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Le choc des cultures

Dans les années 70, avec l'émergence des mouvements féministes dans les sociétés occidentales, il est devenu indispensable aux yeux de nombreuses militantes et militants de faire disparaître l'excision : une pratique « barbare et machiste ». De nombreuses institutions internationales se sont penchées sur le problème de l'excision et ont tenté de mener des programmes visant à faire disparaître cette pratique. De nombreuses associations ont été associées à ce travail. Cependant, la plupart de ces programmes n'a pas eu l'efficacité escomptée. En effet, ces programmes pour la plupart conduits par des occidentaux, n'ont pas intégré l'importance de ce rite dans les sociétés africaines et n'ont pas fourni les arguments susceptibles de pouvoir faire changer les mentalités.

Dans cette partie, nous nous appuierons essentiellement sur l'ouvrage de Christine Bellas Cabane La coupure, L'excision ou les identités douloureuses. Cette anthropologue pédiatre s'intéresse depuis de nombreuses années au problème de l'excision. Elle a effectué de nombreux voyages au Mali. Dans cet ouvrage, l'auteure nous raconte son expérience et nous présente les différentes de facettes du problème en Afrique (et principalement au Mali) et en France.



Tout d'abord, il est nécessaire de rappeler les principales significations de ce rite. Cette pratique fait partie d'un rite initiatique considéré comme fondamental dans l'éducation. De nombreux rites émaillent l'enfant au cours de sa vie. Ces rites sont parfois assez durs et ont pour but de tester la résistance de l'enfant, homme comme femme. Ils doivent permettre à chacun d'apprendre ce qu'il doit faire et la place qu'il doit occuper dans la société. Pour de nombreux féministes et penseurs occidentaux, ces rituels sont uniquement là pour perpétuer un système inégalitaire de soumission de la femme à l'homme. Pour d'autres personnes, par exemple certains sociologues africains, ce système n'est pas aussi caricatural. Pour eux, ce n'est pas l'inégalité des statuts et la domination de la femme qui étaient recherchées, mais la complémentarité, la coopération, la solidarité et la cohésion nécessaire à la survie collective. Tout ceci crée un équilibre où la place de chacun, femmes, hommes, enfants , vieux est bien déterminée. Les femmes, bien que soumises avaient certains pouvoirs dans des domaines qui leur étaient strictement réservés.

Lorsque l'on interroge les femmes africaines, on constate que de nombreuses femmes excisées en sont très fières et pour elles, il n'est pas question de ne pas faire exciser leurs filles. Le statut de « bikaloro », terme pour désigner les femmes non excisées, est en effet terriblement méprisé. « Ne pas faire exciser sa fille, ce n'est pas l'aimer ». La tradition est donc profondément ancrée. De nombreuses femmes disent ne pas avoir de problèmes dans leur vie sexuelle ou alors elles n'en parlent pas car la sexualité est un sujet fortement tabou. Beaucoup de femmes sont également prêtes à faire exciser des fillettes contre le gré de leurs parents.

De nombreuses superstitions sont également très présentes autour de l'excision. Par exemple, l'excision rendrait le sexe féminin moins « laid » en permettant de « calmer les pulsions sexuelles ». Elles pensent également que les filles non excisées verraient le clitoris grandir démesurément. La sorcellerie est également très présente : ainsi, les « forgeronnes », femmes qui pratiquent l'excision seraient dotées de grands pouvoirs. De plus, quand un accident intervient au cours d'une excision et qu'une fillette meurt ou est gravement malade après l'opération, ceci est la faute de sorcières présentes dans le village.





Voici quelques témoignages de femmes excisées et d'exciseuces recueillis par l'anthropologue-médecin Christine Bellas Cabane :

Sur les superstitions entourant l'excision :

« Je suis pour l'excision parce que les Noirs sont analphabètes. On ne peut pas embrasser son copain devant ses parents, cela ne se fait pas. Devant les musulmans non plus, cela ne se fait pas. Chez les enfants non circoncis, il y a plus de sensibilité que chez les autres. Je me demande comment ils font. J'ai une copine « sonraï » (ethnie où l'excision n'est pas pratiquée) . Elle a tout le temps envie de faire l'amour. Quand on est musulman, c'est compliqué si tu es comme ça. Moi, je n'ai pas souvent envie, une fois par mois, pas plus ».

Sur le statut de bikaloro :

« Je me souviens encore d'une sage-femme qui m'explique les conséquences néfastes de l'excision avant de me dire, en me regardant droit dans les yeux : « Je sais tout cela, mais je ne peux, pour autant, soustraire ma fille à cette coutume. Même si je le voulais, sa grand-mère ne me laisserait pas faire, elle aurait trop peur qu'elle devienne la risée de toute la cour, qu'on la traite d'impure et qu'on se bouche le nez sur son passage. Plus tard, pour se marier, ce serait encore un problème. Ce n'est pas bien de faire vivre ça à un enfant ».

Récit d'une rencontre avec une exciseuse :

Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant, en place de la figure de sorcière tirée de mon imaginaire, une souriante jeune femme qui portait un bébé contre son sein.(...). Informée des raisons de ma visite, la forgeronne l'avait acceptée sans problèmes, parce qu'elle la savait sans danger. ''Beaucoup d'exciseuses sont analphabètes. Elles ont peur, parce qu'on parle souvent de l'excision à la télé et qu'elles croient que c'est interdit au Mali comme dans les pays voisins. Elles croient qu'on va les mettre en prison comme en France, mais moi, je sais bien que ce n'est pas vrai. Il y aussi des femmes qui passent nous voir. Elles nous proposent de l'argent pour qu'on arrête. Je leur ai dit que jamais je ne déposerai le couteau, parce qu'il m'est venu de ma mère qui l'a reçu de la sienne. Je suis d'une lignée de forgeronnes et je le resterai ''.(...)

-Excisez-vous des femmes mariées?

-Depuis que j'ai commencée, c'est la deuxième femme que je viens de circoncire.(...)Son mari, un Dogon, lui avait demandé de se faire circoncire parce que son clitoris était devenu trop gros. Il ressemblait trop à un organe d'homme et ça ne lui plaisait pas. Si elle n'avait pas accepté, il l'aurait abandonné.(...)

-Vous excisez tous les jours?

-Non, le lundi, le jeudi, le vendredi. Le mercredi, ce n'est pas un bon jour, car tout compte double, le bien comme le mal. Alors je ne veux pas prendre de risques. Je m'en porte bien. Je n'ai jamais eu de problèmes et ma mère non plus. Quand il y a eu des accidents, c'est toujours la faute des sorcières. Il y en a partout. Elles cherchent toujours l'occasion de faire du mal.

On voit donc le choc qu'ont du subir les premières associations occidentales de protection de la femme en arrivant en Afrique. Non seulement les femmes ne se considèreraient pas comme victimes des hommes mais plus encore, elles se disaient fières d'être excisées et revendiquaient le droit d'exciser leurs filles, parfois contre la volonté de leurs maris. Elles se sont alors aperçues que l'excision était un « problème de femme » qui ne se règle qu'entre femmes. En outre, bien souvent en Occident, les parents qui font exciser leurs enfants étaient considérés comme des tortionnaires, des barbares... Mais en allant à leur rencontre, les anthropologues se sont aperçus que ces parents aimaient réellement leurs enfants et que la douleur qu'ils pouvaient ressentir à la mort d'un enfant était aussi forte qu'ailleurs.

Le choc des cultures ne s'arrête pas là. Venant d'une société où l'individu a pris une place prépondérante et où la rationalité a envahi tous les domaines de la vie, les ethnologues et anthropologues occidentaux ont découvert une société marquée par un fort esprit de groupe et une présence encore forte des superstitions. A ce sujet, l'anthropologue Christine Bellas Cabane déclare : « Il faut d'abord comprendre qu'en Afrique de l'Ouest, dans la société traditionnelle, l'individu existe essentiellement par la place qu'il occupe à l'intérieur du groupe, dont il est à la fois l'élément et le tout. Le groupe est responsable de la vie et de la protection de chacun. » Dans la société occidentale, l'excision est combattue au nom de l'intégrité du corps; dans la société africaine traditionnelle, elle est préconisée car l'atteinte à l'intégrité du corps est perçue comme un des facteurs indispensables à la transformation de l'enfant en adulte. Dans la première, elle est interdite car l'atteinte à la sensibilité de la femme est qualifiée de crime ; dans l'autre, la même atteinte est considérée comme un des éléments positifs car elle prouve une certaine maîtrise de soi. Maltraiter son un enfant dans l'une, c'est l'exciser ; dans l'autre, c'est ne pas l'exciser et le laisser « bikaloro ».

Face à de telles divergences, il était très improbable que les associations occidentales réussissent leur mission. En effet, le langage utilisé et les arguments employés étaient le plus souvent totalement incompris : le concept d'intégrité de la personne n'a pas véritablement de sens dans la société africaine car c'est la notion de groupe et de famille qui est fondamentale. Deux risques sont alors apparus : soit les Africains acceptaient d'arrêter l'excision pour avoir de l'argent mais dès que le suivi était terminé la pratique recommençait ; soit le message de prévention contre l'excision était totalement rejeté et était considéré comme une nouvelle forme d'ingérence et de colonisation. Ceci a alors conduit à l'apparition d'un nouveau phénomène : dans certaines régions, l'excision est devenue un marquage identitaire. On excise ses enfants pour montrer son appartenance culturelle face « à l'hégémonie occidentale ». Dans ce contexte, des musulmans intégristes ont tenté de capitaliser ce mécontentement et d'attirer de nouveaux fidèles en prétendant que l'excision était défendue par le Coran

Vers une remise en cause de l'universalité des Droits de l'Homme?

Lorsque le débat sur l'excision est apparu, notamment à la suite de procès dans des pays occidentaux, des personnes ont revendiqué le droit à la différence culturelle. Un argument avancé était qu'il fallait respecter toutes les cultures et les coutumes de chaque société. Des défenseurs de l'excision ont alors affirmé que les droits de l'homme étaient une invention de la société occidentale qu'elle essayait d'imposer au reste du monde.

Ce raisonnement remet donc en cause l'universalité des droits de l'homme. Face à cette dérive inacceptable, il est nécessaire de rappeler certaines choses. Le processus qui a conduit à la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen le 26 août 1789 a été très long, il a fallu lutter contre de nombreuses croyances et superstitions pour renverser remettre en cause un ordre établi depuis plus d'un millénaire. Cette déclaration a été proclamée en France mais d'autres tentatives ont eu lieu dans d'autres régions du globe et à d'autres époques. Par exemple, en Afrique, au XIIIème siècle , à Téguà-Koro (à 120 km de Bamako), un recueil a été rédigé pour rassembler les valeurs et les principes de la confrérie des chasseurs de la tradition mandingue. Ce texte appelé « la charte de Mandé » affirmait déjà l'existence de droits fondamentaux, préconisait l'abolition de l'esclavage ainsi que le respect de la vie et de la dignité humaine. Voici des extraits de ce texte : « chacun dispose désormais de sa personne, chacun est libre de ses actes, dans le respect des interdits des lois de sa patrie » , « Le mariage n'est pas un esclavage : il n'est pas non plus un affrontement des sexes. Il se fonde sur l'amour émanant de l'âme ».

Les droits de l'homme ne sont donc pas uniquement une invention occidentale. L'universalité des Droits de l'Homme ne nie pas la diversité des cultures, chaque société doit les intégrer dans son contexte culturelle et historique mais la force des Droits de l'Homme ne doit jamais être remise en cause.