Entretien avec Hugo Harari-Kermadec

17 janvier 2012 – ENS Cachan

Hugo Harari-Kermadec est maître de conférence des départements d'économie et gestion à l'ENS Cachan


Tout d’abord, merci de nous recevoir. Première question, on se demandait, comment en êtes-vous venu à vous intéresser au problème des droits de scolarité?

En fait c’est sur l’initiative de David Flacher, qui est l’économiste avec qui je travaille- vous avez pu voir qu’on a écrit des papiers ensemble sur ce sujet là - qui pensait que ça serait un sujet intéressant dans l’actualité en ce moment, avant la présidentielle, un peu avant et puis un peu après. Du coup on a commencé à travailler là-dessus il y a environ deux ans et demi, d’abord à partir de l’article de Gary-Bobo et Trannoy et de la version mathématique de cet article. Je ne sais pas si vous avez été jeté un œil sur ces articles, il y a un papier dans la Revue française d’économie qui est plutôt littéraire, qui parle du contexte français et ils ont publié un article plus théorique, plus mathématique dans le journal de l’Association européenne d’économie. On a essayé de travailler sur ce dernier, de voir s’ils avaient démontré ce qu’ils avançaient, si les arguments de l’article plus littéraire étaient vraiment démontrés dans l’article plus mathématique ou si en changeant des hypothèses, et en restant au moins aussi réaliste, on arrivait à des conclusions différentes.

On pensait d’abord vous posez des questions sur les modèles et ensuite sur votre opinion sur le sujet, notamment à partir de la tribune que vous avez écrite. Pour les modèles, est-ce un exercice théorique ou un véritable outil pour fixer les droits de scolarité ? Quand on a vu Alain Trannoy, on avait plutôt l’impression que c’était simplement un exercice théorique.

Je pense que c’est un outil de légitimation purement symbolique. C’est-à-dire qu’on est capable de faire des maths et à partir de là on a un avis qui est un peu plus légitime. En particulier dans cette littérature là, sur ce sujet, je ne vois pas d’article qui permette de fixer un niveau précis [de droits de scolarité] qui corresponde à une situation. C’est une façon d’argumenter qui est plus difficile à attaquer qu’une autre, c’est surtout ça.

Et pourquoi ces modèles ne permettraient pas de fixer un niveau précis pour les frais de scolarité ?

Parce que les articles, celui de Gary-Bobo et Trannoy et le nôtre, ce sont, en fait, des articles où il n’y a rien de quantifié. On suppose qu’il y a un certain niveau de talent, sans définir ce qu’est le talent, qu’il y a un certain niveau de prime pour les diplômés, qu’on ne définit pas non plus, donc on arrive à une situation la seule chose que l’on puisse regarder est le signe des frais de scolarité ou s’ils doivent être croissants en fonction de la prime de diplômé, des choses comme ça et encore, la plupart du temps il faut refaire des hypothèses sur le fonctionnement du marché de l’emploi etc. Et on obtiendra des résultats sur des signes plus que sur des valeurs.

Justement en parlant d’hypothèses, tout à l’heure vous évoquiez celle de Gary-Bobo et Trannoy concernant l’homogénéité de la réponse des potentiels étudiants face à une éventuelle augmentation des frais de scolarité - hypothèse que vous avez modifiée avec David Flacher. Est-ce qu’il y a d’autres hypothèses, présentes dans le travail de Gary-Bobo & Trannoy, qui sont un peu contestables et que l’on pourrait améliorer, affiner pour éventuellement avoir d’autres conclusions ?

Pour moi, ce sont vraiment des outils de légitimation donc on cherchait quelles hypothèses modifier pour arriver à une conclusion inverse. On essaye alors de convaincre que l’on pourrait modifier l’hypothèse selon laquelle tout le monde réagit pareil face à un examen, face à des frais de scolarité pas raisonnables. On s’appuie d’une part sur un peu de littérature sociologique pour ça et de littérature économique aussi et on arrive à la conclusion qu’il ne faut pas augmenter les frais de scolarité, en tout cas pas du tout dans ces proportions-là, et que les frais de scolarité vont amener à des inégalités. Je pense que le modèle n’est même pas grossier, c’est une construction pour avancer un argument, ça ne représente pas la réalité, pas moins que le modèle précédent, mais pas beaucoup plus non plus. C’est juste pour contester que c’est un résultat scientifique : on est capable de prouver autre chose de la même façon donc il faut d’autres types d’arguments pour trancher.


Vous ne prenez pas en compte les conséquences micro-économiques dans votre modèle, d’abord le fait que le taux de redoublement diminue si on augmente les frais de scolarité - une étude l’a montré - ou qu’une telle augmentation réduit le nombre de conduites à risques. Est-ce que vous pensez que ce sont des critères importants qui pourraient changer les résultats ?

Je pense que c’est très important. Les articles théoriques, en tout cas celui de Gary-Bobo & Trannoy et le nôtre, ne s’intéressent pas à ce problème là, ce n’est pas la bonne approche, ni le problème qu’ils traitent mais dans le problème général sur les frais de scolarité, ça peut être un point intéressant. Dans d’autres articles, on a commencé à réfléchir à la question des redoublements, à la question du financement un peu plus pratique de l’enseignement supérieur, par exemple en France. On peut se placer à différents niveaux du débat : est-ce qu’il faut rester très proche de ce qu’il y a actuellement et essayer de modifier certains aspects, par exemple les redoublements, dans ce cas les frais de scolarité pourraient avoir un effet mais il faudrait également regarder les effets annexes ? Ou est-ce qu’on se hisse à un niveau très général en se posant la question : quel type d’évolution du système veut-on globalement avoir ?
Les articles qui sont en train de sortir sont plutôt orientés dans cette direction. Qu’est-ce qu’une généralisation des frais de scolarité, des droits d’inscription élevés - à l’image de ce qui commence à apparaître à Dauphine et à Sciences Po mais qui pourrait toucher les facs et les Grandes Ecoles comme ce qui se passe en Angleterre en ce moment par exemple - changerait profondément sur le système français ?
On pense que ça va profondément changer plusieurs points : qui va à la fac, qu’est-ce qu’aller à la fac pour un étudiant, à quoi c’est censé servir, quels effets sur le long terme - en terme d’endettement notamment - plus que les variations du pourcentage de redoublants, effet d’importance secondaire. C’est plutôt sur cet aspect global qu’on travaille pour l’instant, après peut-être qu’on va essayer d’aller plus loin. Léonard Moulin commence une thèse sur les frais de scolarité et les inégalités dans l’enseignement supérieur avec David Flacher et moi, il traitera différents aspects mais je ne sais pas s’il ira voir aussi finement que ça.

Comment qualifieriez-vous votre rôle d’économiste dans ce débat ?

C’est une bonne question...l’idée de départ était plutôt celle d’un équilibrage des forces, de contre-légitimité, d’être capable d’avancer le même niveau de technicité, d’annuler cet aspect-là et de replacer le débat sur le plans politique et sociologique, là où il paraît plus sérieux.

Pour revenir sur les études que vous avez mentionnées, est-ce qu’elles partent des mêmes hypothèses que vous ? Est-ce qu’elles se basent sur des statistiques, relatives par exemple au cas français ? Comment ça se passe ? Sur les études par exemple portant sur l’influence des frais de scolarité sur le redoublement, sur le profil des étudiants à la fac...est-ce qu’il y a, finalement, une forme de consensus sur les hypothèses adoptées pour le comportement de la population ? Ou observe-t-on, à chaque fois, à chaque étude, un renouveau dans le modèle ?


Il y a plusieurs grands courants de pensée en économie. L’un d’eux est très dominant, il s’agit du courant “orthodoxe” - c’est pour dire à quel point il est dominant - ou plutôt néo-classique si on veut être un peu plus précis. Il va essayer de partir d’une hypothèse d’agent rationnel, pour être caricatural, l’affiner avec de nouvelles hypothèses pour arriver éventuellement à un modèle compliqué pour lever, autant que possible, les hypothèses pas très réalistes. Après, il y a d’autres types courants, je ne suis pas sûr que ça soit une démarche très fructueuses, en tout cas pour des problèmes aussi sociaux et aussi concrets que le financement de l’enseignement supérieur et la problématique des droits d’inscription. Les travaux récents qui m’intéressent d’avantage sur le sujet sont des travaux de sciences politiques sur les décisions européennes de transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche, sur la stratégie de Lisbonne et [qui étudie] comment les directives européennes sont prises, leurs effets dans les différents pays, leur impact sur les transformations de l’enseignement supérieur et de la recherche en France et comment les gouvernements s’y adaptent. [Je m’intéresse donc] beaucoup plus à une approche un peu historique et politique du problème et après éventuellement, à partir de ce cadre-là, qui est un cadre - j’ai l’impression - plus empirique, comment on va avoir des effets et des questions économiques qui se posent et qui éventuellement permettent d’anticiper des évolutions possibles, les effets sur les discriminations, ou en tout cas les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur dans un nouveau contexte où les universités ont plus d’autonomie et où il y a plus de concurrence entre elles. Quels effets [se feront ressentir] sur le comportement des universités si elles doivent se financer elles-mêmes plutôt que par une dotation de l’état. On essaye de comprendre la partie économique de ces choses-là dans un cadre qui n’est pas décidé par des raisons économiques mais par des choix politiques. Évidemment, il n’y pas de consensus ni d’école très structurée autour de cela, en plus c’est assez pluridisciplinaire donc ça rend le travail plus difficile.

Est-ce que l’on peut imaginer que plusieurs économistes avec des spécialités différentes se rassemblent autour d’un groupe d’hypothèses pour établir un modèle général et pouvoir caractériser les effets de telle réforme, telle mesure à partir d’une situation donnée ? Est-ce envisageable ?

Des laboratoires de recherche essayent de construire un modèle, un cadre de pensée, recrute des gens qui vont participer à ce cadre de pensée, le développer. Des moyens vraiment importants sont mis en jeu un peu dans ce genre d’optique dans des facs parisiennes ou internationales mais je ne suis pas convaincu que ça règle complètement la question. En tout cas, ce n’est pas ma démarche.


Jusqu’à maintenant, on n’a pas trouvé [dans nos recherches documentaires] d’études très générales. A chaque fois, il y avait un angle d’approche légèrement différent, un peu plus restreint que...

...Le cadre très général ça va être Le Capital humain, qui est une étude théorique de Gary Becker - qui a eu un prix Nobel pour ça - et doit dater du milieu des années 1960, qui est un peu la façon dont est compris le rôle de l’éducation, en tout cas le rôle économique de l’éducation, dans le modèle classique. Ça va être la référence que vous allez trouver dans tous les articles, le paradigme de base sur lequel vont se greffer des dizaines d’articles en économie de l’éducation.

D’un point de vue économique, comment se justifie le système actuel ? De quelle logique (économique) procède-t-il ? La situation actuelle - des frais de scolarité plutôt bas d’une part et la cohabitation entre les universités et les Grandes Ecoles d’autre part (qui coûtent beaucoup plus chères que ces premières alors que les étudiants ne payent pas beaucoup plus) - optimise quel(s) critère(s) ?

Ça ne maximise pas de critère mais c’est le fruit d’une histoire, des choix historiques de différents gouvernements, à différentes époques qui soit, écrasent les précédents ou, la plupart du temps, les modifient. Les Grandes Ecoles, vous devez savoir que ça date de plus ou moins Napoléon, les écoles normales, je ne sais plus exactement, mais ça doit être un peu après et les facs c’est encore avant. Donc on a des systèmes qui sont hérités du passé qui s’adaptent, évoluent ou ont, au contraire, une certaine inertie parce qu’ils ont une dynamique propre légèrement différente, parce qu’ils ont une autorité qui permet de résister à des tentatives de réformes, ou d’orienter les réformes dans le sens qui les arrange. Donc on a des systèmes parallèles; des écoles de commerce plutôt privées, des Grandes Ecoles financées chacune par son ministère et des facs plutôt par l’enseignement supérieur et la recherche, qui vont cohabiter et interagir avec les gouvernements, les choix des ministères.

Vous pensez que ce manque de cohérence est-un problème ?

Je pense que c’est la réalité en tout cas, après s’il y avait un régime extrêmement fort capable d’imposer une autre logique, de faire table rase complètement, de reconstruire quelque chose, il faudrait voir quel intérêt il prend en compte, pourquoi il fait ça et dans quelle direction il va. Je ne peux pas dire grand chose là-dessus. Ce serait peut-être plus homogène, plus cohérent, plus équitable mais je n’en suis vraiment pas sûr et en tout cas ça dépendrait pour qui.

Vous aviez dit que vous utilisiez le modèle pour avancer des arguments. J’aimerais savoir à quel point votre conception de ce que devrait être l’enseignement supérieur influe sur votre manière de construire le modèle ?

Cent pour cent ! Je pense que le modèle joue un rôle très important, pas tellement parce que ça permettrait de comprendre, de m’approcher de la vérité mais beaucoup plus parce que ça va permettre d’être un peu audible, en tout cas suffisamment pour que vous soyez venus. Pour l’instant je n’ai pas encore reçu d’invitation de M. Trannoy à en discuter ou quoi que ce soit. Si on avait fait des choses purement littéraires, en économie, c’est beaucoup moins audible et très vite discrédité mais le contenu n’est pas plus fort parce qu’il y a des maths. Et même en général, il oblige à être plus superficiel, plus caricatural.

En fait, le fond vous l’avez plus ou moins avant de travailler sur la publication et pour vous donner de la forme vous utilisez un modèle crédible ?

Non mais c’est pire que ça ! C’est beaucoup plus machiavélique. On avait l’impression qu’il y avait une tendance - maintenant c’est plus qu’une impression - pour une privatisation de l’enseignement supérieur et de la recherche, une mise en marché, peut-être pas une privatisation mais une ouverture, que ça devienne un service qu’on vend comme on vend d’autres services et qu’il y avait toute une partie de la littérature qui justifiait ce point de vue. On s’est retrouvé assez vite à aller dans des séminaires au ministère de l’économie où des économistes venaient expliquer pourquoi il fallait mettre des frais d’inscription, pourquoi ça serait mieux, pour réduire les redoublements, pour inciter à l’effort, des choses comme ça...On remarque que c’est les classes supérieures qui envoient leurs enfants à l’université donc autant qu’elles payent, comme dans les grandes écoles. On avait l’impression que des choix politiques étaient sous-jacents à tout cela et que ce n’était pas forcément ceux que l’on partageait. Donc soit on dénonce de façon purement politique et idéologique, soit on essaye de s’appuyer sur des arguments du même type parce que j’arrive dans un département d’économie et que c’est mon travail aussi. Mais j’en ai appris beaucoup sur l’enseignement supérieur et la recherche essentiellement parce que j’ai lu des bouquins, parce qu’on a essayé de décrire un peu le paysage, parce que Léonard Moulin a commencé à travailler sur sa thèse avec des comparaisons entre différents pays etc. et pas tellement parce qu’on a développé un modèle mathématique.

Justement, en parlant des différents pays, est-ce qu’il y a des exemples à l’étranger qui sont selon vous intéressants à suivre ou au contraire à ne pas du tout copier dans l’évolution et les effets ressentis sur la société ?

Le Chili fait l’actualité depuis l’année dernière, le mouvement étudiant y est très fort. Le Chili est un cas intéressant en économie, parce que c’est le premier pays à avoir été fortement influencé par les économistes de l’école de Chicago, qui sont le cœur du courant orthodoxe. Ça tombe en même temps qu’une dictature - de Pinochet - et donc c’est un exemple intéressant de ce côté là puisqu’il lie un courant économique avec un courant politique. Une des mesures de Pinochet a été de libéraliser très vite l’enseignement supérieur, et plus généralement que l’enseignement supérieur puisqu’il y a un peu des choses au niveau au moins des lycées du même ordre, et des collèges. Aujourd’hui on arrive à une mobilisation très forte parce que les jeunes n’arrivent pas à être étudiants, ou s’ils sont étudiants ça leur coûte extrêmement cher. Ils trouvent ça injuste et comme Pinochet est tombé depuis longtemps ils commencent à exiger que les choses changent. C’est un exemple plutôt intéressant, il est assez lointain donc on a assez de mal à le décrire très fidèlement. J’espère aller faire un tour en Amérique du Sud du coup j’en profiterai pour voir un peu ce qui se passe en Argentine et au Chili. Les dynamiques sont quand même différentes en fonction des pays parce que les systèmes universitaires sont très liés au passé. En fait, il y a des pays où il n’y avait pas de système public et donc le fait qu’une fac privée arrive c’est plutôt positif, il y a d’autres pays où il y avait des facs publiques et il faut laisser de la place aux privées pour qu’il y en ait et là c’est plutôt un présupposé idéologique de penser que ce serait mieux d’ouvrir au privé; il peut y avoir des problèmes dans le public et il faut réfléchir aux moyens à mettre en place pour les résoudre. Ça va vraiment dépendre des pays et des dynamiques, plus que la séparation entre pays développés -ou riches- et pays en voie de développement -ou pauvres-. Après les questions se posent très différemment.
Les exemples à suivre, je ne sais pas, il y a des pays scandinaves où il y a des illustrations différentes : des allocations très fortes pour les étudiants, la scolarité totalement gratuite...

...On cite souvent la Finlande comme modèle, est-ce que, selon vous, on a tort ou raison ? Est-ce qu’on exagère un petit peu ? Est-ce qu’il y a quand même des choses à critiquer dans ce modèle-là ?

Je ne sais pas si on la cite si souvent que ça, en tout cas, dans les économistes que je lis, c’est plutôt les pays anglo-saxons les modèles et moins la Finlande parce que c’est quasiment inimaginable, (enfin, donc) je trouve que c’est intéressant au moins de savoir que c’est possible que les facs soient gratuites et qu’ils y aient des allocations très fortes pour tout le monde même à un niveau très large et une incitation très forte à s’engager dans des études supérieures. En plus dans des pays où les gens ont tendance à travailler assez vite après le bac en fait, puis après à revenir pour faire des études supérieures ou à partir un an faire le tour du monde et après revenir à la fac. Donc il y a un choix qui a été fait de pousser plutôt les gens à faire des études supérieures parce que (mots incompréhensibles) ont considéré que ce serait rentable à terme quitte à ce que ça ait l’air d’être très à perte au moment du financement. On gagne forcément à considérer les différents types d’exemples ne serait-ce que pour ouvrir l’imagination et les possibilités. Après il faut tout de même revenir à une analyse très concrète de la situation française, s’il s’agit de donner des recommandations pour la France parce que c’est incroyablement difficile de faire tout disparaître et de repartir de zéro.



Dans la tribune du Monde que vous avez coécrit avec David Flacher, vous vous prononcez plutôt pour une éducation par répartition. Comment se justifie ce choix, notamment par rapport à cet argument de justice parce que l’impôt est payé par tous et l’enseignement supérieur ne concerne que les milieux les plus favorisés donc comment vous répondez à cet argument ?

Alors en fait l’idée c’est d’essayer de reposer la question du financement de l’enseignement supérieur à partir du débat actuel sur les retraites: retraite par capitalisation ou retraite par répartition qui est un débat qui est moins fort en France depuis trois ou quatre ans puisque la réforme des retraites l’année dernière, dans la communication du gouvernement, c’était pour sauver le système par répartition , à d’autres moments le même type de parti politique aurait plutôt poussé pour une ouverture à une retraite par capitalisation à côté ou en complément de la répartition. C’est donc un débat qui est connu en économie et qui est un peu connu médiatiquement alors on essaie de ramener ce type de discussion pour le financement de l’enseignement supérieur, en tout cas pas le financement des facs mais le financement des allocations pour les étudiants en disant que, comme une fois que l’on a fini de travaillé il est normal que l’on contribue à prendre en charge la vie des retraités, parce qu’ils ont participé avant à la vie de ceux qui étaient retraités et puis à financer l’économie, la société en général, avant le travail, on ne peut pas non plus gagner de l’argent donc il serait logique qu’il y ait une sorte de symétrique de la retraite avant l’entrée dans la vie active. Du coup on peut se poser le problème dans les termes habituels du débat sur les retraites : est-ce à chacun de trouver les moyens pour financer sa vie pendant ce moment là où l’on ne gagne pas encore d’argent - la retraite, ça veut dire qu’on a capitalisé avant donc qu’on a de l’argent qu’on peut dépenser et avant ça veut dire qu’on s’endette en fait ce qui est ensuite à rembourser dans la phase active ? Ça serait du financement par capitalisation négative de la vie pendant les études. L’autre option serait un système de sécurité sociale où une répartition se ferait, les actifs - ce sont ceux qui travaillent et produisent des richesses - prendraient en charge toute la société - de toute façon il n’y a personne d’autre pour prendre en charge la société - .Et donc ils gagnent une partie de l’argent qui sert à financer la vie pendant les études, une partie qui sert à financer la vie après les études, ça c’est du salaire socialisé comme quand on est malade, quand on suit un traitement etc. C’est déjà fait aujourd’hui, la branche “allocations familiales” de la sécurité sociale qui correspond à ça et qui est celle qui devrait être remplacée par la TVA si la TVA sociale passe donc c’est vraiment l’actualité de la semaine. Nous, on propose d’étendre cette branche-là. En fait ce n’est pas si monstrueux que ça puisque les cotisations sociales sont quelque chose de très gros donc rajouter 5 milliards [d’euros] - je crois - pour des allocations pour les étudiants. C’est petit par rapport au reste, ça représente 3 % je pense et donc du coup on peut financer comme ça, de façon sociale, la vie pendant les études. Ce n’est pas la même chose que les impôts, nous on affecterait plutôt les recettes complémentaires des impôts au financement des facs pour qu’elles aient les moyens de payer les profs, d’avoir plus de salles de cours, de petites classes etc. Pour la question : est-ce juste ?

Les retraites concernent a priori toute la population alors que les étudiants n’en sont qu’une partie...

Ouais, alors bon aujourd’hui il y a une massification très forte qui a eu lieu dans les années 1970 et surtout 1980. C’est quand même deux millions de personnes les étudiants mais il y a quand même des inégalités d’accès. Moi, je suis plutôt pour réduire les inégalités d’accès et permettre à tout le monde de faire des études supérieures qu’il y ait une allocation ça participe de ça puisque pour faire des études supérieures aujourd’hui il faut avoir les moyens de ne pas travailler ou alors il faut être capable de travailler et, en même temps, de faire des études supérieures - dans des endroits qui sont, pour l’instant, encore gratuits mais ce n’est pas certain [qu’ils le resteront]. Donc si on a un financement de la vie pendant les études, moi je pense que ça a un effet incitatif pour aller faire des études pour les enfants des classes populaires donc ça va démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur encore un peu. C’est un truc qu’on n’a pas encore regardé en détails -je pense que c’est un sujet sur lequel on doit travailler assez vite- c’est est-ce que, vraiment, aujourd’hui, il y a une répartition à l’envers où c’est les enfants des riches qui profitent de l’enseignement supérieur gratuit parce qu’en vérité, en tout cas pour la partie impôts sur le revenu, ce sont ceux qui ont les plus gros revenus qui contribuent le plus. Si on prend cet aspect-là, après il y a d’’autres impôts qui sont plus plats oui qui, au contraire, touchent plus, en proportions, les ménages les plus pauvres, ce n’est pas évident en fait que si on équilibre la partie dépenses par les familles et recettes à travers l’enseignement supérieur gratuit qu’il y ait un tel déséquilibre aujourd’hui.

Pour reprendre le parallèle retraite par répartition et frais des études, vous dites que ce n’est pas évident qu’il y ait un déséquilibre donc ce serait imaginable que pour les retraites par répartition, on paye en fonction de ce que les gens ont fait pendant leur vie, de ce qu’ils ont gagné pendant leur vie et donc là qu’est-ce que ça serait pour une période avant le travail ?

On ne va pas leur demander de faire des paris sur ce qu’ils vont gagner après. Nan, ce serait un truc homogène, genre on propose simplement de prendre en compte l’aspect logement : si on habite chez ses parents, on touche un peu moins et si on a besoin de se loger en plus, on a un complément qui correspond aux APL aujourd’hui.

Votre argument pour dire que ce n’est pas injuste c’est que les classes les plus riches payent, de toute façon, plus d’impôts ?

Là c’était plus la partie sur le financement des frais parce qu’aujourd’hui il n’y a pas d’allocation, ou éventuellement il y a des bourses et par contre l’université est gratuite et les grandes écoles sont relativement gratuites voire voir certaines payées. Effectivement, là l’argument et c’est un argument assez fort, - je pense qu’il va revenir dans le débat public - c’est de dire “ce n’est pas juste parce que ce sont les plus riches qui profitent de cette fac gratuite”. Nous, on dit tout simplement que c’est vrai mais ce qu’il faudrait c’est que d’autres catégories sociales accèdent aux facs gratuites aussi, en payant ça ne va pas aider et que de toute façon, moi, je suis d’accord pour dire qu’il faut augmenter les impôts. Surtout les impôts progressifs pour rééquilibrer s’il y a un déséquilibre mais dire qu’il faut qu’ils payent les facs, ce n’est pas vraiment la bonne façon de régler le problème. Il faut qu’ils payent pour le financement des facs mais pas forcément parce qu’ils en profitent individuellement. Et après, ce qu’il est totalement occulté dans cette discussion, pour l’instant, c’est l’effet social d’avoir fait des études. C’est-à-dire moi j’ai fait des études, du coup j’ai un travail qui dépend de ça et mon travail sert à quelque chose aussi ; je donne des cours, je fais de la recherche et ça, ça profite à toute la société, pas qu’à moi. Le fait qu’il y ait de l’enseignement supérieur, je pense que c’est intéressant pour les étudiants, pour les anciens étudiants mais c’est aussi intéressant pour le reste de la société donc c’est normal qu’il y ait un financement social. Et si quelqu’un gagne au loto en n’ayant jamais fait d’études et qu’il n’a pas prévu d’en faire et d’avoir un travail qui corresponde à ça mais qu’il est très riche parce qu’il a gagné au loto, il va quand même profiter du fait qu’il vit dans une société éduquée où il y a des gens qui ont un certain niveau d’éducation pour tout ce qui consomme ou tout ce qu’il fait dans sa vie même si c’est pas lui qui fait des études, ni ses enfants.

Donc si je comprends bien, le système de PARC qui a été adopté en Australie, ça vous heurte ?

Je pense que ça a des effets de transformation du rôle de l’enseignement supérieur en fait et d’individualisation très forte, c’est une logique à la Gary Becker, très Capital humain. Chacun a son capital humain, il a intérêt à investir dedans donc on peut lui demander de rembourser après en échange de cet investissement personnel. En général, ça détruit totalement l’effet social ou alors c’est, quelque part, dire “ en plus il y a un effet social ” donc ça peut justifier qu’il y ait quand même une dette de l’Etat ou une garantie de l’Etat ou quelque chose comme ça. Mais globalement, le point de vue principal, c’est le point de vue individuel.

Dans ces systèmes, d’un côté il y a l’apport des PARC et de l’autre il y a quand même un financement très important de l’Etat. En fait, ces systèmes ne prendraient-ils pas en compte les deux composantes : l’intérêt général et l’intérêt particulier ? Les étudiants ont, quand même, un retour sur investissement, entre guillemets.

On peut le voir autrement. On peut bloquer les salaires, comme ça tout le monde a le même salaire et il n’y a plus de retours personnels. Ou augmenter les impôts, ou mettre un impôt particulier pour les gens qui ont fait des études en disant “ vous avez profité du système scolaire, maintenant vous participez plus à le financer “. Pourquoi pas ? Mais je ne comprends pas pourquoi il faudrait que chacun rembourse ce qui correspond à l’étude exacte qu’il a faite, comme s’il pouvait faire ça indépendamment du reste de la société, comme si le fait de devenir médecin ça ne dépendait pas du fait qu’il y ait une médecine, qu’il y ait des chercheurs en médecine, qu’il y ait des enseignants en médecine, que ce soit juste un placement individuel. Si, d’un seul coup, il y a des supers médecins mais il y a une crise économique, plus personne ne sera capable de payer pour être soigné. On a une vision de l’économie très personnelle et qui, pour moi, ne semble pas correspondre du tout au fonctionnement réel de la société.

Que répondez-vous à l’argument qu’augmenter les frais de scolarité augmente l’attention des élèves ?

On est dans un cadre hyper-élitiste, on est dans une ENS, et vous, vous êtes étudiants aux Mines. Si je ne dis pas de bêtises vous avez sans doute fait des classes prépas, dans le public avec un peu de chance. Est-ce que vous avez l’impression d’avoir été très feignant pendant ces années-là ? Est-ce que ça correspond à ce que vous avez dû payer financièrement pour aller en cours. Ici à l’ENS, on paye les étudiants et on les fait quand même bosser une bonne trentaine d’heures de cours par semaine plus plein de boulots chez eux. Ils bossent du 2 septembre jusqu’à fin juin en général et après ils ont un stage. Ils travaillent beaucoup plus que dans les écoles de commerce, il n’y a aucun doute. Les miens, en plus, ils ont, pour une partie, le choix entre une école de commerce très prestigieuse et une ENS, ils voient que le reste de leur classe est partie faire des pots, rencontrer des cadres dirigeants et apprendre à mettre un costume, et eux ils se tapent des heures cours de comptabilité, de maths, de statistiques, d’économie... Ils ne travaillent pas plus parce qu’ils payent plus, ils travaillent plus parce qu’ils sont contents d’être là, c’est un peu prestigieux, ils ont confiance où ils vont, ils ont l’impression de faire un truc intéressant.

Là on parle d’écoles assez élitistes mais est-ce que ça ne permettrait pas de, entre guillemets, de régler le problème du taux d’échec en premier cycle dans certaines filières à la fac par exemple ?

On peut mettre des barrières à l’entrée comme ça il y a moins de monde qui rentre et tous ceux qui ont réussi à rentrer sont les plus motivés. Mais en fait aujourd’hui, ça dépend des classes sociales, il y a des catégories sociales pour lesquelles c’est assez difficile de rentrer. C’est pareil, je n’ai pas de données très précises. On vient de récupérer un jeu de données très important sur l’enseignement supérieur, on va pouvoir commencer à faire un peu d’économétrie là-dessus. On va tester empiriquement ce qu’il se passe mais je pense que si les étudiants n’arrêtaient pas de travailler, ils réussiraient plus facilement leurs études. C’est plutôt, à mon avis, du côté de la facilité de faire des études supérieurs que sur le nombre de menaces et de rétorsions a posteriori qu’il faut jouer et après, pour prendre des exemples un peu concrets - mais, même chose, ce n’est pas encore scientifique, ce sont juste des impressions - le fait d’avoir des promotions de 500 élèves en première année de licence dont les professeurs savent de toute façon qu’à la fin de l’année il faudra en garder que 200 et à la fin de la deuxième année il faudra en garder que 100 et ceux qui auront leur licence, en fait, ne représente, au maximum, que 20 % de la promotion. Ça n’incite pas non plus les profs à s’investir très sérieusement parce que -sinon c’est atrocement déprimant- donc on a des classes où on n’a pas une ambiance de travail fantastique parce que tout est fait pour décourager. Dans les établissements plus petits, pas forcément plus élitistes mais mieux financées et mieux encadrées et ça marche beaucoup mieux. Dans les IUT par exemple, un peu moins élitistes en termes de catégories sociales, qui sont gratuits aussi, on a des taux de réussite bien plus élevés parce qu’il y a plus d’encadrement, parce qu’il y a des perspectives de travail motivantes derrière. A mon avis, c’est plutôt de ce côté-là qu’il faut chercher plutôt que du côté des punitions financières. La motivation des élèves est indépendante des catégories sociales mais est liée aux parcours individuels.

Dans les propositions de Terra Nova, ce que vous critiquez c’est l’augmentation des frais de scolarité plutôt dans une logique de capitalisation par rapport à l’allocation d’autonomie que vous soutenez ?


Oui, on a l’impression qu’il y avait chez Terra Nova, plein de propositions, c’est vrai, qui étaient assez incohérentes. Mais disons plutôt que l’on a essayé de regarder les propositions de Terra Nova du point de vue de notre clivage répartition/capitalisation. Pour aller un peu plus dans le détail dans cette discussion-là, la crainte que l’on a, ou disons ce que l’on sent, c’est qu’il s’agit plus de mettre une revendication historique de l’UNEF qui pourrait passer au PS, surtout en période de campagne présidentielle donc il y aurait une allocation d’autonomie pour les étudiants, qui est une espèce de super-bourse plate, un peu moins juste pour les boursiers, les catégories sociales les plus défavorisées, donc un peu plus infamante pour tous les étudiants, qui ne serait pas très élevée non plus puisqu’on est quand même en période de crise etc. En échange de cela, parce que l’on voit bien qu’elle n’est pas suffisante, on complète par des prêts et l’Etat va garantir les prêts qui ne vont donc pas être chers. On a modifié le système avec un axe donnant-donnant puisqu’on donne de l’argent et en même temps on vous demande de vous engager donc de prendre un prêt. Ce que l’on voit venir très gros, c’est que rapidement l’allocation va se réduire ou être sous condition de faire certaines disciplines etc., par contre les prêts vont grossir très fortement et plus les frais de scolarité montent, soit l’allocation compense, soit les prêts compensent. Ce seront plutôt les prêts qui vont compenser. En plus, il n’y a pas de raison que ça soit homogène donc un établissement connu, qui a un bon effet de marque, va pouvoir monter ses frais de scolarité donc les prêts vont aller avec, une autre fac ne va pas être capable d’augmenter ses frais de scolarité sinon personne ne vient donc il n’y aura pas de gros frais mais ça sera une fac de seconde zone. Donc ce que l’on sent c’est, en dynamique, ce qui était un truc positif et un risque, à terme, le truc positif on n’en entend plus parler par contre le risque grossit et grossit. Aux États-Unis, en ce moment, on vient de dépasser les 1 000 milliards [de dollars] de dettes étudiantes, on a une explosion absolue de l’endettement étudiant, pas tellement une explosion absolue des allocations et là c’est pareil, d’après l’actualité, ce n’est pas très crédible que l'état garantisse des prêts avec des taux bas alors qu’on vient de perdre le label “AAA”, qu’on va devoir s’endetter plus cher etc. Donc tout va plutôt dans l’autre sens. On n’a pas trop eu le temps de discuter là-dessus. Le fait de construire un financement de l’enseignement qui est très individualisé ou en plus, la plupart du temps, un prêt vient avec, ça transforme le rapport à l’enseignement pas tellement, à mon avis, dans un cadre plus motivant mais plutôt dans un cadre plus économiciste. On incite les étudiants à se vivre comme une marchandise qu’il va falloir vendre sur le marché du travail après. Ils ont investi de l’argent pour acheter cette marchandise qui est eux-mêmes, diplômés, et il va falloir la revendre pour rembourser l’investissement qu’ils ont fait. Ce sont des micro-entreprises. Du coup, ils ne vivent pas l’enseignement de la même façon, ça en change le rôle social. Ça a aussi des effets sur le travail puisque les étudiants n’arrivent pas systématiquement aujourd’hui avec un réel intérêt pour leur domaine d’étude. Ils n’arrivent pas avec une vocation, un certain respect pour leur travail, un côté disciplinaire : “ voilà, je suis physicien, je défends la physique”, “ je suis statisticien, je pense que c’est sérieux les stats, on ne peut pas en faire n’importe quoi”. Ils arrivent plutôt avec “ j’ai investi un capital pour avoir un diplôme pour avoir un travail qui le rentabilise et je ne m’intéresse pas tellement à ce que je vais faire, ce qui compte vraiment c’est que ça soit rentable”. Ce n’est pas du tout la même approche. On n’aura plus d’enseignement supérieur, public en tout cas. Moi, je n’ai pas spécialement rentabilisé mes études, je fais ça parce que je trouve mon boulot intéressant, j’ai l’impression d’avoir un rôle social qui fait que je me vis bien comme prof à la fac, ce n’est pas le plus rentable. Par ailleurs, je n’ai pas contracté de prêts pour mener mes études, c’était gratuit et après j’étais payé, ça correspond à une façon de se vivre comme étudiant puis diplômé qui n’est pas la même que comme un investissement qu’il faut rentabiliser.

Pour une partie des étudiants, l’enseignement supérieur s’inscrit quand même dans une logique d’emploi, dans une logique de salaires...

Une logique d’emploi, une logique de salaire, ce n’est pas exactement pareil. Tu vas participer à produire, tu vas avoir un rôle social. Jusque dans les années 1970, ce que faisait l’enseignement supérieur et l’enseignement professionnel c’était apprendre un métier, avec les valeurs du métier, une corporation et donc une défense de ce métier-là, de la façon dont il est fait etc. - qui correspondait quand même à une rémunération financière après parce que t’es médecin donc t’es quelqu’un d’important, t’es prof t’étais quelqu’un d’important, t’es ingénieur donc ce que tu dis compte, quelque part tu le certifies, tu mets le tampon “ingénieur” dessus et si tu dis n’importe quoi, tu dévalorises la corporation et les gens n’ont plus confiance après - qui est en train d’évoluer et que la libéralisation de l’enseignement supérieur et continuerait à transformer dans une perspective que je ne partage pas.

Ne pensez-vous pas que la société est arrivée à un stade déjà très avancé de ce phénomène, du problème que vous venez d’évoquer. Quand on prend l’exemple des prépas, qu’on regarde les classements des écoles, l’une des premières colonnes correspond au revenu moyen à la sortie et il n’y a pas la colonne des options que l’on peut choisir en 2ème ou en 3ème année donc évidemment le classement des écoles se fait sur ce critère. Ça serait donc un réel retour sur investissement même si l’investissement n’est pas vraiment le terme approprié quand on est dans le public.

Vous ne vous êtes jamais posé la question d’aller dans une ENS ?

Je me la suis posé, oui, mais ce ne sont pas les classements qui m’auraient poussé à y aller.

C’est où dans les classements ?

Justement, les ENS ne sont pas dans les classements parce qu’elle ne correspond pas aux critères...

Ça c’est plutôt bien, parce que les classements ont l’habitude de classer tout le monde quand même et à forcer à ce que ça rentre dans les critères. La bonne façon, c’est que ça oblige à prendre des critères plus larges, la mauvaise façon c’est de dire que le critère est juste et l’école doit rentrer dedans et là il y a des effets que j’appellerai performatifs, c’est-à-dire des effets en retour sur le comportement des écoles pour rentrer dans les classements. On est à fond dedans avec le classement de Shangaï pour les écoles d’ingénieur. Il y a quelques années, elles étaient un peu en diagonale de ça.

A côté il y a quand même une certaine désaffection des ENS avec moins de personnes. Par exemple, l’année dernière l’ENS Ulm est allée au bout de la liste d’attente.

Donc ça marche, effectivement. Je m’inquiète. On arrive quelque fois à concurrencer HEC des fois, on leur pique deux ou trois étudiants et ils nous en piquent aussi. Mais je pense qu’il faut résister à ça et surtout il faut être capable de proposer autre chose comme perspectives et c’est ça qu’on essaye de faire, de donner un autre type de façon de comprendre l’économie de l’enseignement supérieur, à quoi sert cet objet là et comment il intervient dans la société. Une perspective qui peut être au moins aussi motivante que s’enrichir. On n’est pas majoritaire, loin de là, je suis intéressé par les résultats de votre étude mais je ne suis pas sûr qu’on ait un accès aux médias incroyable, en tout cas, au gouvernement, moins fort que celui de Gary-Bobo et Trannoy ou de Stéphane Grégoir de l’EDHEC.

Comment réagissez-vous par rapport, d’une part, au système de frais de scolarité mis en place par Sciences Po en ce moment et d’autre part, au système de frais de scolarité des écoles de commerce où on a une augmentation constante des frais de scolarité ?

Avec beaucoup d’intérêt, c’est un super sujet d’étude ! Je ne suis pas vraiment d’accord.

Pour Sciences Po, certains payent 12 000 ou 13 000 euros alors que d’autres, à côté, ne payent rien.

Ce qui est intéressant c’est de regarder le pourcentage de chaque tranche. La plupart des gens sont dans la frange du haut. Il y a très peu de boursiers, vous avez peut être entendu parler des programmes de discrimination positive mis en place à Sciences Po pour aller chercher des gens dans les milieux défavorisés. Mais en fait ces gens-là passent en général un an et après ils en ressortent, ça ne marche pas du tout pour intégrer des étudiants des quartiers populaires. Même si c’est gratuit pour les revenus les plus bas et même il y a des effets incitatifs pour aller les chercher où ils sont, ça reste incroyablement élitiste en termes de catégories sociales et donc ce que fait globalement le programme, c’est taxer un peu plus les classes les plus aisées, ce qui me paraît très bien. Mais cette taxe est directement affectée au budget de Sciences Po et uniquement du budget de Sciences Po donc ça a un effet très fort sur le marché académique, avec des financements qui montent très fortement pour l’établissement, qui rachète tous les immeubles du quartier, pique les profs à des facs d’à côté et il y a eu, de façon très explicite et assez massive, des profs de Paris I, reconnus, qui avaient très bien réussi au point de vue académique mais qui avaient des salaires de profs parce que les salaires de profs sont relativement homogènes en France auxquels Sciences Po a pu proposer des emplois beaucoup mieux payés et dans de meilleures conditions. Il y a eu une prédation de Sciences Po sur des secteurs disciplinaires bien plus larges que ce qu’ils [Sciences Po] faisaient au départ par rapport à tous les concurrents locaux. En outre, la concurrence commence à être internationale aussi. Maintenant on se pose la question d’aller à Sciences Po, alors qu’avant ce n’était pas leur boulot, les labos de recherche en pointe où on pourra avoir de très bon tests bien financés, ça deviendra aussi Sciences Po et pareil pour toute une partie des sciences humaines. Le nombre d’étudiants a explosé. C’est très bien pour Sciences Po, le problème est que ça a des effets secondaires sur le reste des établissements qui n’ont pas les armes pour lutter contre. Et, si ils ont les armes pour lutter contre - l’idée de la généralisation des frais de scolarité - ça aura des effets sur la population qui accède à l’enseignement supérieur. Donc je suis plutôt pour neutraliser la course aux armements en ramenant tout le monde à quelque chose qui permet un accès plus large plutôt que l’inverse. Ça c’est pareil, c’est des sujets où c’est pour l’instant des positionnements politiques sur lesquels on commence à travailler pour essayer d’avoir une analyse fine et comprendre vraiment ce qu’il se passe, soit pour changer de point de vue, soit pour avoir des arguments empiriques plus solides. En France on en est vraiment au tout début mais il y a d’autres pays où ces choses sont abouties, sont matures et on peut essayer d’étudier à quoi ressemble aujourd’hui l’enseignement supérieur en Australie ou au Chili pour voir quels effets ça a : est-ce que ça polarise beaucoup ? Est-ce qu’il y a quelques établissements très prestigieux avec beaucoup d’argent et des frais de scolarité très élevés et des superbes études et à côté d’autres qui sont beaucoup moins bons, beaucoup moins bien financés ou pas ?

Pour revenir sur ces filières où il n’y a que 20% des étudiants, par exemple, qui poursuivent au bout de trois années, si on impose des frais de scolarité élevés, on va sélectionner les vingt bons pour-cent dès le départ. Et vous, ce que vous proposez c’est de faire un test d’entrée selon le niveau ?

Pour les facs ? Aujourd’hui il y a le bac comme test d’entrée pour les facs, on pourrait revenir dessus, c’est un sujet sur lequel je n’ai pas travaillé.

Ce que je veux dire, c’est comme, dès qu’on a le bac, l’entrée est libre dans les facs, ça fait une quantité d’étudiants assez conséquente et on va accepter, admettons, cinq fois plus de personnes qu’il n’y en aura dans trois ans dans cette même fac. Donc si on est du point de vue de l’Etat, on se dit que si jamais on augmente les frais de scolarité des facs, les gens ne se diront plus “ je ne sais pas quoi faire, je vais dans cette fac”. Ça pourrait être un point positif pour faire de la sélection. Et vous, vous êtes contre ça, contre ce genre de tests à l’entrée ?

Non, moi je suis pour que les 500 étudiants qui rentrent en première année d’’économie en licence à Paris I aient leur licence, pas pour qu’on fasse la licence de façon à ce qu’ils l’aient mais qu’on fasse les études de façon à ce qu’ils soient capables d’avoir une licence et parce qu’ils seront plus heureux, plus épanouis et parce que la société en profitera, sans aucun doute. Là ils dépriment, ils bossent à côté, ils passent trois ans en première année et après on ne sait pas quoi en faire non plus. Il y a plein d’aspects là-dedans, il y a la massification de l’enseignement supérieur - politique décidée par l'état - donc a posteriori on peut faire payer le coût aux étudiants qui plantent, enfin ce n’est pas leur faute au départ. Ce n’est pas tellement eux qui l’ont imposé, ce n’est pas des luttes de lycéens monstrueuses pour accéder à l’enseignement supérieur mais c’est plutôt des choix de gouvernement et ça correspond aussi à une période de chômage élevé, où maintenir une partie de la population dans le monde des études est une façon d’avoir moins de concurrence sur le marché du travail, d’avoir des chiffres sur le chômage qui n’augmentent pas trop. Je ne suis vraiment pas sûr que l’on puisse se passer de ça en ce moment.

On ne peut pas laisser tout le monde choisir ses études selon son pur goût. Si tout le monde rêve de faire médecine, si toute la population se met à faire médecine, même s’ils sont tous passionnés, il faut qu’on trouve un moyen de les canaliser vers d’autres filières.

Je suis entièrement d’accord. Aujourd’hui ce n’est pas comme cela qu’on procède pour choisir le nombre d’étudiants, même pas en médecine. En médecine, ce nombre est déterminé en fonction de ce que l’ordre des médecins considère comme étant la bonne concurrence chaque année. On a des besoins énormes. Il n’y a plus de gynécologie parce qu’il n’y a plus d’étudiants en gynécologie parce que plus personne ne s’y inscrit. Moi, je suis pour une vision plus “ingénieure”, l'état devrait avoir un point de vue sur les besoins de la société et du coup, prendre des mesures pas forcément incitatives, être même plus violent que ça en disant : “on finance les études des gens, on leur donne une allocation pour qu’ils puissent poursuivre leurs études, on leur demande de faire des choix qui sont utiles pour la société”. Pour le coup, je trouve plutôt qu’il y a un effet incitatif très fort à expliciter que c’est un investissement collectif et donc les profs vont se sentir plus responsables du devenir des étudiants et les établissement vont être davantage obligés d’arriver à quelque chose parce que ça coûte cher un étudiant, dans tous les cas. Là c’est plutôt un truc de garderie, on essaye de leur faire comprendre qu’il va falloir qu’ils se rendent compte qu’ils vont échouer. L’établissement a, d’une certaine façon, intégré le fait qu’il dépense de l’argent à perte et qu’il faut que tout le monde vive avec cela. Donc bloquer à l’entrée, ça fait quand même des étudiants qui ont leur bac et qui feront quoi ? Je ne suis pas sûr qu’on y soit.

Dans l’enseignement supérieur en France, on manque globalement de ressources par rapport aux autres pays. Si on envisage un financement de l’éducation par répartition et qu’on finance l’enseignement supérieur par l’impôt, compte tenu de la perte du AAA, comment trouve-t-on ces nouvelles...

Pour récupérer le AAA, il faut augmenter les impôts, c’est sûr, c’est la seule solution. Je suis à fond pour une augmentation les impôts, plus que ce qu’on demande pour l’enseignement supérieur. En plus on a derrière nous des années de baisse et de baisse des impôts, en particulier pour les catégories sociales les plus aisées. Il faut les remettre. On n’aura plus de problèmes de déficit chronique mais des dépenses mieux utilisées.

Ça demande une réforme fiscale d’ampleur du coup...

On peut faire des réformes, mais je souhaiterais d’abord augmenter les volumes, donc éventuellement réfléchir à ce que ça change de prendre de modifier les impôts, certaines peuvent être intéressantes mais simplement, il faut les augmenter à des taux beaucoup plus sérieux. L’impôt sur le revenu ça rapporte assez peu, la tranche supérieure est très basse et les financements se font, pour la plupart, par la TVA et la CSG. Ceux-ci sont insuffisants, ça c’est sûr.

Ça serait uniquement les impôts sur les revenus qu’il faudrait augmenter ou aussi les impôts comme la TVA ?

Il faut baisser la TVA, augmenter l’impôt sur le revenu et monter les impôts sur les sociétés. La taxe professionnelle a disparu il y a deux ans, je ne sais pas si on va la rétablir, ou quelque chose équivalent. Le président de la république propose de mettre en place une taxe Tobin, ça me paraît être une très bonne idée. Plein d’impôts possibles, plutôt là où il y a de l’argent plutôt que sur les catégories les plus populaires - touchées par la hausse de taxes avec la TVA sociale.

Sans craindre une fuite des contribuables ?

On est vraiment très très loin de l’économie mais ça, après, ça relève de choix politiques pour déterminer comment réagir. C’est marrant parce qu’on se retrouve avec des étudiants qui échouent en licence et on voudrait plus d’incitations, les faire payer et, évidemment, s’ils ne remboursent pas leurs prêts, on les poursuit, en revanche, un contribuable qui s’enfuit, là ça ne vous inquiète pas. Eh bien, on le poursuit, on le met en prison et on récupère l’argent. Si on peut faire ça pour un étudiant endetté pourquoi ne peut-on pas faire ça pour un contribuable ?

On a l’impression que pour vous, il ne faudrait pas augmenter les frais de scolarité pour préserver une philosophie saine de l’enseignement supérieur mais a priori, si on les fait varier, il n’y aurait pas un impact social significatif dans le sens, où, comme on l’a vu avec Sciences Po, les mesures n’avaient pas particulièrement augmenté le nombre d’étudiants issus de milieux défavorisés. Finalement, on se rend compte que, dès le bac, les choses sont jouées.

Je suis d’accord avec toi. Pour le coup, il y a une partie qui, dans notre travail, est invisible. Il s’agit du lien entre le cycle secondaire et le supérieur. On commence à travailler avec des gens qui ont fait de la sociologie, ce sont des trucs sur lesquels il faut qu’on avance. Effectivement, il y a une bonne partie des inégalités qui ont des liens dans le secondaire et même dans le primaire, donc, si j’ai bien compris, très liées à l’école primaire dans laquelle on est. Dans le cas des ségrégations géographiques, grandir en banlieue, ce n’est pas un bon choix. Notre origine a tendance à nous orienter dans les filières et après à moduler la capacité d’intégrer une fac ou une autre. On peut rajouter des barrières à plein d’endroits, ce n’est pas parce qu’il y a des barrières avant qu’on ne peut pas en rajouter après mais ça ne réglera pas complètement le problème d’avoir des allocations, ça je suis d’accord.

L’impact social ce n’est pas un argument fort chez vous ?

Si, je pense qu’il y a un impact social très fort sur ceux qui accèdent aujourd’hui à l’enseignement supérieur. Aujourd’hui, une partie de la population accède à l’enseignement supérieur et ce n’est pas exclusivement des enfants de cadres. Donc rajouter des frais de scolarité, des prêts, aggraveraient sans doute les inégalités qui existent aujourd’hui. S’assurer que ça n’arrive pas et, en plus, mettre des allocations, ça aurait, à mon avis, un effet de baisse des inégalités, mais ça ne les annulerait pas, loin de là. Il faudrait des mesures bien plus profondes.


Pour revenir sur le thème des élections présidentielles qui approchent- là on a d’autres soucis dans l’actualité - pensez-vous que, dans les quelques moi qui restent, ce sujet va prendre de l’ampleur ?

Oui, je pense, vous avez choisi un bon sujet. Est-ce que vous serez invités en une du JT, je ne suis pas complètement sûr. Le problème pour mettre en place des PARC et des systèmes analogues est qu’une vague confiance dans le système financier est nécessaire à leur mise en place. Ça revient de temps en temps mais je ne vois pas l’UMP, ni le PS le portait très fort. Ça risque d’arriver de nouveau, après les présidentielles, quand ça va être mis en place parce que je ne suis pas sûr que les étudiants soient vraiment d’accord non plus, mais on peut se tromper. La France a perdu son AAA, si tout ne s’effondre pas cette semaine - ce qui n’est pas garanti, peut-être que le sujet sera abordé pendant la campagne.

En résumé, si la finance dicte un petit peu les réformes, c’est plutôt vers une augmentation des frais de scolarité pour dégager des ressources et délester l’état, du coup ça interviendrait après les élections présidentielles puisque ce n’est pas très vendeur comme programme ?

Oui, mais après Terra Nova avait un bon package, en disant François Hollande arrive en déclarant “ on va mettre en place l’allocation d’autonomie que l’UNEF revendique depuis 2003”. Et on voit bien que ce n’est pas suffisant et que ça appelle des projets plus complets, avec des garanties etc., cette partie est difficile à avancer. Je ne sais pas ce que M. Trannoy en pense, ça serait intéressant de savoir.

Sur les PARC ?

La possibilité de les mettre en place rapidement.

On n’a pas trop parlé de la possibilité de les mettre en place rapidement, mais lui était assez pour une augmentation des frais de scolarité à 20 % du coût de la scolarité avec un système de PARC généralisés. Il comptait les mettre en place en utilisant le reste du grand emprunt.

Je suis censé aller à Saclay. On va être en concurrence pour dépenser les financements du grand emprunt. Vous avez un créneau encore : si les prêts étudiants explosent aux Etats-Unis, comme les subprimes il y a quatre ans, notre sujet sera en une pendant un moment. Ce n’est vraiment pas impossible d’ici trois à quatre mois.

Il y a de vrais risques sur la dette étudiante ?

Il s’agit de volumes monstrueux qui étaient un peu sur le même créneau que les subprimes : on finance cette dépense-là d’acheter un logement - parce que, de toute façon le logement va devenir plus cher - donc on pourra toujours revendre et rembourser le prêt - et là pour les étudiants, c’est la même idée : “d’accord c’est cher de faire des études mais c’est forcément rentable d’entrer sur le marché du travail donc vous pourrez, avec votre salaire, rembourser les prêts.” Sauf que le marché du travail se porte mal, il y a du chômage et beaucoup d’étudiants ont payé très cher, qui n’ont pas de boulot donc qui ne peuvent pas rembourser, avec un effet encore plus violent que pour les prêts immobiliers parce que quand on ne peut pas rembourser un de ces prêts, la maison est saisie mais quand on ne peut pas rembourser son prêt étudiant, le capital humain ne peut pas être saisi du coup t’es endetté à vie. Quoi qu’il arrive tu n’as plus le droit d’emprunter quoi que ce soit etc. C’est extrêmement grave, je ne sais pas comment ils vont s’en sortir. Je ne sais pas si c’est pour l’an prochain ou pour dans deux ans mais c’est vraiment une menace potentielle, dont on commence à discuter dans la littérature, plutôt anglo-saxonne comme un truc à court terme.

Pensez-vous que la situation en France sur les frais de scolarité peut vraiment évoluer dans les années qui viennent ?

La crise financière a repoussé l’échéance. Ça nous laisse du temps pour avoir des points de vue un peu plus aboutis. Ça a retardé, je pense, une partie de ces réformes-là. Peut-être va-t-on réformer les facs en baissant le salaire des profs.

La recherche est vraiment intense en France sur ce sujet ?

Je pense que vous savez ce qu’il y a à savoir. Les gens qui travaillent vraiment là-dessus, principalement, ce sont des gens autour de Gary-Bobo et Trannoy, Stéphane Grégoir à l’EDHEC, nous sommes également très investis là-dessus. Pas sûr qu’il y en ait beaucoup plus en France.

Vos futures pistes de recherche seront explorées en collaboration avec Léonard Moulin ?

Lui c’est son sujet de thèse, il a commencé en septembre. Il a déjà travaillé depuis plus d’un an et demi avec nous. Les sujets sur lesquels il va se mettre à travailler sont : des études empiriques sur qui accède à l’enseignement supérieur et, si on y arrive, quels choix seront faits par un étudiant en fonction du niveau des frais de scolarité, ou pas. Pour des étudiants qui arrivent en fin de licence, par exemple et qui ont le choix entre rentrer dans une école d’ingénieur, dans une école de commerce en parallèle des concours, éventuellement payantes, ou poursuivre dans un master ou aller à Sciences Po. Est-ce qu’un aspect financier intervient ou est-ce une décision portant sur l’aura des facs et des écoles ? Plusieurs aspects sont convoqués: des aspects sociologiques et d’autres éléments que l’on essayera d’analyser empiriquement en économétrie.

En économétrie ?

L’économétrie correspond à la partie empirique de l’économie, sur données. Un des aspects concerne les étudiants alors que l’autre aspect se rapproche de l’économie industrielle : regarder comment les entités (universités, établissements, etc.) réagissent face à leur mise en concurrence et au fait que certaines d’entre elles imposent des frais de scolarité élevés. Sont-elles obligées de se caler sur le même modèle ? En Angleterre, l’année dernière, il y a eu une levée du plafond possible pour les universités. Evidemment, on s’attendait à ce que les facs prestigieuses adoptent des droits d’inscription très élevés et celles qui sont un peu moins prestigieuses tentent de se caler un petit peu plus bas pour attirer les étudiants moins riches. Ce n’est pas ce qu’il s’est passé, toutes les facs ont monté leurs frais de scolarité, sans doute parce qu’elles pensaient que tout le monde serait toujours prêt à payer ou parce que sinon ça aurait été un suicide en pensant qu’elles n’auraient pas les armes pour survivre à la concurrence. Ce sont vraiment des études prévues à l’ordre du jour.

Une question de curiosité : comment-faire pour enrayer le mécanisme si on a une fac privée qui décide de mettre des prix hauts - à part s’il y a un pouvoir supérieur qui l’en empêche....

La loi !

Il faut changer la loi ? Pour lutter contre Sciences Po, si je suis une fac à côté....

Surtout si elle peut, de surcroît, payer beaucoup plus cher les profs. L’argument habituel est celui de la concurrence internationale : comme l’Etat peut difficilement avoir un effet sur les concurrents à l’étranger, il faut soit condamner les établissements français, soit les laisser lutter à armes égales. Il faut sérieusement réfléchir à qu’est-ce qu’il est le plus grave entre avoir quelques étudiants qui partent ou transformer complètement l’enseignement supérieur dans une vision beaucoup plus inégalitaire. Il peut y avoir d’autres façons de lutter qu’en augmentant les frais de scolarité. Les Mines à l’international c’est très difficile à vendre, c’est une école d’ingénieur, c’est un truc bizarre et pourtant vous avez quand même décidé de passer deux ou trois ans à bosser comme des malades pour entrer aux Mines. Vous auriez pu partir à l’international, glander quatre ans dans une fac américaine en Californie, en payant certes 50 000 € par an, après vous auriez eu un super CV facile à vendre.

Sur le thème du cadre international, l’OCDE a publié un rapport sur le financement de l’enseignement supérieur, la Banque mondiale s’est exprimé dans le même sens sur le sujet, s’accorder sur le fait que, pour augmenter les ressources, les PARCS étaient l’option à suivre...

C’est cohérent.

C’est cohérent avec leur point de vue, leur politique mais est-ce que ce genre de choses peut avoir une réelle influence sur les politiques nationales ?

Oui. Le cadre déterminant pour nous, c’est le cadre européen et c’est la stratégie de Lisbonne. Depuis l’an 2000, c’est quelque chose qui est mis en place légalement par les états à travers leur coordination au niveau européen, une bonne partie de l’OCDE correspondant à des états européens. L’OCDE est censée être un organisme d’étude empirique et après les propositions qu’il fait, ce sont des orientations, des choix et correspondent à la stratégie de Lisbonne et ont des effets très forts. On peut complètement remettre les réformes en France dans ce cadre-là.

Si on considère également la Banque mondiale, il pourrait y avoir des pressions financières ?

Sur la France, même dans cette situation critique, non, il ne faut pas exagérer. Des effets un peu plus subtils peuvent se manifester : il faut voir comment les politiques européennes mettent la pression sur les états sans que ce soit des sanctions - la plupart du temps, en publiant des classements. On va avoir des classements sur le fonctionnement de l’éducation. Des orientations sont prises, il faut libéraliser l’enseignement supérieur et ce que va faire la commission européenne c’est mesurer la libéralisation, mesurer certains résultats comme le salaire moyen en sortie des grandes écoles ou des facs. Elle va ensuite les présenter, communiquer dessus et les états vont se retrouver à être soit bien classés, soit mal classés. Et donc à devoir soit dire “je ne tiens pas compte de ce classement” soit dire “ce classement est problématique mais il faut remonter” - c’est ce qu’il se passe avec le classement de Shangaï. Les ministres successifs de l’enseignement supérieur et de la recherche, le directeur de mon école ont déclaré : “ le classement de Shangaï n’est pas parfait, il ne reflète pas la réalité mais ça serait quand même bien d’être en haut. Donc il faut qu’on s’adapte à ça.” Et ce n’est pas parce que le classement vient dire qu’il faut faire ça mais on se sent obligé de se conformer aux critères de ce classement donc c’est pour ça qu’on part à Saclay.

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