Le cancer : hasard, environnement, génétique?

L’interprétation des 2/3

Rigueur scientifique remise en cause

Le boom médiatique

Potentielles répercussions

          Les scientifiques Cristian Tomasetti

etBert Vogelstein ont cherché tout d’abord, à travers leur étude, à expliquer la différence de fréquence d’apparition des cancers entre les différents tissus dans l’organisme. Ainsi, en comparant les statistiques de 31 types de cancers différents dans la population américaine avec le taux de renouvellement de ces tissus, ils ont remarqué une corrélation entre ces deux phénomènes : la probabilité de voir se développer une tumeur dans un organe donné serait liée majoritairement à la proportion de cellules souches dans ce tissu (comme on le voit sur le graphique ci-dessous, on a une quasi-linéarité entre le risque de développer une tumeur et la proportion de cellules souches dans les tissus).

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Credits : C. Tomasetti et B. Vogelstein – The relationship between the number of stem cell divisions in the lifetime of a given tissue and the lifetime risk of cancer in that tissue.

Selon leurs conclusions, les cancers apparaîtraient en majorité non pas dans les tissus les plus facilement exposés à des facteurs extérieurs ( facteurs causant des mutations au sein des cellules) mais dans les tissus ayant le plus grand taux de divisions cellulaires.

Enrico Garattini et Alessandra Tavani, auteurs de l’article “Is bad luck an important determinant of cancer incidence and does this apply to kidney tumors ?” considèrent l’étude de C. Tomasetti et B. Vogelstein intéressante mais mettent en garde contre les mauvaises interprétations dans la presse généraliste.

Ils considèrent que l’article, relayé par des organes de presse non-scientifiques, a été sujet a une transformation du discours initial. 

Nous avons nous-mêmes essayé de distinguer les différentes lectures qui ont été faites des conclusions de l’article.

  • ⅔ des cancers au sein d’un même organisme sont liés au hasard

Puisque les mutations sont aléatoires en grande majorité, une lecture de l’étude par la presse généraliste a été que l’apparition d’une tumeur serait liée au hasard dans 2/3 des cas. 

guillemet1-autresensD’après les estimations de Cristian Tomasetti et Bert Vogelstein (de l’université Johns Hopkins à Baltimore), 65 % des tumeurs malignes sont dues à un mauvais hasard engendré par un loupé lors du renouvellement cellulaire, c’est-à-dire lors des mutations aléatoires qui surviennent au moment des divisions des cellules souches.

guillemet2« Le cancer, c’est la faute à pas de chance »
Aujourd’hui en France, 03/01/2015
src Christine Mateus

Nous avons effectué un entretien avec une épidémiologiste dans un institut de recherche sur le cancer qui considère que cette affirmation est scientifiquement valable. Affirmer que 2/3 des tumeurs seraient causées par des mutations aléatoires ne poserait, selon elle, pas de problème particulier. Néanmoins, les interprétations que les deux chercheurs en font, allant au delà des résultats déjà montrés et en utilisant des procédés statistiques qui, selon elle, résultent d’un « non-sens », auraient quant à eux favorisé les « dérives d’interprétations ».

  • ⅔ des types de cancer sont liés au hasard

Les deux chercheurs C. Tomasetti et B. Vogelstein ont produit dans leur étude, à l’aide d’algorithmes, deux catégories distinctes de cancer : les 35% pour lesquels les facteurs extrinsèques sont les plus importants et les 65% majoritaires causés par les mutations aléatoires. 

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Tableau présenté par C. Tomasetti et B.Volgelstein dans leur article « Variation in cancer risk among tissus can be explained by the number of stem cell divisions » dans la revue Science le 2 janvier 2015 (en vert les cancers causés par le hasard et en bleu ceux causés par d’autres types de facteurs)

Jacques Raynaud

, président de la Fondation ARC pour la recherche sur le cancer, souligne cependant que la séparation entre les deux types de cancer serait artificielle et bien éloignée de la réalité  : la présentation sous une forme de tableau qui se veut plus lisible pose aussi problème, car aurait permis les raccourcis des journalistes, qui auraient, pour des raisons de facilité d’exposition, surinterprété cette opposition. La forme même d’exposition des résultats n’est pas neutre et aurait du être prise en compte par C. Tomasetti et B. Vogelstein. (Le Quotidien du Médecin, le 12/01/2015 « La part de hasard dans les cancers ne doit pas remettre en cause la politique de prévention »)

Il considère ainsi que présenter les résultats de l’étude sous cette forme aurait laissé penser dans la presse généraliste, et donc auprès du grand public, l’existence de deux types de cancer distincts  : ceux causés par le mode de vie, l’hérédité ou l’environnement, et les autres, majoritaires, pour lesquels toute prévention serait finalement inutile. 

  • ⅔ des occurrences d’un même types de cancers dans la population sont liés au hasard

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Les auteurs C. Tomasetti et B. Vogelstein ont par la suite eu la volonté de revenir sur les propos portés dans leur étude, et aussi sur les propos amené dans la presse généraliste. Les deux scientifiques reviennent ainsi sur leur premier communiqué de presse du 1er janvier 2015 pour le 7 janvier de la même année. Dans ce communiqué de presse, ils affirment ainsi que leur but n’avait pas été de montrer que 2/3 des types de cancer étaient dû au hasard, allant ainsi contre les propos amenés dans la presse généraliste.

guillemet1-autresens

“We definitely didn’t say that two-thirds of cancers are due to intrinsic factors, it’s very clear that guillemet2environmental factors affect cancer incidence.” 

a précisé le bio-statisticien Cristian Tomasetti de l’Université John Hopkins.

De même C. Tomasetti a la volonté de résumer leur positionnement par ces termes : 

guillemet1-autresensAll cancers are caused by a combination of bad luck, the environment and heredity, and we’ve created a model that may help quantify how much of these three factors contribute to cancer development,” guillemet2

Bert Vogelstein, M.D., the Clayton Professor of Oncology at the Johns Hopkins University School of Medicine, co-director of the Ludwig Center at Johns Hopkins and an investigator at the Howard Hughes Medical Institute.

Ce communiqué de presse est ensuite retransmis dans la presse :

guillemet1-autresensCette malchance serait, selon le communiqué, responsable de 65 % des cancers, entretenant une confusion entre variations des localisations des tumeurs (22 localisations – dont cinq que l’on peut considérer comme identiques, atteignant différents os – sur 31 au total) et variations du taux d’incidence des cancers (nombre de nouveaux cas de cancers survenant dans une population). On doit regretter la dérive des interprétations entretenue par une communication guillemet2imprécise.

« Cancer et hasard, gare aux dérives interprétatives » LE MONDE SCIENCE ET TECHNO
publié le 12 janvier 2015

C. Tomasetti et B. Vogelstein ont ainsi eu la volonté par ces affirmations, de se détacher de la question des propos de la presse, même si on peut considérer que ce débat autour des différentes lectures cache un autre débat autour des notions de facteur intrinsèques et extrinsèques.