comme le précise Abby Vollmer, directeur de la politique de GitHub. Celui-ci précise que l’article 13 est particulièrement problématique pour les informaticiens mettant en ligne leurs codes sur GitHub, notamment dû à l’interdépendance de projets qui reposent sur des codes d’autrui, les problèmes posés par la multitude de licences différentes pour les codes disponibles sur GitHub ainsi que les contributions communes.
Fait notable, non seulement des organismes de protection des libertés ont alerté du problème du champ d’application considéré trop large du texte, mais aussi des entreprises touchées indirectement par le texte. Ainsi, le service GitHub propriété de Microsoft, permettant aux informaticiens de mettre en ligne et partager leurs codes dans des projets open-source, serait touché par le texte, comme le précise Abby Vollmer, directeur de la politique de GitHub[2]. Celui-ci précise que l’article 13 est particulièrement problématique pour les informaticiens mettant en ligne leurs codes sur GitHub, notamment dû à l’interdépendance de projets qui reposent sur des codes d’autrui, les problèmes posés par la multitude de licences différentes pour les codes disponibles sur GitHub ainsi que les contributions communes.
Des exceptions et réponses apportées par la Commission
Des exceptions et réponses apportées par la Commission
Somme toute, entre juin 2018 — où ces craintes et vœux sont exprimés par l’EFF et dans la durée par d’autres organismes — et la version finale du texte votée en mars 2019, des évolutions notables dans le texte sont à constater.
Somme toute, entre juin 2018 — où ces craintes et vœux sont exprimés par l’EFF et dans la durée par d’autres organismes — et la version finale du texte votée en mars 2019, des évolutions notables dans le texte sont à constater.
En effet, dans le préambule (62) — recital en anglais — mais aussi dans le corps du texte même — article 2 sujet aux définitions du texte — de la version finale, des précisions sont ajoutées quant à la définition de « fournisseur de services de partage de contenus en ligne », qui de facto amènent des exceptions au champ d’application de l’article 13 :
En effet, dans le préambule (62) — recital en anglais — mais aussi dans le corps du texte même — article 2 sujet aux définitions du texte — de la version finale, des précisions sont ajoutées quant à la définition de « fournisseur de services de partage de contenus en ligne », qui de facto amènent des exceptions au champ d’application de l’article 13 :
« Aux fins de la présente directive, on entend par : « fournisseur de services de partage de contenus en ligne », le fournisseur d’un service de la société de l’information dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu’il organise et promeut à des fins lucratives. Ne sont pas des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne au sens de la présente directive les prestataires de services tels que les encyclopédies en ligne à but non lucratif, les répertoires éducatifs et scientifiques à but non lucratif, les plateformes de développement et de partage de logiciels libres, les fournisseurs de services de communications électroniques au sens de la directive (UE) 2018/1972, les places de marché en ligne, les services en nuage entre entreprises et les services en nuage qui permettent aux utilisateurs de téléverser des contenus pour leur propre usage. »
— Article 2 de la directive
« Aux fins de la présente directive, on entend par : « fournisseur de services de partage de contenus en ligne », le fournisseur d’un service de la société de l’information dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu’il organise et promeut à des fins lucratives. Ne sont pas des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne au sens de la présente directive les prestataires de services tels que les encyclopédies en ligne à but non lucratif, les répertoires éducatifs et scientifiques à but non lucratif, les plateformes de développement et de partage de logiciels libres, les fournisseurs de services de communications électroniques au sens de la directive (UE) 2018/1972, les places de marché en ligne, les services en nuage entre entreprises et les services en nuage qui permettent aux utilisateurs de téléverser des contenus pour leur propre usage. »
Article 2 de la directive
Ainsi, si l’on s’en tient à ces précisions de définitions, les craintes exprimées par la Quadrature du Net concernant PeerTube ou encore GitHub pour l’application du texte aux dépôts de code en ligne semblent prises en compte via une exception à ce que le texte appelle « fournisseur de services de partage de contenus en ligne ».
Ainsi, si l’on s’en tient à ces précisions de définitions, les craintes exprimées par la Quadrature du Net concernant PeerTube ou encore GitHub pour l’application du texte aux dépôts de code en ligne semblent prises en compte via une exception à ce que le texte appelle « fournisseur de services de partage de contenus en ligne ».
Quoique GitHub soit ainsi exclu du champ d’application du texte, Abby Vollmer représentant son entreprise estime que : « The most effective way to create legislation is not where you end up with a definition and then a laundry list carving out a bunch of different exemptions, which only reflect the people who had the means to go to Brussels and lobby. ». Ainsi, GitHub estime que même si son service est épargné par l’article 13, d’autres services, et éventuellement de nouveaux services sous une forme encore inconnue, qui devraient a priori légitimement ne pas être touchés, le seraient de facto.
Quoique GitHub soit ainsi exclu du champ d’application du texte, Abby Vollmer représentant son entreprise estime que[3][4] : « The most effective way to create legislation is not where you end up with a definition and then a laundry list carving out a bunch of different exemptions, which only reflect the people who had the means to go to Brussels and lobby. ». Ainsi, GitHub estime que même si son service est épargné par l’article 13, d’autres services, et éventuellement de nouveaux services sous une forme encore inconnue, qui devraient a priori légitimement ne pas être touchés, le seraient de facto.
A cette critique, les législateurs ont également apporté une autre exception à l’article :
A cette critique, les législateurs ont également apporté une autre exception à l’article[5] :
« Les États membres prévoient que, à l’égard de nouveaux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne dont les services ont été mis à la disposition du public dans l’Union depuis moins de trois ans et qui ont un chiffre d’affaires annuel inférieur à 10 millions d'euros calculés conformément à la recommandation 2003/361/CE de la Commission 24, les conditions au titre du régime de responsabilité énoncé au paragraphe 4 sont limitées au respect du paragraphe 4, point a), et au fait d’agir promptement, lorsqu’ils reçoivent une notification suffisamment motivée, pour bloquer l’accès aux œuvres ou autre objets protégés faisant l’objet de la notification ou pour les retirer de leurs site internet. Lorsque le nombre moyen de visiteurs uniques par mois de tels fournisseurs de services dépasse les 5 millions, calculé sur la base de l'année civile précédente, ils sont également tenus de démontrer qu’ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour éviter d’autres téléversements des œuvres et autres objets protégés faisant l’objet de la notification pour lesquels les titulaires de droits ont fourni les informations pertinentes et nécessaires. »
— Point 6 de l’article 13
« Les États membres prévoient que, à l’égard de nouveaux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne dont les services ont été mis à la disposition du public dans l’Union depuis moins de trois ans et qui ont un chiffre d’affaires annuel inférieur à 10 millions d'euros calculés conformément à la recommandation 2003/361/CE de la Commission 24, les conditions au titre du régime de responsabilité énoncé au paragraphe 4 sont limitées au respect du paragraphe 4, point a), et au fait d’agir promptement, lorsqu’ils reçoivent une notification suffisamment motivée, pour bloquer l’accès aux œuvres ou autre objets protégés faisant l’objet de la notification ou pour les retirer de leurs site internet. Lorsque le nombre moyen de visiteurs uniques par mois de tels fournisseurs de services dépasse les 5 millions, calculé sur la base de l'année civile précédente, ils sont également tenus de démontrer qu’ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour éviter d’autres téléversements des œuvres et autres objets protégés faisant l’objet de la notification pour lesquels les titulaires de droits ont fourni les informations pertinentes et nécessaires. »
Point 6 de l’article 13
Ainsi, en résumé, en cas d’absence d’accord d’usage avec les ayant-droits, les services de partage de contenus en ligne créés il y a moins de 3 ans n’ont pas pour obligation de mettre en place de système de filtrage automatique, et le système existant jusqu’à maintenant de notice and take down prévaut.
Ainsi, en résumé, en cas d’absence d’accord d’usage avec les ayant-droits, les services de partage de contenus en ligne créés il y a moins de 3 ans n’ont pas pour obligation de mettre en place de système de filtrage automatique, et le système existant jusqu’à maintenant de notice and take down prévaut.
Cependant, si un tel nouveau service dépasse 5 millions de visiteurs uniques mensuels, ou si leur chiffre d’affaire annuel dépasse 10 millions d'euros, celui-ci est sujet aux mêmes obligations que n’importe quel autre hébergeur non sujet à exception, comme YouTube ou Facebook.
Cependant, si un tel nouveau service dépasse 5 millions de visiteurs uniques mensuels, ou si leur chiffre d’affaire annuel dépasse 10 millions d'euros, celui-ci est sujet aux mêmes obligations que n’importe quel autre hébergeur non sujet à exception, comme YouTube ou Facebook.
Ces exceptions semblent a priori répondre aux demandes de l’EFF dans sa lettre de mars 2018. Pour autant, dans un article de mars 2019, l’EFF estime que ces exceptions sont cosmétiques et empêchent une véritable concurrence d’apparaître, les limites de nombre de visiteurs et de chiffre d’affaire étant estimées basses.
Ces exceptions semblent a priori répondre aux demandes de l’EFF dans sa lettre de mars 2018. Pour autant, dans un article de mars 2019[6], l’EFF estime que ces exceptions sont cosmétiques et empêchent une véritable concurrence d’apparaître, les limites de nombre de visiteurs et de chiffre d’affaire étant estimées basses.
Le président de la “Federal Commissioner for Data Protection and Freedom of Information” allemande — commission fédérale pour la protection des donnée et la liberté d’information —, organisme étatique, craint que l’article 13 entraîne un monopole des géants de web sur les technologies de filtrage qui deviendraient un produit commercialisé comme un autre :
Le président de la “Federal Commissioner for Data Protection and Freedom of Information” allemande — commission fédérale pour la protection des donnée et la liberté d’information —, organisme étatique, craint que l’article 13 entraîne un monopole des géants de web sur les technologies de filtrage qui deviendraient un produit commercialisé comme un autre[7] :
« Even though upload filters are not explicitly mandated by the bill, they will be employed as a practical effect. Especially smaller platform operators and service providers will not be in a position to conclude license agreements with all [copy]right holders. Nor will they be able to make the software development effort to create upload filters of their own. Instead, they will utilize offerings by large IT companies just the way it is already happening, for one example, in the field of analytics tools, where the relevant components created by Facebook, Amazon and Google are used by many apps, websites, and services. At the end of the day, this would result in an oligopoly consisting of a few vendors of filtering technologies, which would then be instrumental to more or less the entire Internet data traffic of relevant platforms and services. »
— Germany's Federal Data Protection Commissioner, février 2019
« Even though upload filters are not explicitly mandated by the bill, they will be employed as a practical effect. Especially smaller platform operators and service providers will not be in a position to conclude license agreements with all [copy]right holders. Nor will they be able to make the software development effort to create upload filters of their own. Instead, they will utilize offerings by large IT companies just the way it is already happening, for one example, in the field of analytics tools, where the relevant components created by Facebook, Amazon and Google are used by many apps, websites, and services. At the end of the day, this would result in an oligopoly consisting of a few vendors of filtering technologies, which would then be instrumental to more or less the entire Internet data traffic of relevant platforms and services. »
Germany's Federal Data Protection Commissioner, février 2019