Entretien avec Bruno Julliard


Décembre 2011

Bruno Julliard, homme politique, membre du parti socialiste français. Président de l'Union nationale des étudiants de France de juillet 2005 à décembre 2007


Comme vous faites partie du comité de campagne présidentielle de François Hollande, est-ce que selon vous l’augmentation des frais de scolarité sera un des points clés de la campagne présidentielle?

Je pense que la question du financement de l’enseignement supérieur en règle générale et de l’université publique en particulier seront un des éléments importants de la campagne, enfin de la campagne sur cette partie là: la partie éducation, enseignement supérieur, recherche. Je ne pense pas en revanche, quant à cette question du financement, que le débat se concentre sur la question des frais de scolarité. D’abord parce que la gauche y est majoritairement très hostile, elle est très divisée sur ce sujet. Si jamais un des candidats décidait d'annoncer une volonté d’augmenter les frais d’inscription, il ne serait pas du tout suivi par les autres partis de gauche qui sont potentiellement les partenaires du gouvernement de demain. Et ensuite, parce que même à droite c’est un sujet qui n’est pas si populaire que ça, et pour plusieurs raisons. Bon nombre de responsables politiques de droite, de la majorité présidentielle, de manière assez pragmatique voient bien que ce n’est probablement pas la solution idéale. Mais en revanche, ce qui est certain, c’est que la question du financement de l’enseignement supérieur sera un sujet important.

Vous avez dit que la gauche était divisée, mais il y a quand même une proposition du think tank Terra Nova qui proposait notamment de tripler les droits de scolarité à l’entrée de l’université. Comment réagissez-vous par rapport à ça, Vous approuvez ?

Non, je n’approuve pas. D’ailleurs je sais que terra nova, le think tank lui-même, était un peu divisé quand même sur cette proposition là. Je regrette un peu d’ailleurs que dans un rapport qui était beaucoup plus large que ça sur l’enseignement supérieur (il y a de très bonnes propositions), comme c’est une proposition qui est assez polémique, qui fait controverse justement, dès que quelqu’un avance sur ce sujet, tout de suite évidemment le reste passe un peu inaperçu. En tout cas ça prend forcément le devant de la scène. Je pense que ça n’est pas une bonne proposition pour plusieurs raisons. Même si pour moi ce n’est pas une question de doctrine ou ça n’est pas une question idéologique, il n’y a pas de tabou, on peut discuter de tout. Mais pour plusieurs raisons je pense que ce n’est pas la bonne solution que de proposer l’augmentation des frais d’inscription. Mais surtout dans le contexte actuelle de difficultés sociales importantes pour les familles françaises, pour les foyers, je pense que l’heure n’est pas, quelles qu’en soient les conditions, à augmenter le prix d’accès à un service publique.

Alors sachant que dans le même temps il propose quand même une allocation d’autonomie pour les étudiants...

...très coûteux d’ailleurs dans leur version!

Finalement même dans ce cas là ça ne serait pas possible d’augmenter les frais de scolarité?

C’est effectivement une très bonne question. D’abord on a un problème majeur d’un déficit de financement en France de l’enseignement supérieur publique, et notamment de l’université. Il y a beaucoup de choses qui expliquent cela, il y en a notamment une parmi d’autre, c’est aussi un déficit d’investissement publique. Ce n’est pas le cas dans notre lycée où on a un investissement publique qui est conséquent, supérieur à la moyenne des pays de l’OCDE, on a en revanche un investissement publique, toutes dépenses confondues, c’est à dire j’intègre aussi le financement des collectivités locales, les régions qui investissent beaucoup, les villes également, tout cumulé, on a un déficit de financement publique, y compris quand on compare à d’autres pays très concurrentiels comme les États-Unis par exemple, ils ont , on oublie souvent de le dire, un investissement publique supérieur au notre . Donc je pense qu’il faudrait tout de même commencer par rattraper ce retard là qui est fondamental. Si on veut être compétitif demain on a besoin d’avoir un enseignement supérieur, et une recherche et demain une innovation de qualité, ça passe par un investissement publique important. Or, si on pense qu’on financera mieux l’université en augmentant les frais de scolarité je pense qu’en terme de masse de crédits on sera totalement à côté de la plaque! C’est à dire qu’on ne sera pas du tout dans un étiage suffisant pour améliorer le conditions financières des établissements. Surtout que si l’on veut que cette solution soit juste socialement, ou en tout cas qu’elle soit le moins injuste possible, il n’y a que deux possibilités: soit on augmente massivement les bourses et les aides, auquel cas l'opération est nulle au final puisque ça restera la puissance publique qui paiera, soit on met en place des systèmes de prêts, et là, dans le contexte actuel, je ne suggère pas qu'on ajoute à un pays très endettés des individus qui, lorsqu'il arrivent sur le marché du travail, seront sur-endettés. C'est un peu ce qui est arrivé, et ce qui arrive d'ailleurs, en Grande-Bretagne où bon nombre de jeunes qui ont terminé leurs études, au moment ou ils arrivent sur le marché du travail et ils deviennent des citoyens autonomes et ils s'installent dans la ville, c'est là qu'ils devraient normalement investir le plus et être le plus utile à la croissance et au développement économique, en réalité ils sont plombés par une situation de sur-endettement. Donc au final, d'un point de vue économique, ça ne me paraît pas être une proposition pertinente que d'augmenter les frais d'inscription parce que je ne crois pas que c'est ça qui réglera le problème du financement des université. En revanche, la raison pour laquelle je disais que ce n'est pas un sujet idéologique en tout cas on ne peut pas dire "je suis hostile par principe à l'augmentation des frais d'inscription", d'un point de vue économique, je pense que ce n'est pas bon. En revanche c'est vrai qu'aujourd'hui la situation qui n'est pas acceptable, et qui est quand même celle là aujourd'hui c'est que le système est tellement injuste aujourd'hui dans l'enseignement supérieur, vous avez de la chance car globalement vous e bénéficiez plutôt, mais l'état finance massivement des filières très sélectives qui accueillent les meilleurs élèves et il se trouve que notre système éducatif français fait que la sélection sociale étant tellement importante que le tri scolaire est directement lié à l'origine sociale des élèves et on se retrouve dans cette situation assez étonnante où on finance massivement les étude des jeunes issues de familles favorisée. à l'inverse on retrouve sur le banc de l'université dans les filières qui coûtent le moins cher, parce que le taux d'encadrement est moins important, un taux d'équipement qui est également en général nettement inférieur à ce qu'on peut trouver dans des école sélectives, des classes prépa, ou même des IUT ou des BTS, et là on retrouve en général ceux qui ont eu un bac, parfois un bac techno ou un bac pro, où en tout cas l'origine sociale est en général nettement moins favorisée avec une nation qui investit beaucoup moins pour ces enfants issus, et c'est le cas malheureusement sur l'ensemble du système scolaire, mais c'est caricatural dans l'enseignement supérieur, et donc une nation qui investit beaucoup moins pour les enfants issus des familles défavorisés. Donc là on a effectivement un vrai problème. On se dit finalement les classes moyennes payent un peu par leurs impôts les études supérieures des catégories aisées puisque la quasi gratuité des études fait que ce soient les origines sociales finalement, donc globalement on a un accès qui est assez peu coûteux en France aujourd'hui en moyenne à l'enseignement supérieur. Donc là on y a un vrai problème mais je ne pense pas qu'on le réglera par une augmentation des frais d'inscriptions même si ,certains proposent ça, c'est de les moduler en fonction des revenus des parents, c'est à dire on paierait plus si les parents gagnent plus, on pourra revenir la dessus, je ne suis pas favorable non plus à ce dispositif là je pense que là la vraie mesure de redistribution c'est à dire d'éviter ce système qui est profondément injuste, c'est vrai, et c'est l écueil de la gratuité aujourd'hui, la quasi gratuité, le système est profondément injuste, mais la meilleure réponse ça sera une refonte importante de notre système d’enseignement supérieur au profit d'abord de l'université.

Alors vous avez des étudiants qui arrivent dans la vie professionnelle surendettés. On avait un couple d’économistes: David Flacher et Hugo Harari Kermadec qui proposaient une sorte d’impôt indexé sur le niveau d’étude, pour faire jouer une solidarité inter générationnelle mais juste entre les personnes ayant fait des études supérieures. C’est à dire ceux qui n’ont pas fait d’études et dont les enfants ne font pas d’études, ne payent pas pour ceux qui font des études. Donc on payerait un impôt , c’était quelque chose de très précis, ils disaient même géré par la sécurité sociale, payé par ceux qui ont fait des études supérieures.

Bruno Julliard: En tout cas ça répond à une des problématiques dont on vient de parler à savoir la situation particulièrement injuste actuelle qui est que en effet, quand on est une classe moyenne on paye des impôt quel qu’ai été son propre parcours d’étude quelles que soient les études ou pas d’ailleurs des enfants de cette même classe moyenne, les impôts de fait aujourd’hui, dans la part qui contribue à financer l’enseignement supérieur, il faut reconnaître que ça favorise d’abord les jeunes issus en général des familles les plus aisées parce que c’est ceux qui font les filières qui coûtent le plus cher à la nation, donc là c’est vrai qu’il y a un sujet majeur d’injustice. Il y a plusieurs moyens d’essayer de réparer cela. Si je comprend bien, le dispositif est effectivement celui là. Ce qui me dérange un tout petit peu, pour le coup là c’est une réflexion un peu politique, quasi philosophique d’ailleurs, c’est que j’ai la conviction que l’enseignement supérieur n’est pas uniquement un service personnel et individuel, mais bien le service de la société, d’une collectivité, à destination de tous. Et donc ce rapport individuel c’est à dire “moi j’ai pas fait d’études, donc j’ai moins à contribuer au service publique, ou même mes enfants d’ailleurs, j’ai moins à contribuer au financement du service publique, de l’enseignement supérieur”, je suis pas tout à fait favorable à ça, je serai plutôt favorable à ce que nous ayons un système fiscale beaucoup plus juste et redistributif qu’aujourd’hui, et donc là en fonction des revenus, quels que soient les types de revenus, qu’il y est un impôt nettement plus progressif et qui soit beaucoup plus juste qu’aujourd’hui et qu’en revanche pour éviter cette caricature de notre système très injuste qui favorise les milieux favorisés au détriment des classes moyennes, en revanche là c’est une reforme en profondeur du système d’enseignement supérieur qu’il faut de mon point de vue mettre en place, parce que ce qui compte c’est la qualité de service publique pour tous. Donc je voit bien les avantages de ce dispositif là parce qu’il permettrait de remédier un peu à l’injustice du système actuel, ce qui me dérange plus c’est qu’on intégrerait un peu un dispositif un peu, comment dire, clientéliste, dans le sens ou chaque usager deviendrait finalement le client de l’enseignement supérieur ou de l’université et ensuite ça serait uniquement en fonction de ça que l’investissement financier, par impôt, même si c’est par impôt, … donc ce lien un peu individualiste et quasi mercantile entre l'individu et le service de l’enseignement supérieur ne me paraît pas être une excellente chose

Il y a une mesure qui existe, notamment en Australie, qui s’appelle le paiement à remboursement conditionnel. Vous dites que les étudiants peuvent arriver sur le marché du travail endettés, alors dans le paiement à remboursement conditionnel, on attend un niveau de salaire pour rembourser ensuite ses frais de scolarité. Alors est-ce qu’une telle mesure pourrait justement régler ce problème d’endettement des étudiant, et vous paraît envisageable ou pas?

Bruno Julliard: Cela serait, de fait, la solution la moins mauvaise, si un choix de remboursement d’une partie de ce qu’à coûter la formation de chacun des individus, si c’était ce choix là qui était fait, il faudrait en tout cas qu’il y ait effectivement des conditions, de fait, sur le niveau de salaire et le niveau d’insertion professionnelle des jeunes concernés, car sinon ça serait une situation totalement injuste, parce que malheureusement il existe évidemment des situations où des jeunes on fait des études, longues, et où l’insertion professionnelle est quand même difficile et où on ne peut pas rembourser. Donc si ce choix était fait, il faudrait ,de fait, mettre en place un système comme celui la. Je n’y suis quand même pas favorable. Peut-être pour deux raisons: la première parce qu’encore une fois je pense que il ne faut pas considérer que l’enseignement supérieur est uniquement là, l’université, c’est quand même l’essentiel, est uniquement là pour offrir une prestation à chacun des individus que l'individu doit payer immédiatement à l’entrée de l’université ou même en empruntant et en remboursant ses études au fil de sa carrière parce que encore une fois on est dans un lien très individualiste et clientéliste entre l’individu et l’université. Or on parle bien, aujourd’hui encore en tout cas (rire) d’un service publique et c’est donc de mon point de vue une démarche philosophique assez différente. Le second point qui est encore plus important: il faut bien voir que le pays, la société à tout intérêt à investir massivement dans ce qui demain pourra nous permettre d’être plutôt bien positionnés dans une mondialisation et une compétition exacerbée. On a besoin d’investir massivement dans la formation, la qualification des jeunes générations d’aujourd’hui. Et on va bientôt accuser un retard,c’est déjà le cas d’ailleurs par exemple sur les ingénieurs, nous manquons de plusieurs dizaines de milliers d’ingénieurs dans notre pays que nous ne qualifions pas, que nous n’arrivons pas à qualifier, donc la prime des priorité c’est celle la.c’est à dire la question qu’on doit se poser c’est quels sont les choix économiques d’investissement que nous faisons pour l’avenir de notre pays et donc on n’est pas uniquement dans la nécessité d’améliorer les conditions d’insertion professionnelle des jeunes. Mais on est aussi dans la nécessité de construire le modèle économique et culturel de demain et cela passe par un investissement de la nation dans l’enseignement supérieur. Tout le reste, honnêtement, surtout vue la grave crise que nous traversons en ce moment, me paraît un peu anecdotique. Que, dans certaines professions, on puisse se dire que ça n’est pas très choquant qu’un état de service dans la fonction publique pendant un certain nombre d’années soit obligatoire parce que la nation a payé pour leur formation (comme pour les étudiants en médecine), ça ne me dérange pas du tout. On peut discuter de cela mais ça ne me paraît pas essentiel. La réflexion politique qui, pour moi, est majeure, pour laquelle il y a eu beaucoup d’effets d’annonce et à cause de laquelle on risque d’accuser un retard très conséquent dans la compétition internationale si on ne la prend pas à bras-le-corps. Je vois le problème beaucoup plus sous cet angle là que sur l’investissement individuel de chaque étudiant à l’entrée de l’université ou le remboursement après les études.

D’accord, donc vous proposez un investissement plus massif de la nation dans l'enseignement supérieur. Mais le fait est qu’il y a des taux d’échec assez importants dans certaines filières qui montrent bien qu’un investissement personnel est aussi nécessaire. On peut se dire que les gens qui échouent à l’université, ce n’est pas avec plus d’argent venant de l’état qu’ils vont nécessairement mieux réussir. Donc la proposition d’augmentation des droits de scolarité compte sur une responsabilisation des lycéens s’inscrivant en licence selon le principe “j’ai payé et je vais faire plus d’efforts pour décrocher ce diplôme”.

C’est un argument qui est effectivement très fréquemment utilisé par ceux qui souhaitent une augmentation des frais d’inscription. Il y a quand même deux écueils. Le premier : on responsabilise uniquement les pauvres parce que ceux dont les familles ont les moyens d’assumer une augmentation massive des frais d’inscription, ça ne les responsabilise en rien du tout. La dimension économique, financière de l’inscription n’aura aucun impact pour ces personnes, ce que je trouve assez détestable pour une république - comme les franchises à la sécurité sociale qui ne dérangent ni ne responsabilisent pas les individus qui gagnent 6 000 ou 7 000 € par mois. En revanche, il y a parfois des familles qui ont beaucoup plus de mal et c’est toujours les mêmes qui trinquent. Il faut quand même émettre cette réserve là. Mais surtout, là où l’argument n’est pas du tout défendable c’est que, ça serait juste si on mettait des conditions de travail satisfaisantes pour que tout le monde puisse réussir. Or, de l’école primaire jusqu’à l’université, nous avons un système scolaire qui est organisé pour sélectionner les élites, faire réussir les meilleurs mais qui ne permet pas de lutter contre les inégalités sociales d’origine et de faire réussir ceux qui sont en difficulté. On a de telles inégalités, profondes que ce n’est pas que de la faute de l’université, elle ne fait qu’hériter d’une situation dramatique. Il suffit de regarder les baccalauréats. On a le bac S, si possible avec spécialité mathématiques et la meilleure mention, puis on a ensuite, en descendant - en terme de reconnaissance- puis les autres baccalauréats et jusqu’au bac pro, on retrouve, malheureusement la chaîne de salaires des parents, à peu de choses près. La situation sociale des familles étant déterminante dans la capacité de réussite dans un système qui reproduit les inégalités d’origine. A partir de là, ça n’a pas de sens de dire : “ toi, tu ne réussis pas à l’université alors on dépense de l’argent pour toi parce que t’es en première année à l’université de Paris 13 mais quand même on va tripler les frais d’inscription pour que tu te responsabilises.” Mais qui l’a amené à cette situation d’échec ? Par ailleurs, même à l’université, on ne donne pas, en terme de taux d’encadrement, des moyens suffisants pour pouvoir réussir. Dans le même temps, d’autres étudiants ont eu un baccalauréat mieux reconnu qui se retrouvent dans des IUT, prépas, grandes écoles où le taux d’encadrement est nettement supérieur et où la dépense par étudiant varie du simple à plus du double. Si, d’abord, on ne s’attaque pas à l’origine du mal, c’est-à-dire un système éducatif qui, lui, structurellement, n’est pas organisé pour la réussite de tous, notamment les jeunes issus des catégories sociales défavorisées, tout le reste c’est de l’habillage, on essaye de se donner bonne conscience. Là, en revanche, où je suis d’accord avec vous, c’est sur le point suivant : il ne suffira pas de dire qu’on rajoute des moyens et des postes dans l’enseignement supérieur, pas même dans le système scolaire, pour résoudre les problèmes. Des changements d’ordre structurel en profondeur de l’enseignement supérieur et du système scolaire en amont sont indispensables (pratiques pédagogiques, orientation...). Il y a aussi besoin qu’on ait un système qui change culturellement, qu’il parvienne à assurer la promotion de tous et pas uniquement de ceux dont il était déjà écrit, dès la naissance, qu’ils allaient réussir. Et malheureusement, c’est le cas aujourd’hui. Donc l’argument ne me convainc pas du tout.

J’aimerais discuter du problème du statut de service public de l’université. Pour les transports en commun, par exemple, ils constituent un service public mais leur financement est partagé entre l’Etat et l’usager...

Je ne suis pas favorable à la gratuité totale de l’université, tout comme je ne suis pas favorable à la gratuité totale de l’ensemble des services publics. Je pense qu’il y a besoin de coûts, pas pour des questions de responsabilisation mais plutôt pour des raisons de compréhension (car dans la vie, rien n’est jamais gratuit et même si c’est la propriété de la collectivité ça a toujours un coût) et d’adhésion. L’université a également un coup, essentiellement assumé par la collectivité car on considère que c’est un service public. Je pense qu’il faut également prendre en compte une démarche d’adhésion. A l’université, on est aussi dans une démarche positive, de choix, donc d’adhésion à un certain nombre de valeurs du service public qui passe par une contribution, parfois symbolique, parfois beaucoup plus conséquente. En revanche, je ne suis pas du tout favorable à la gratuité totale, qui n’existe pas aujourd’hui du fait de l’existence de frais de scolarité, ce à quoi il faut ajouter pour les étudiants, des frais de sécurité sociale. Ceci engendre un coût conséquent pour les familles, du moins pour certaines d’entre elles. Là où je pense qu’il y a une marge importante de progression c’est que la particularité de l’université par rapport à un système scolaire classique c’est que l’essentiel de la recherche se fait à l’université (et pas dans des grandes écoles qui ont une reconnaissance d’élites et coûtent cher). On sait que la contribution de cette recherche à l’université est énorme pour l’activité économique du pays. Je suis favorable à un financement plus conséquent du système, dans sa globalité, par des contrats privés sous beaucoup de conditions puisqu’il faut évidemment maintenir le caractère non-utilitariste des formations et de l’indépendance de la recherche.
Aujourd’hui, l’entreprise privée bénéficie beaucoup de la qualité de la formation dispensé aux jeunes, futurs employés, et des résultats de la recherche et de l’innovation. Donc s’il y a des marges de manoeuvre à trouver dans le financement privé, je ne pense pas qu’on les trouvera dans la poche des familles mais du côté des entreprises privées, qui, si on fait la comparaison avec d’autres pays, contribuent nettement moins au développement de l’enseignement supérieur en France qu’à l’étranger.

En ce qui concerne la comparaison avec les autres pays, prenons par exemple les Etats-Unis. Ils ont un financement public plus important que celui en France, ils ont également un financement plus conséquent de la part des entreprises privées. En plus, ils bénéficient du financement par les étudiants. Finalement, ils ont trois sources de revenus alors comment peut-on, en France, les concurrencer sur la scène internationale ?

Toute comparaison n’est pas forcément excellente. Cela dit, l’équation est légèrement différente pour une raison simple : la dépense est sans commune mesure avec ce que nous avons en France. Ils ont des ressources nettement plus importantes que ce dont nous disposons ici : un investissement public plus important, les entreprises privées sous forme de fondations, mécénat et des financements privés des étudiants avec des frais de scolarité élevés. En revanche, ils ont des dépenses sans commune mesure avec les nôtres. J’ai visité quelques campus américains et on se rend compte qu’il n’y a pas d’équivalent en France en termes d’infrastructures (sportives, d’enseignement, de recherche...), en termes de taux d’encadrement, de rémunération des enseignants-chercheurs... Une perspective radicalement différente. Quant à la question des financements privés dus aux étudiants, ça revient à ce que l’on disait tout à l’heure sur l’accompagnement social. Ils ont, du coup, des dépenses d’accompagnement social des étudiants - dans les universités qui ont mis en place des frais de scolarité élevés - nettement plus conséquents que les nôtres. C’est la raison pour laquelle toute comparaison n’est donc pas forcément bonne car les modèles de financement sont très différents. En revanche, il y a au moins une voie que l’on doit suivre : l’augmentation importante, et à court terme, du budget consacré à l’enseignement supérieur. Augmentation pas forcément que publique, il faudra commencer par ça, c’est plus dans notre culture et comme nous avons un déficit d’investissements du privé. D’autant plus qu’il y a peu de grands cadres d’entreprises qui viennent d’universités, étant issus majoritairement de grandes écoles. Quoi qu’il en coûte, il faudra arriver à une augmentation du budget. Ça ne sera pas que public, il y aura aussi du privé mais on accuse du retard. Les annonces de mesures faites par Nicolas Sarkozy au début de son quinquennat allaient dans ce sens là: il avait annoncé qu’il augmenterait, chaque année, le budget de l’enseignement supérieur d’un milliard d’euros chaque année, ce qui signifierait un dégagement de 15 milliards d’euros lors de son mandat pour l’enseignement puisque le milliard ajouté la première année s’ajoute aux autres les années suivantes. On en est très loin, la crise est passée par là et à l’origine la promesse n’a en fait pas été respectée. Cela dit, le constat d’origine était le bon, à savoir qu’il a aujourd’hui un déficit d’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche qui va nous coûter extrêmement cher et qui commence déjà à nous coûter cher dans la compétition internationale. Le vrai débat, de mon point de vue, c’est celui-là. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de discussion à avoir sur les modalités de l’augmentation de ce budget. Honnêtement, l’augmentation des frais d’inscription, avant que l’on trouve un modèle réellement juste et efficace, ça me paraît non seulement pas être la priorité et ça viendra, à mon avis, en queue de liste.

Le financement par les entreprises privées, solution à laquelle vous êtes plutôt favorable, n’avez vous pas peur que ça favorise davantage l’élitisme ? Les grandes écoles bénéficient déjà de ce genre de ressources et les entreprises vont plutôt financer les écoles qui pourront leur apporter quelque chose, les écoles de meilleur niveau. N’avez-vous pas peur que ça accroisse les différences de financement ?

Vous avez raison d’aborder ce point. Effectivement, le peu de financements privé qui existe aujourd’hui favorisent les écoles d’”élites”, ou en tout cas celles qui facilitent la reproduction des élites et ne sont pas dans une démarche démocratique approfondie. C’est la raison pour laquelle, et ça s’explique d’ailleurs, que l’élite, à tout niveau - je me souviens d’ailleurs d’une discussion au sein du bureau du Parti Socialiste lorsqu’on a poussé pour un rapprochement entre les classes préparatoires et les universités, on a eu face à nous bon nombre de dirigeants qui, provenant eux-mêmes de ces filières sélectives et de cette culture d’évitement de l’université n’y étaient pas favorables - est réfractaire à certaines mesures. Vous citiez des risques, il y en a en effet plusieurs : la répartition des ressources peut être inégalitaire puisque si une entreprise choisit ce qu’elle finance, soit elle financera le secteur qui l’intéresse particulièrement, soit l’école dans laquelle elle souhaite recruter ses futurs cadres ou pour d’autres raisons...Il faut également être très vigilant à l’influence que peut avoir le financement privé sur le contenu de la recherche et des enseignements. Là on est dans un défi démocratique, culturel autrement plus conséquent...un péril démocratique. Donc c’est la raison pour laquelle je disais tout à l’heure qu’il fallait aller adosser à cette volonté d’un financement privé plus important des règles extrêmement strictes, je pense, de mutualisation de ces mêmes financements et de régulation, probablement publique, de ces financements nouveaux, quels que soient les choix des entreprises, mais il faudra une régulation importante de la part de l’état, ou d’une autre puissance publique, entité locale ou autre, mais il faudra une force de régulation.

Quels est votre réaction par rapport à deux exemples actuels: Sciences Po qui a augmenté ses frais de scolarité et qui les a modulé en fonction des revenus des parents et Dauphine également qui a augmenté pas mal ses frais de scolarité?

Alors tout d’abord je ne suis pas favorable à ce qu’il y ait des frais,... pour des formations identiques et des universités qui sont globalement identiques ,on sait que ce n’est pas la réalité en termes de reconnaissance, en termes de recrutement des enseignants et qu’il y a le fait que la valeur non pas sur le papier, mais la valeur reconnue des diplômes diffère d’une université à l’autre. On peut le regretter mais malheureusement c’est comme ça. Cela dit je ne suis quand même pas favorable à ce qu’il y ait des différences importantes d’une université à l’autre. Normalement les frais d’inscriptions sont définies à l’échelle nationale sauf cas de dérogation possible, soit parce qu’on a des statuts dérogatoires, type Dauphine, soit alors parce qu’on est des écoles particulière de type de Sciences Po. Dauphine est un cas bien particulier sur lequel j’ai beaucoup travaillé il y a quelques années, mais je ne suis pas favorable à ce que cequi reste normalement une université puisse avoir une liberté aussi importante de choix de ses frais d’inscription parce que sinon ça veut dire qu’on rajoute à la sélection, qui parfois existe dans certaines disciplines dans certaines filière, à la sélection académique c’est à dire la sélection sur dossiers la sélection sociale. Alors après il ne faut pas s’étonner de se dire que du coup “ah ba regardez quand on fait plus payer les étudiants les résultats sont meilleurs!” Bah évidemment, parce qu’il y a une double sélection c’est à dire qu’on prend la sélection sociale et puis par ailleurs en général on a les meilleurs puisque malheureusement dans notre système éducatif les deux sélection sont directement corrélés. Donc heureusement qu’ils ont des résultats meilleurs avec un public qui est sélectionné et des conditions d’apprentissage qui sont meilleures. Je ne suis pas favorable à ce qu’il existe des écarts très importants et une liberté de fixer les droits de scolarité. La loi d’ailleurs ne le permet pas sauf cas dérogatoires mais qui vont être de p lus en plus nombreux... On ne rentre pas dans le détail. Cela dit, sur Sciences Po, c’est la solution la moins mauvaise si on décidait d’une augmentation des frais de scolarité, même si, parce que Sciences Po a voulu un système le moins injuste possible, en réalité, la plus-value budgétaire pour Sciences Po est faible. C’est à dire que c’est pas ça qui fait que Sciences Po est mieux noté. Cela joue à la marge dans le budget de Sciences Po. L’essentiel, et ça serait bien que ça soit régulièrement rappelé, l’essentiel c’est la négociation, en général assez favorable, qui est fait avec le ministère, et c’est des financements publiques qui font, et de très loin l’essentiel de la qualité budgétaire de Sciences Po. Cela dit, si je reviens sur le choix qui a été fait, si l’on décide d’une augmentation, d’abord il ne faut pas avoir trop d’ambition sur … C’est pas ça qui nous fera gagner un point de PIB dans le financement de l’université, en gros, c’est pas en prenant dans les poches des étudiants, on en sera très très loin! Mais admettons que ce soit une piste de réflexion, ce que je ne crois pas souhaitable, mais admettons. Dans ce cas là, c’est la situation la moins mauvaise, à savoir que effectivement, on ne demande pas les mêmes choses à tout le monde et on prend plutôt en compte la situation sociale des familles, et on met plus à contribution ceux qui a priori peuvent payer un peu plus. Mais là il y a quand même, moi ça me pose un problème, il y a un problème démocratique qui est le suivant: l’université n’est pas là par les droits d’inscription pour organiser à elle seule la réduction des inégalités et la redistribution entre les individus, mais c’est à l’état de le faire. Je m’explique. C’est à dire que moi je préfère nettement que le parlement qui est élu pour cela, par une politique fiscale plus juste et plus efficace décide qu’on met plus à contribution les foyers fiscaux les plus aisés et qu’on assure ensuite un service publique non pas gratuit mais enfin très accessible pour tout le monde, plutôt qu’on ne change rien à un système fiscale qui, aujourd’hui on en voit des caricatures quotidiennement dans les journaux, est profondément injuste, et qui par ailleurs ne produit pas assez de recettes pour l’état,mais on le maintiendrait comme ça, puis en revanche on dit “ha bah du coup c’est chaque établissement, chaque université, en l'occurrence là Sciences Po, qui en fonction de ses propres critères va décider d’une grille de redistribution, c’est à dire “Bon alors moi je considère que c’est les familles qui les foyers fiscaux qui sont à plus de 70 000 euros par ans, bah ceux là ils payeront 4 500 euros de frais d’inscription. Avec ça il y a un problème démocratique majeur c’est à dire que le directeur de Sciences Po et le conseil d’administration de Sciences Po ne sont pas l’émanation de la souveraineté populaire et du vote du pays, c’est à dire que la redistribution elle se fait par les députés et les parlementaires et au moment du vote de l’impôt. Et donc parce que si on allait au bout de ce raisonnement on pourrait faire cette réflexion sur l’ensemble des services publiques et à ce moment là il n’y a plus d’état régulateur qui est là pour organiser cette redistribution qui est légitime parce que démocratiquement élu et à ce moment là ça pourrait être chacun des services publique qui pourrait faire ses propres redistribution, et ça me pose un problème politique et philosophique. Alors là, ça reste la moins mauvaise des solutions, mais ça ne parait pas être une solution généralisable. Il n’appartient pas aux présidents d’université, aux conseils d’administrations des universités de décider seuls des critères de redistribution entre les foyers fiscaux.

Vous parlez d’une double sélection pour Dauphine en disant qu’il s’agit d’une sélection académique puis d’une sélection sociale. On pourrait dire que la sélection académique conduit des élèves qui ensuite seront capable de finir leur diplôme, d’avoir des postes intéressants et donc du coup il n’y a pas de sélection sociale, puisque ces élèves vont être d’accord pour investir dans leurs études qui ensuite seront rentables pour eux plus tard.Et ensuite si un élève passe par exemple la sélection de Dauphine, a priori c’est qu’il a les capacités pour avoir le diplôme, donc ensuite a priori il va pouvoir avoir un salaire conséquent. Et donc finalement il aura tout intérêt à investir dans des frais de scolarité plus importants. D’autant plus que les banques seront aussi a priori d’accord pour accorder un prêt...

Je vois ce que vous voulez dire. Mais... Bon d’abord, malheureusement, il ne faut pas oublier que la conséquence du caractère très injuste de notre système éducatif c’est que malheureusement, ce sont les même qui répondront aux critères académiques et aux critères sociaux, pour la plupart, bien entendu il y a des exception. Mais malheureusement la plupart de ceux qui obtiennent un bac, les chiffres sont éclairant , avec des résultats suffisamment satisfaisant pour pouvoir soit entrer directement dans des écoles soit pour pouvoir passer des concours et entrer dans un certain nombre d’établissements sélectifs, malheureusement, en général, ça reste des jeunes issus de catégories sociales favorisées. On est quand même bien dans ce système qui à la base , ce n’est pas la faute de l’université, mais qui à la base est assez injuste. Si je suis votre
raisonnement, on ne pourrait appliquer cela qu’aux jeunes qui intègrent des formations dites d’élites, en tout cas qui assurent derrière une insertion professionnelle de qualité. Parce que je ne suggère pas que ceux qui vont passer les concours de professeurs des écoles, ojn leur mette un prêt sur le dos, alors qu’il vont être payés même pas 1 500 euros quand ils vont rentrer dans le marché du travail en ayant bac + 5. Donc on ne ferait ça que pour les filières d’élite.

Ce sont les filières qui coûtent le plus cher!

Oui! C’est vrai. Et payées d’ailleurs avec les impôts des parents de celui qui fera professeur des écoles. Mais c’est vrai qu’il y a un caractère assez injuste. Mais je vous ferai seulement remarquer ce système là ne serait pas du tout reproductible pour la masse. Donc on ne parle pas là d’un système qui permettrait une modélisation nouvelle du financement de l’enseignement supérieur. Après, c’est ce que je disais tout à l’heure, l’obstacle que je vois c’est que je n’adhère pas au fait que il doit y avoir ce lien exclusivement individualisé et clientéliste entre l’étudiant et ses études. La nation elle a aussi tout intérêt à avoir les meilleurs étudiants, les mieux formés pour avoir demain les cadres les plus performants et les plus compétitifs. Et donc ça ne me choque pas que, y compris pour les bons d’ailleurs, et notamment pour les bons, elle investisse aussi. La redistribution je pense qu’il est plus juste et plus démocratique qu’elle se fasse par l’impôt. Si on veut vraiment de la justice c’est quand même là que ça sera le plus efficace.

Je vais vous parler un peu par exemple de mon cas. J’ai fais les classes prépa puis j’ai intégré les Mines. étant boursier je suis exonéré des frais d’inscriptions, et je me dis “Pourquoi moi qui entre dans ces filières là qui sont potentiellement plus rémunératrices après, je dois payer la même chose que quelqu’un qui s’engage dans des filières qui, on le sait, lui donneront moins de possibilités après? Donc ma possibilité moi, a posteriori de rembourser ce que l’état a investi sur moi n’était pas une idée qui me gênait. J’aurais très bien pu payer en me disant qu’après je pourrai le rembourser. Et pensez-vous que les étudiants français sont plutôt d’accord avec cette idée de se dire ce que vous regrettez, enfin la clientelisation. Pensez-vous que ça intéresse les étudiants?

Bah d’abord,avant de répondre à votre question, quand on est un stade politique, ce qui compte c’est d’essayer de conjuguer des convictions de base, une organisation du fonctionnement de la société, avec après le concret, c’est à dire comment organiser par exemple en l'occurrence là les frais d’inscription, ce n’est pas tellement ce qui de mon point de vue guide mes convictions et mes choix, ce n’est pas uniquement, ce n’est pas exclusivement ce que pensent les étudiants eux mêmes de leur propre situation, c’est le fonctionnement global de la société. Je ne sais pas si les étudiants eux mêmes... je pense que eux aujourd’hui seraient très défavorables à ce qu’on augmente les frais d’inscription ou même que l’on mette en place un système de prêts remboursables ou non en fonction de la situation d’insertion professionnelle.
Mais encore une fois, ça pose un vrai problème, je ne crois pas ça y apporte la bonne réponse ce que vous dites là. Ca pose un vrai problème dans le sens ou aujourd’hui c’est effectivement profondément injuste encore que pour vous ce n’est pas le cas, puisque vous étiez un étudiant boursier et après tout c’est aussi quand même la bonne chose d’un système méritocratique qui fait qu’on peut s’en sortir, et après tout tant mieux que vous puissiez être payé, et franchement je préfererais que lorsque vous arriverez dans le monde du travail définitivement et que vous aurez votre salaire, je préfère très nettement que vous puissiez l’utiliser pour améliorer la croissance qui aujourd’hui est plutôt en berne plutôt que pour rembourser des intérêts à une banque. Ca me parait d’un point de vue économique quand même plus efficace. Donc il faut éviter d’augmenter les frais actuels, il s’agit de mon point de vue d’un endettement assez inutile, ce n’est pas le même endettement si vous achetez un bien, si vous investissez dans une entreprise, ça c’est autre chose. Donc je pense qu’il faut éviter ça et puis de toutes façons, par ailleurs, on ne résoudrait qu’une petite partie du problème, en créant de mon point de vue beaucoup d’injustices et des conséquences économiques assez aléatoires voire à mon avis un peu dangereuses. Mais ça pose la bonne question c’est à dire aujourd’hui comment se fait-il que nous ayons un système qui favorise à ce point le financement des études des catégories sociales plutôt favorisées? C’est quand même ça aujourd’hui la réalité du système. Mais à mon avis on réglera cela non pas avec des systèmes de prêts, non pas avec des systèmes de frais d’inscription qui pénaliseraient tout le monde et notamment les classes moyennes, qui finalement ne s’en sortiraient pas mieux. Mais le vrai problème étant le coeur du système éducatif. C’est là qu’il faut porter l’effort.

Vous dites que ça pénaliserait tout le monde. Dans le système Australien par exemple, en fait c’est un remboursement différé, sous conditions ensuite de remboursement, on a observé une diminution des étudiants venus des classes moyennes. La sélection sociale dont vous parlez n’a pas vraiment lieu en Australie.

Oui, c’est ce qu’on disait tout à l”heure. Dans le cas où l’on décide d’un remboursement, je préfère nettement cette situation là, on conditionne à l’emploi acquis, garanti d’ailleurs, les prêts à des frais généralisés comme ça s’est fait en Angleterre notamment. Il sont revenu d’ailleurs sur ce choix là parce qu’il y a eu une sélection sociale accrue et une situation de sur-endettement des jeunes lorsqu’ils arrivaient sur le marché du travail. Donc je préférerais une situation comme celle là, mais cela dit, l’option politique et économique ne me convient pas. Parce que ça reste un acte individualiste entre l’université et chacun des étudiants. Vous n’êtes pas à l'université ou dans une formation uniquement pour la qualité de votre insertion professionnelle. Il n’y a pas que ce lien là, il y a aussi la nécessité d'élever le niveau de connaissance des générations dans une société de la connaissance, de la culture, une société du savoir. C’est quand même, si on regarde le passé, fondamental. Et même sur la qualité de votre insertion professionnelle demain , c’est très bien pour votre émancipation individuelle, matérielle, morale, il le faut pour vous même, c’est d’abord un acquis personnel, enfin c’est aussi un acquis absolument essentiel pour la société elle même. Pour le coup s’il y a bien un sujet pour lequel le terme d’investissement est le bon, c’est celui là. Le défi n’est pas que le défi de la réussite individuelle de chacun des jeunes, c’est vraiment une construction de la société de demain, y compris dans la solidité du modèle économique par exemple d’un pays demain. Donc ça n’est pas qu’une responsabilité individuelle. Ce n’est pas qu’un lien entre un service marchand que serait l’université qui serait finalement un prestataire de formation, pour que chacun s’en sorte le mieux individuellement à la fin de l’université. si on résume l'université à cela ça on aura un problème majeure de décrochage dans la compétition internationale, particulièrement pour un pays comme le notre qui a une industrie qui est déclinante. Par rapport à l’Allemagne par exemple et qui ne pourra pas miser sur un abaissement du coup du travail, on ne produira pas les ordinateurs ou les voitures ou le textile moins que la Chine avant longtemps probablement. Donc il faut miser sur autre chose et là c’est un sujet de société, c’est un débat politique de la nation, et pas uniquement un lien entre un individus et l’université, c’est un choix stratégique et politique pour l’avenir économique. Donc c’est là ou pour le coup on n’est pas que dans le symbolique de mon point de vue..

Le problème c’est que les étudiants qui sortent de l’université ne vont pas forcément bénéficier à la nation dans le sens ou de nombreux étudiants vont travailler à l’étranger ou vont partir dans des domaines qui bénéficient pas forcément à l’état. Donc le fait de rembourser ou même le financement des université par des anciens élèves, ce qui est très courant dans des pays anglo-saxons et très peu en France, permet de s’assurer que ce qu’a reçu l’étudiant de la part de l’état et de la société il le redonne en partie même si après il va faire des choix de vie qui ne bénéficierons pas à la société.

Bruno Julliard: Ce que je disais tout à l’heure, je suis quand même favorable à ce qu’il y ait une augmentation du financement privé avec un certain nombre de conditions pour l’université, parce que effectivement, l’entreprise, elle bénéficie beaucoup aussi de la qualité de la formation, de jeunes qui sortent diplômés, qualifiés, pour pouvoir faire fonctionner la ligne productive. Cela ne m'apparaît pas illogique mais plutôt normal qu’il y ait une augmentation du financement par le privé. On peut entendre par là, un financement par les anciens élèves... Il faut quand même faire attention qu’on est déjà dans une société d’héritiers, une société ou malheureusement les élites se reproduisent entre elles dans un cercle assez fermé. La priorité c’est quand même d’essayer de faire un peu éclater ça. Donc je ne suis pas très favorable à ce qu’on créer ces clubs des anciens. Il y a en France beaucoup de clubs des anciens des grandes écoles, rarement des clubs des anciens des premières années de l’université de Picardie. Sauf que le défi social et culturel il est quand même là. Vous avez raisons de dire après tout celui qui a fait des études c’est la nation qui lui a payé, il a aujourd’hui un bon boulot, un bon salaires, il peut le rendre un peu. Bon d’abord il va rendre toute ça vie, parce qu’il va payer des impôts. Et il paye des impôts pour financer les études des autres. Il y a cet aspect là qui peut paraître de bon sens. Mais si de fait le schéma aujourd’hui, que je trouve d’un point de vue démocratique plus satisfaisant qui est que c’est un peu comme les retraites par répartitions. Dès lors que l’on adhère aux valeurs de la république, qui intègrent une certaine notion de solidarité, quand on paye ses impôts, qu’on cotise à la Sécurité Sociale, ou aux caisses retraites, c’est pour payer les dépenses des service publique et payer les retraites de ceux qui sont retraité, mais on ne paye pas sa retraite quand on cotise aujourd’hui à la Sécu. Et je pense que pour le bon fonctionnement d’une société, pour ne pas qu’elle se délite, c’est plutôt comme ça qu’il faut voir les choses, plus que par un investissement toujours plus individualisé. Mais je peux comprendre l’idée de bon sens que “oui mais enfin quand même, là, la nation elle a donné beaucoup pour que tu aies un bon taf’, un bon salaire, tu pourrais contribuer un peu plus” de toute façon, tu va contribuer plus, parce que tu vas payer plus d’impôts. Mais à la limite là c’est vrai qu’il y a un sujet. Mais ce sujet c’est aussi qu’il n’est pas tout à fait normal que ce soient toujours les mêmes qu’on retrouve dans ces filières là, toujours les enfants des élites d’hier. Et il y a autre chose qui à mon avis qui est au moins aussi choquant, c’est qu’on en voit au casse pipe des dizaines et des dizaines de milliers d’étudiants tout les ans, à l’université publique parce qu’on n’est pas en mesure de leur offrir des conditions de travail et d’orientation satisfaisant. Et c’est du gâchis pour tout le monde. C’est plus choquant ça que l’exemple que vous citez. Je comprends, et je respecte, mais la distribution se fait par ailleurs.

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