Entretien avec Richard Descoings

(28/02/12)



Richard Descoings est l'ancien directeur de Sciences Po Paris. Il a mené une politique d'augmentation franche des frais de scolarité, modulés en fonction de l'origine sociale des étudiants.

Notre sujet est : « faut-il augmenter les droits de scolarité ds l'enseignement supérieur en France ? » ; nous avons rencontré différents grands acteurs et nous devons essayer d'avoir une vision assez globale de toutes les différentes positions qui existent en France. Nous avons donc d'abord parcouru différents type d'articles et de résultats que nous avons cherché. Nous avons principalement lu pour l'instant, nous nous sommes concentré sur des articles d'économistes. Donc là, nous avons vu des économistes comme Henry Kermadec qui fournissent des documents appuyés de modèles, nous en avons parlé et discuté, il en est sorti que de tout manière ceux-ci étaient basés sur des opinions préexistentes aux modèles, ce sont des manières de voir l'éducation en France qui sont à la base de leur comportement dans la société et dans ce qu'ils font. Après nous avions besoin de voir quelqu'un qui était vraiment en place et qui avait agi directement sur l'éducation, vous avez bien voulu nous accorder cet entretien et vous représentez pour nous un élément d' intérêt car vous avez choisi clairement un changement -le choix a déjà été fait- et on peut dire que c'est en avance par rapport à notre controverse parce que nous, on est encore entrain de se poser des questions par rapport au différents acteurs qui se prononcent [c'est à dire que nous sommes en amont du choix] et ici le choix a déjà été fait et c'est ce qui représente pour nous l'intérêt de cet entretien. On aurait d'abord voulu pouvoir discuter de ce qui a été fait réellement ,pour être sûr que nous avons les bonnes données, être d'accord sur ce qui a été fait et après nous aurions voulu discuter des raisons pour lesquelles ces changements ont été fait. On aimerait discuter de votre vision et de vos arguments qui vous ont poussé à faire ces changements et ainsi on pourra essayer de les comparer au discours des économistes et syndicalistes qui ont une vision sans doute sensiblement différente.

OK, est-ce que je peux commencer par la deuxième catégorie de question ? Pourquoi on l'a fait et à quoi ça a abouti ? [acquiescements].


Vous avez mis en place une politique de frais de scolarité qui vont de 0 à 13500, qu'est-ce qui a motivé la mise en place de cette politique ? un souci social, une volonté d'avoir plus d'argent ?...

Sur le fond, on aime bien comme les ingénieurs, les sujets multi-causaux : pas une cause qui a engendré une conséquence, mais un ensemble de faits. Alors quels sont les facteurs ? Le premier facteur c'est une réflexion sur la société, je vous rejoins un peu dans ce que vous avez dit : les modèles n'existent pas en soi, ils existent en fonction de ce qu'on met dedans et de ce qu'on en fait. Il y a aujourd'hui 1/3 des générations qui ont 18 ans qui n'ont pas leur bac : un jeune sur trois qui a 18 ans n'a pas son bac. La première chose qui est très importante, c'est que quand le Figaro dit : « c'est insupportable : tout le monde a le bac », le Figaro ne sait pas faire la distinction mathématique simple -que même moi je sais faire- qui est que dire que 80% des jeunes qui se présentent au bac ont le bac ne signifie pas que 80% des jeunes de 18 ans ont le bac. Il y a presque 1/3 des jeunes qui n'a pas le bac. En 2005, une loi votée par François Fillon, s'est donné comme objectif d'amener la moitié des jeunes jusqu'à la licence . En 2005, on a dit : la moitié des jeunes n'iront pas jusqu'à une licence. Ce n'est même pas un objectif politique ! Et qu'est-ce qu'on fait avec une licence ?... Juste pour ramener les fondamentaux. Quand à ceux qui vont aujourd'hui dans l'enseignement supérieur, qu'ils soient de l'université, des grandes écoles, de licences bizarres comme les miens, c'est un tiers, 40% des jeunes au mieux -en comptant tout, y compris les jeunes qui échouent. J'avais oublié quand on parle des jeunes qui vont à l'université, il y a une grande partie qui échoue à l'université tandis que les jeunes qui vont aux Mines réussissent. Quand des jeunes sont à Villetaneuse, un sur deux échoue. C'est pas tout à fait comparable, y compris en termes statistiques. Et donc, et là on rentre dans l'ordre de l'argumentation, la première question est : si ceux qui bénéficient de l'enseignement supérieur représentent une si faible part de la population française, est-il normal que leurs études gratuites soient financées par ceux qui paient les impôts et dont les enfants ne bénéficieront pas et peut-être jamais de l'enseignement supérieur ? Et ce n'est pas une question—les économistes mettent ça en équations- mais c'est un sujet social ou politique. Si j'étais Mélenchon, je dirais : « est-ce que c'est normal que les pauvres paient pour que les riches aillent à l'université, ? » car si vous prenez la répartition maintenant des étudiants sur l'échelle INSEE des revenus , on sait très bien que, malgré tout, c'est le tiers supérieur qui va a l'université et qui ne paie rien. Et il faut bien que ça soit la TVA, une partie l'impôt sur le revenu... mais beaucoup la TVA qui paie. Après c'est très compliqué car on dira qu'il n'y a pas d'affectation des ressources, mais enfin bon... Donc ça c'est une vraie question de philosophie politique et après chacun répond. Là ou on peut commencer à débattre, c'est [lorsque certains affirment]: « et c'est pour ça que l'université est démocratique ». Bah... elle n'est pas si démocratique puisque tous les jeunes n'y vont pas et ceux qui y vont et qui échouent appartiennent justement aux familles les moins aisées -au bas des classes moyennes- en France. Donc elle est où la démocratie là dedans, qu'est ce que ça veut dire ? Il y a donc une première question philo que nous devons poser, parce que nous, alors là, nous sommes tout à fait en haut, comme vous, de la question. C'est à dire que Science-Po gratuit c'est Science-Po gratuit pour aujourd'hui 60% des familles françaises. Si les familles française envoyaient leurs enfants à Science-Po, 60% des familles françaises paieraient zéro. Donc le plancher de revenu à partir duquel on commence à payer des droits de scolarité, c'est le 61ème centième. Payent des droits de scolarité, ceux qui sont entre le 61ème et le 100ème centième sur l'échelle des revenus. Et là, deuxième choix de philosophie politique : on dit contrairement à des écoles de commerce par exemple, tout le monde ne paie pas la même chose et à chacun de s'organiser pour trouver des financements nécessaires, chacun paie en fonction du revenu du foyer fiscal auquel il appartient. Et la définition du foyer fiscal est celle des CROUS et qui est directement tirée des œuvres universitaires et qui dit qu'il faut gagner je crois 80% du SMIC pour être considéré comme autonome fiscalement, et il faut bien sûr que les parents renoncent à l'avantage du quotient familial et de la demi part supplémentaire. Et ça, c'est une double question philosophique. Premièrement : peut-on demander à une famille qu'elle paie les études de ses enfants, cela ne va pas de soi, c'est un truc qu'il n'y a pas dans les obligation élémentaires définies par le code civil. Il est tout à fait possible que les parents disent : « je n'ai pas du tout envie d'aider les jeunes, soit tu fais des études gratuites, soit je ne sais pas mais tu te débrouilles » ; ça c'est vu des parents. Et vu des jeunes, c'est : « je veux être autonome par rapport à mes parents donc la meilleures façon c'est de ne pas payer de frais de scolarité sinon je tombe dans la dépendance vis a vis de mes parents ».C'est affreux, cet enfant de cadre supérieur n'a pas une autonomie suffisante vis à vis de ses parents. C'est là qu'on tombe sur la vraie question philosophique : est-ce que tous les enfants de cadre supérieur doivent pouvoir être autonome vis a vis de papa et maman et donc soit gratuit, ce luxe double de la gratuité et de l'autonomie par rapport à papa et maman. Ou est-ce que on considère qu'il y a une solidarité familiale, une solidarité de classe sociale. Ça c'est des vraies questions et c'est mon principal désaccord avec l'UNEF qui dit « allocation pour l'autonomie » : les jeunes de plus de 18 ans doivent être autonomes vis a vis de leurs parents et donc c'est la mutualisation par impôt qui permet de… La deuxième question philosophique, c'est : est ce qu'on paie de façon progressive avec le revenu ou est ce qu'on paie la même chose ? Et c'est comme pour l'impôt, est-ce que l'impôt sur le revenu peut être égalitaire au sens où tout le monde paie 20%, c'est une des conceptions de l'égalité, ou est-il égalitaire au sens où on paie d'autant plus qu'on gagne d'autant? Et quand tout le monde dit égalité égalité, juste là on a très clairement deux conceptions de l'égalité radicalement opposées. Donc on a commencé à répondre ces questions. Mais pourquoi se les est-on posées ?Parce que là, vous dite : « faut-il augmenter... », moi je n'ai pas de convictions idéologiques ou religieuses, la question est « avons-nous d'autres sources de financement qui assurent le niveau idéal permettant de donner aux étudiants les meilleurs professeurs, les meilleures conditions d'étude, les meilleures conditions de mobilité internationale et les meilleures conditions d'insertion professionnelle ? ». Si la réponse est oui, qu'est-ce qu'on va s'emmerder à prendre des mesures impopulaires ! L'étudiant à Science-Po, ça coûte, parce qu'on a beaucoup de recherche et beaucoup de bibliothèques, ça doit coûter 17/18 mille euros par an. Si l'état nous les donne, qu'est ce que je vais m'embêter à me fritter avec des enfants de bourgeois qui trouvent que 13000 c'est scandaleux, ils iront faire leurs MBA... Mais l'état aujourd'hui n'a jamais débloqué ce montant-là pour aucun établissement d'enseignement supérieur en France, les seuls classes qui soient vraiment très bien organisées sont les classes prépa qui sont plutôt à 12/13 mille euros par étudiant où tout est gratuit ou presque ; il n'y a que les classes prépa qui ont droit à ce régime là. Donc c'est pas : « faut-il » dans l'absolu c'est : « y a-t-il un autre système ?». Et la réponse est oui, il y a un autre système : si l'état finance l'enseignement supérieur et la recherche à la hauteur des besoins. Ça suppose deux choses : que l'état ou les régions/départements aient à la fois de l'argent et que cet argent soit prioritairement affecté à cette dépense là. Or nous nous trouvons dans une situation ou l'état et les service public n'ont plus d'argent et ont d'autres priorités. Donc si l'état et a d'autres priorités, alors que faisons-nous ?

Il y a donc deux changements dans le financement : il y a d'abord un changement d'origine des ressources de l'école : on transfère un financement qui est également fourni par toute la population par un financement de seulement 40% de la population et d'un autre côté, il y a une augmentation aussi nette du volume total de financement. Donc comment celle-ci a été justifiée lors de la réforme, pourquoi est-ce vous ne pouviez pas continuer un Science-Po qui coûtait moins ? Les Mines n'ont pas augmenté leurs droits de scolarité. Quelle était la cause ?

Moi je veux bien continuer à faire Science-Po comme on continue à faire les Mines avec cent étudiants par promo et beaucoup d'argent par étudiant. Je n'ai aucun plaisir à recevoir les élus étudiants pour me faire engueuler toute la journée parce que c'est cher. Alors derrière tout ça il y a : « comment retrouver un financement de l'état suffisant ? ». Il n'y a qu'une seule manière : il faut augmenter les impôts.

Mais du coup est-ce que vous ne vous substituez pas au rôle de l'état en faisant cette politique, c'est un nouvel impôt progressif que vous mettez en place à l'entrée de Science-Po. Est-ce que ce n'est pas justement le rôle de l'état de trouver les financements... [sa parole est coupée]

Il n'existe pas de rôle de l'état défini dans l'absolu. Je suis désolé, depuis toujours, ce sont les communes qui s'occupent des écoles primaires. La troisième république s'est construite autour de l'école communale, com-mu-nale. Les collèges sont financés, c'est une compétence législative, très largement par les départements. Et si la gauche prend la responsabilité du gouvernement dans trois mois, vous aurez un nouveau train de décentralisation sur l'enseignement supérieur. Un, il n'y a pas dans l'absolu de rôle de l'état sur ceci ou cela. Chaque gouvernement, chaque régime politique chaque république définit ce qu'est ou pas le rôle de l'état. Ça c'est la première réponse. La deuxième réponse est : OK, mettons que c'est le rôle de l'état, mais quand l'état en remplit pas son rôle, que fait-on ? On reste des citoyens passifs : mon bon monsieur, l'état ne remplit pas son rôle... on reste dans le jardin et on regarde l'herbe pousser... et on dit : « Ah l'état ne remplit pas son rôle... » ? Ou alors on dit : « l'état ne remplit pas son rôle », cela suppose qu'on ait répondu oui à la première question ce qui n'est pas forcément mon cas, mais prenons l'hypothèse que l'état ne remplit pas son rôle ben on se bouge. Je vais te dire une chose : tu crois pas que les resto du cœur, ce n'est pas le rôle de l'état de lutter contre la misère, la faim, les SDF, l’absence de logement, les gens qui meurent... moi ça me choque, ça me choque profondément. Mais si il n'y avait pas le resto du cœur, les gens crèveraient encore plus. Donc il y a des gens qui on dit : c'est le rôle de l'état d'empêcher qu'il y ait des sans logis et des gens qui meurent de faim. L'état ne remplit pas son rôle mais on ne laisse pas des gens mourir de faim. Je prends quelque chose d'excessif dans la comparaison, je dis juste que lorsque l'état ne joue pas son rôle, soit on est un citoyen passif qui regarde passer les trains, soit on se bouge.

Après il y a Marc Champesme du SNESUP, qui a opposé à la volonté d''augmentation des frais de scolarité, la constitution qui dit que , je cite: « l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïc à tous les degrés est un devoir de l'état».


Et bien je dis qu'il faut qu'il lise les décisions du conseil constitutionnel et du conseil d'état qui ont eu à juger de cela et qui ont considéré que cette partie-là du préambule de la constitution de la quatrième république n'a pas de valeur normative. Et puis, prenons son parti, disons que le conseil d'état et le conseil constitutionnels se sont trompés : tout doit être gratuit, on fait quoi ? Vous êtes ministre de l'enseignement supérieur demain et vous dites tout doit être gratuit, quelles sont les décisions que vous prenez pour permettre la mise en œuvre effective de ce principe de totale gratuité ?

Un impôt sur le revenu progressif.

Absolument. Donc quelle est la part de l'impôt sur le revenu aujourd'hui dans la couverture des dépenses publiques ? de combien faut-il augmenter l'impôt sur le revenu pour couvrir le supplément de gratuité nécessaire pour la mise en œuvre de cette affaire ? C'est très concret, vous êtes mineurs donc vous prenez le montant de l'impôt sur le revenu, vous voyez comment il a évolué ces dernières années, vous faites des tranches à 45,50,55,75 % par niveau de revenu, vous regardez combien ça rapporte dans les caisses de l'état et vous regardez jusqu'où il faut hausser les produits de l'impôt sur le revenu. Vous faites tourner vos machines pour que ça permette de couvrir les besoins à la fois des écoles collèges, lycées et des universités au niveau souhaité par les étudiants et entièrement selon les ressources fiscales et moi je signe demain ! Je reviens à la charge : si l'état me donne 10.000 fois le prix des universités je supprime complètent les droit de scolarité : complètement.

Pour vous, il faut une solidarité familiale, n'est-ce pas ? C'est une conviction personnelle ?

On a un code civil qui commence par dire que la solidarité familiale est une obligation des descendants vis à vis de ascendants et une obligation des ascendants vis à vis des descendants. Ça s'appelle l'obligation élémentaire et c'est extrêmement précis, c'est à dire que les parents qui ne donnent pas à leur enfants de quoi subvenir à leurs besoins scolaires et évidemment alimentaires, et en vêtements, ne respectent pas le code civil. Des enfants devenus adultes qui laissent mourir leurs ascendants dans la pauvreté, c'est pénalement répréhensible. Notre code civil fait ça. Deuxièmement, notre code civil organise fiscalement la solidarité familiale : je ne sais pas si vous avez plus de 18 ans et je ne sais pas si vous êtes dans le foyer fiscal de vos parents, mais si par hasard vous aviez plus de 18 ans et si par hasard vous étiez dans le foyer fiscal de vos parents, vous êtes fiscalement dans la solidarité familiale et d'ailleurs, ça rapporte. Alors, vous devez coûter plus cher que ce que vous rapportez à vos parents si c'est le cas mais vous rapportez une ½ part de quotient familial contrairement aux jeunes qui ne font pas d'études. Donc c'est un bonheur cette solidarité familiale, c'est une solidarité familiale qui joue au profit des plus riches pour deux raisons : un parce que il faut avoir des enfants de plus de 18 ans qui font des études et on en revient à combien de jeunes de plus de 18 ans font des études, et 2 il faut payer des impôts. Et donc si vous êtes dans la situation, vraiment idiote hein, où vos enfant ne sont même pas allés jusqu'au bac et en plus vous ne payez pas d'impôts, vous,issus d'enfants nombreux qui font tous des études supérieures, tact tact tac, chaque fois vous gagnez sur vos impôts. Donc cette solidarité familiale organisée par le code général des impôts au profit de ceux qui paient les impôts et qui ont des enfants qui font des études supérieures. Donc : le code civil, le code général des impôts. Ce ne sont pas mes convictions personnelles ! On vit la dessus depuis 150 ou 200 ans. Alors maintenant est-ce que dans la sociologie,parce que on fait un peu de sociologie, est-ce que la plupart des familles aident les enfants devenus adultes dans leur situation ? Le plus souvent oui, pas toujours mais le plus souvent oui. Donc oui, on fait jouer ce rôle là [aux familles]. Mais en revanche on a une commission d'aide sociale qui prend en considération toutes les situations individuelles de rupture de banc, de famille recomposée, de père ou de mère qui ne veulent pas payer de pension alimentaire... bref toutes les situations qui font qu'on peut se retrouver étudiant ayant une famille mais sans le sous et dans le 7ème, le 6ème a côté du jardin du Luxembourg. Il faut traiter ces situations là, mais ce sont des situations individuelles qui ne représentent pas statistiquement la réalité de la solidarité familiale qui existe. Cette fois-ci on n'est plus en droit mais on est en sociologie et quand je réfléchis je pense que la sociologie est plus forte que le droit.

Là, on a un système où c'est la famille qui assume les droits de scolarité mais il y a d'autres systèmes qui existent ou on utilise des paiements à remboursements contingents ; pourquoi n'avez-vous pas fait le choix de ce système ? Cela dégagerait a priori plus de moyens vu que tous paieraient des droits de scolarité.

Il y a une raison que j'ai découverte ex post : c'est la réaction britannique. Voilà le système où la catastrophe de communication a été la plus importante. Voilà un gouvernement qui a dit : « vous êtes étudiants, vous payez zéro, zéro pendant toutes vos études : rien ! Le jour où vous arrêtez vos études, on attend que vous ayez trouvé un travail, et une fois que vous êtes inséré professionnellement, on attends que vous ayez un certain niveau de salaire pour vous demander via l'impôt de commencer à payer un montant qui sera reversé à l'université et qui est inférieur au montant cumulé des droits de scolarité qui existaient précédemment. » Donc on dit:un c'est zéro pendant les études, deux seuls ceux qui trouvent un job commenceront un jour à payer pour les universités.

Mais dans le cas de Science-Po ce serait la plupart des gens...

Attendez, laissez-moi aller jusqu'au bout. Il n'y a pas un étudiant anglais qui ne croit pas qu'on lui demande de payer 9000 pounds par an pour aller au collège ou l'université. C'est une des réformes les plus impopulaires du gouvernement Cameron. Les étudiants sont hystériques de rage, ils n'y croient pas. Donc c'est super bien de faire de très beaux schémas comme ça mais après vous avez un corps social... Quand Devaquet (que vous n'avez pas connu mais dont vous avez peut être entendu parler) fait une proposition : deux millions de jeunes dans la rue. Bien sûr on pourrait faire ça mais là je ne peux plus me substituer au rôle de l'état parce que je ne peux pas aller récupérer les impôts sur des jeunes de 25 ans qui sont devenus traders, qui gagnent un max de blé, mais vis à vis desquels je n'ai aucun moyen d'action. Les Australiens ont mis en œuvre ce genre de système et vous avez rencontré des économistes : si on veut être parfaitement rigoureux point de vue comptable financier économique, il faut inscrire dans la dette souveraine le montant de ce qui sera dû un jour par ces étudiants. Ou, si on veut être encore plus précis, il faut inscrire des provisions prenant en compte le risque d'impayé dans 5 ans, 10 ans, 15 ans. Vous avez en ce moment aux États-Unis mais surtout en Angleterre des tas de questionnements d'économistes qui disent qu'on est en train de créer une poudrière car imaginez que ça ne marche pas, on le saura dans 10 ans.

Mais justement en Australie, ça existe depuis les années 80 et c'est un système qui fonctionne...

Vous êtes ingénieur moi pas. Vous, vous regardez un système qui fonctionne et vous dites je peut le mettre ailleurs, moi je dis attention, ce qui fonctionne en Australie peut ne pas fonctionner ailleurs. Je dis qu'on aurait pu penser que c'est au Royaume Unis qu'il eut été le plus simple de mettre une système expérimenté en Australie et ça tourne au drame alors en France je ne vous cache pas que je ne vois pas du tout comment on peut faire. Parce que en France si vous dites aux étudiants : une des source de financement de vos études ce sont les prêts étudiants, les étudiants sortent dans la rue en disant nous n'entrerons pas dans la vie professionnelle avec une charge de dette sur les épaules. On a essayé avec Lionel Jospin, ministre de l'éducation nationale, en 1989/1990 ça a été un échec absolu pour deux raisons. Un, les élèves des Mines vous aimeriez avoir un job un jour et vous serez bien payé, partir avec un peu de dette dans la vie ce n'est pas grand chose et pour les banques, c'est un bonheur. Elles vont espérer que vous allez vous endetter un peu pour devenir de fidèles clients le plus longtemps possible. A Villetaneuse, le nombre de banques qui se précipitent pour financer les jeunes est faible, et les gens de Villetaneuse ne savent pas si au bout de leur études ils auront un emploi. Donc vous voyez, ce n'est pas mécaniste ce système, c'est quelle est l'acceptabilité sociale d'un mode de financement à un moment donné. Pourquoi ça marche déjà ? J'ai un socle d'alliés objectifs, ils ne sont pas pour ou contre : 26% d'étudiants boursiers qui reçoivent de Science-Po un complément de leur bourse égal à 75% du montant de leur bourse, 75% de différentiel de pouvoir d'achat à tous les niveau du CROUS. Le jour où l'UNEF est un peu crispé et moi aussi, on va devant les étudiants boursiers et je n'ai aucun doute -26% ça représente chez nous 1700 élèves, mille sept cent élèves...- donc moi je suis prêt à aller avec n'importe quel syndicat étudiant devant les étudiants boursiers et devant ceux-ci on leur dit :

voilà vous avez le choix entre on retrouve la gratuité et vous retrouvez le niveau de vos bourses du CROUS ou on maintient le système de Sciences-Po et on maintient votre niveau de bourse. A votre avis ils vont choisir quoi ? … Parce que c'est du concret ! Quand vous avez une bourse de 300€ par mois, c'est le maximum que l'on peut toucher pour un boursier, et ben si on vous donne 75% de plus vous ne devenez pas riche mais ça change votre vie quotidienne.

Est ce que vous pensez que le système Science-Po est transposable ds les autres universités ?

Je pensais jusqu’à il y a pas longtemps que non puis j'ai vu que la CPU (conférence des présidents d'université) s'était exprimée dans son dernier colloque national, vous pourrez voir cela, il y en a de pleines pages dans le Monde. Bruno Julliard je ne sais pas ce qu'il vous a dit, il vous a sûrement dit qu'il ne partage pas les thèses de terra nova, que à gauche ça bouge... et si ça bouge à gauche c'est que quand même il va se passer des choses. Alors après il faut être très prudent, de la même manière que le système australien ne peut pas être mis comme ça en œuvre, de même le système Science-Po ne peut pas être transposé tel quel n'importe où. Mais si on veut être lucide, le choix c'est entre continuer à avoir un taux d'échec de 50% des jeunes qui vont à l'université : est-ce que c'est socialement acceptable ? Est-ce que c'est économiquement acceptable ? Ou trouver l'augmentation des impôts, mais il faut être très précis sur de combien on augmente et ça pèse sur qui ? Parce que ça se calcule ça pour le coût, on peut le quantifier de façon précise. Et troisièmement quel est le bon niveau de financement d'une université ? Une fois que vous avez répondu à ces trois questions finalement assez simples, vous savez quoi faire.

Pour revenir à la fois sur l'augmentation du volume total d'étudiants et à la fois sur l'interaction que Science-Po peut avoir avec par exemple d'autres écoles sur Paris, j'ai une question. Vous avez dit que l'augmentation du volume total était notamment due à l'augmentation du volume d'étudiants, ce qui n'est pas comparable aux Mines ou on est resté à 100. Mais c'est aussi dû à une volonté de compétition internationale, une volonté de s'ouvrir : ça, ça a été ce qui a été un succès, ça a été cité par Singapour comme une école qui a été capable de s'ouvrir. Mais du coup, Science-Po arrive dans Paris ayant fait un choix qui s'impose à toutes les autres universités qui ne l'ont pas fait . En effet si je suis une autre université dans Paris, je vais être soumis à la concurrence internationale via Science-Po et je n'ai peut être pas les moyens d'assurer dans d'aussi bonnes conditions que Science-Po l'égalité des chances des différentes classes sociales. Ne croyez vous pas que ceci pourrait créer en fait une fermeture de l’enseignement supérieur de qualité au plus basses classes sociales ?

Pourquoi ? Nous sommes passés de 6% à 26% d'élèves boursiers, donc on a fait le contraire, on a plus d'étudiants qui ont très peu de financement à Science-Po aujourd'hui qu'avant donc on a fait le contraire que de fermer l'accès.

Oui, pour Science-Po, mais là je sors de Science-Po et je considère mettons l'ensemble des universités sur Paris qui ne sont pas Science-Po. Elles n'ont peut-être pas les moyens d'avoir cette politique qu'a Science-Po par contre elles vont subir la compétition amenée par Science-Po. Pour garder de bons profs et de bons élèves, elles vont devoir aussi augmenter leurs frais, sans pouvoir forcément dédommager les moins aisés. Est-ce que ça ne va pas réduire finalement l'accès des classes les plus basses à un enseignement de qualité ?

Ce qui compte c'est que les étudiants qui n'ont pas d'argent reçoivent des bourses, c'est ça mon soucis. Si effectivement on en revient à ça, si il y a un tarif unique qui s'impose à tous, alors je suis complètement d'accord avec vous c'est un tarif, exactement comme pour le commerce international qui interdit l'entrée à la formation mais si un vous êtes boursier vous êtes boursier à un niveau suffisant pour vraiment faire vos études ce qui n'est pas le cas à mon avis aujourd'hui avec les bourses du CROUS. Si étant boursier vous ne payez pas de droits de scolarité, si quand vous êtes juste au-dessus du niveau plafond vous continuez à ne pas payer de droits de scolarité si ensuite vous avez une courbe qui fait que vous financez de plus en plus, en quoi les catégories populaires employés, ouvriers, professions intermédiaires sont-elles empêchées d'aller faire de bonnes études ? Puisqu'elles ont des bourses d'un montant plus élevé et que la proportion des étudiants qui ne payent rien est très importante, le tout en ayant par rapport à la population française une échelle complètement dégressive puisque vous n'avez ni les jeunes qui ne sont pas allés jusqu'au bac, ni ceux qui sont allés jusqu'au bac et qui s'y arrêtent, et ces jeunes représentent essentiellement les couches populaires. Donc vous avez un système qui de toute façon organise l'accès de façon déjà déplacée par rapport à l'ensemble de la population française. Donc en quoi avoir des bourses d'un montant plus élevé, la gratuité des études pour ceux qui n'ont pas d'argent et taxer les riches empêche-t-il ou risque-t-il de freiner l'accès à l'enseignement supérieur ?

Mon point était juste : cela ne freine pas à Science-Po, mais Science-Po n'a pas la capacité d'absorber toute les catégories sociales les plus basses. Ainsi, une autre université sur paris, pour rester compétitive face à Science-Po, risque de devoir augmenter ses frais de scolarité et ne sera peut-être pas capable... [parole coupée] (d'offrir des bourses permettant aux moins aisés de continuer à venir).

Mais aucune d'entre elle n'a fait ça ! Ni Paris I, ni Paris 4, Paris 6, Paris 7...

Ceci était donc un argument opposé par M. Marc Champesme : la compétition entre les différentes universités ne risque-t-elle pas de faire augmenter tous les prix de l'enseignement supérieur ?

Cela fait 10 ans que nous avons adopté notre nouveau système et à ma connaissance l'essentiel des universités parisiennes n'ont pas suivis ce modèle. [PHT tente de caser un mot « C'est parce que...», on lui coupe la parole : « Attendez, je finis.» ] C'est juste complètement con, c'est à dire que c'est la pérennisation d'un système qui assure l'échec d'un très grand nombre d'étudiants et dans ce très grand nombre d'étudiants qui échouent il y a les classes populaires et les professions intermédiaires donc c'est la pérennisation d'un système qui avantage les classes les plus favorisées soit par l'éducation soit par l'argent. Mais au moins on est tranquille, regardez la médecine, regardez le droit, il n'y a que les riches qui réussissent ! C'est top ! C'est top !


L'augmentation des frais de scolarité à Science-Po a servi à financer les bourses des moins favorisés et a-t-il aussi servi à financer l'enseignement en dénichant par exemple des meilleurs profs en les payant plus ?

Vous irez faire un tour à la bibliothèque si vous ne l'avez déjà fait : on n'a jamais eu une aussi belle bibliothèque de l'histoire de Science-Po. J'ai lancé la création de 30 emplois net de professeurs sur 4 ans, on en est à 21 créations nettes. Sur les cinq dernières années, on a jamais eu autant d'accessits ou autant de nominations à l'Institut Universitaire de France depuis 30 ans. Est-ce que c'est bon pour un établissement de hausser le niveau reconnu non pas par nous pas dans l'autoglorification : on est formidable c'est Science-Po, non : le conseil européen de la recherche l'ANR (agence nationale de recherche), l'institut universitaire de France... On vient de gagner un IDEX (Initiative d'excellence) quand même ! J'ai cru comprendre que votre école est d'ailleurs en train de se poser la question de savoir à quel IDEX elle allait finir par se raccrocher. Écoutez excusez moi, mais le fait que devant un jury international qui est vraiment international il y ait des gens qui disent : « bah oui, la formation est vraiment excellente» c'est bon pour les élèves ici. Donc oui, les conditions d'études : l'argent direct, la bibliothèque, les professeurs... tous nos étudiants de troisième année partent à l'étranger, tous. Ils ne paient pas de droit de scolarité là où ils partent en échange, rien. Si le niveau de niveau de vie est plus cher -et il est plus cher- à Londres, à Tokyo, on a un fond de mobilité international un surplus de bourses pour ceux qui sont déjà boursier et éventuellement des bourses spécifique pour l'année à l'étranger pour ceux qui n'en non pas . Il y a quarante salariés plein temps pour assurer la mobilité internationale de 1400 étudiants par ans. On va avoir les chiffres pour ceux qui partent là : 89% des étudiants qui partent ont eu un de leur trois premiers choix, 65% ont eu leur premier choix ! Quel est l'institution universitaire en France qui permet cela sur des nombres aussi grand ? Il n'y en a pas. Donc oui, on fait des choses grâce à ça qu'on ne pourrait pas faire, j'ai dû doubler le nombre de salariés à Science-Po en 10 ans, j'ai augmenté sensiblement leur pouvoir d'achat parce que pour avoir des salariées qui bossent dur, il faut les motiver, il n'y a pas que l'argent mais il y a aussi l'argent. Si on n'avait eu que l'argent de l'état, que ce serait-il passé ces dernières années : un emploi sur deux administratif non remplacé, aucune création d'emploi scientifique et des augmentations générales de salaire entre 0 et 0,8 : j'ai fais exactement le contraire ! Alors c'est pas bien ! C'est contraire à l'optique de l'état, j'assume : dites que c'est pas bien, j'ai créé un 13éme mois entre 2009 et 2012, j'ai créé 30 emplois scientifiques -pour nous c'est beaucoup- donc oui !

Certains opposent deux critiques à ce que vous dites. Ils reconnaissent qu'il y a un problème dans l'enseignement supérieur mais ils disent que avec ce système on impose un modèle dit anglo-saxon en France avec une inflation des salaires et une inflation également des dépenses administratives avec la com pour vendre son école à l'étranger au détriment de …[parole coupée]

Vous savez combien je dépense en com ? Si je mets 60000 de com c'est un max. En bien ou en mal, Science-Po n'a pas besoin de dépense de com, en bien ou en mal, on a une presse du tonnerre de Dieu y compris en mal, ce qui compte en notoriété c'est qu'on parle de vous. Quand Marine Le Pen termine ses discours en disant : «...M. Descoing... moi présidente ce sera fini !», je sais Mme Le Pen que vous me couperez la tête dès que vous serez présidente mais au moins put*** ça passe en boucle, en buzz sur le net. C'est pas rien, hein. Quand Nicolas Sarkozy va à Tourcoing : « ah vous êtes un apprenti, ah ça fait plaisir de voir des gens normaux, c'est pas comme les élèves de Science-Po » et ça buzze ! , c'est repris par toute la presse... Pas de dépenses de com ! Bah, il y a des fois ou j'aimerais plutôt me payer une page comme HEC dans Le Monde plutôt que d'avoir deux pages pour dire : les ratés du système Descoing, c'est scandaleux il est riche... Mais ça fait rien, ce n'est pas le sujet. Donc un on fait zéro dépense de com, deux, j'adore les gens qui parle de l'américanisation, etc.. il n'y connaissent rien ! Aux USA, il y a 3000 établissements d'enseignement supérieur et de recherche, deux tiers des étudiants américains ne sont pas sélectionnés, 60% d'une classe d'âge va dans un établissement d'enseignement supérieur et de recherche. Alors, derrière tout ça, le modèle ne serait-il pas lié... Oxford, tout ça,... c'est pas beau, c'est pas joli, ça... Mais ça c'est pas si mal en matière de recherche, si l'école des Mines était comme le MIT, vous ne seriez pas mécontent ! C'est pas forcément mal ! Et la deuxième chose : mais pourquoi l'américanisation, le chinois font pire, les Indiens font pire, les Brésiliens font pire... Il faut que les gens sortent ! Alors est-ce que il y a une réflexion sur les salaires ? combien gagne un professeur des universités de quarante ans ? Vous ne savez pas ? Vous êtes comme ***NKM qui ne connaît pas le prix d'un ticket de métro. Un professeur des universités de 40 ans qui a donc fait 10 ans d'études au minimum, ça fait donc à peu près déjà 10 ans qu'il est dans la vie professionnelle, gagne entre 3500 et 4000€ par mois. Il est où le scandale ? Qu'il soit payé 3500, 4000€ par mois ou que dans d'autre pays on trouve qu'un professeur doit être bien payé ? Il est où le scandale ? Est-ce qu'il est dans le déclassement social des professeurs dans le secondaire comme dans le supérieur ou dans le fait qu'on cherche des moyens pour qu'ils soient moins mal payés. Parce que ça abouti à quoi ? A ce que SNESUP adore : c'est que les universités publiques françaises, elles seront complètement privatisées ! Pourquoi ? Parce que les banques, ils sont très intelligents, donc du fric ils vont en faire ailleurs ! Combien ça gagne un professeur de droit débutant qui fait une consultation ? A moins de 5000€ ça n'existe pas . Combien ça gagne un professeur de droit à Nanterre, mais qui a un grand nom ? 15.000, 50.000, 100.000€ . Combien ça gagne un professeur de droit qui fait de l'arbitrage, la on est au dessus de 100 000€... Ah ouai c'est sûr.. c'est pas très digne de gagner autant d'argent : Mais pas de problèmes !! moi j'aurai un cabinet d'avocats qui s'appelle Vauger et Vauger qui fait sept millions sept de chiffre d'affaire par an, à l'université hein, on me donne 4.500€ par mois, pas de problèmes, pas de problèmes ! Autrement dit, on a un système d'appauvrissement systématique des professeurs, ils gagnent très mal leur vie par rapport aux années d'études,qu'ils ont passées, par rapport à ce qu'ils peuvent apporter comme percées scientifiques, techniques et d'éducation et comme tout le monde ils veulent avoir une famille, ils veulent... avec 4.500€ vous ne vivez pas dans paris, donc il faut qu'il travaillent à côté : ça, ça s'appelle la privatisation de l'université. Moi, mes prof, je les paie mieux et je leur dis : vous avez un boulot et vous y êtes, vous sortez des papiers de recherche, vous rencontrez des étudiants, vos cours vous les préparez : les amphis sont pleins.

La deuxième critique par rapport à ça est : est-ce qu'on ne tombe pas dans une logique de marchandisation du savoir avec une scolarité qu'on paie directement ? Est ce qu'on est pas dans une logique marchande pour le savoir qui n'est peut être pas un bien comme un autre ?

Il y a des matins où je me réveille et où je préférerais l'autre option : la non-marchandisation du savoir : un savoir non transmis à des étudiants qui échouent dans leurs études, dans leur insertion professionnelle avec des professeurs qui ne veulent plus enseigner en premier cycle, qui s'intéressent un petit peu à leurs étudiants de master, pas beaucoup à leurs doctorants et qui travaillent à côté. Ça c'est le bonheur socialiste ! [silence] C'est juste … on fait semblant, on dit dans telle université c'est pas marchand. Ça fait combien de temps en France qu'on dit qu'il y a 150.000 jeunes qui sortent du système sans qualification chaque année : 10, 15 20 ans ? Il se trouve que c'est cumulatif, le gouvernement disait encore dimanche dans une émission politique : 150.000 jeunes, ouai, mais chaque année depuis 10 ans c'est 1 millions 500000 jeunes qui n'ont pas d'emploi, mais au moins, il n'y a pas de marchandisation ! Ils sont au chômage, ils sont dans la pauvreté, ils sont dans la révolte mais ce n'est pas marchand ! Un bonheur ! Depuis 10 ans, en quoi les taux de succès en médecine, ou à paris 4 se sont améliorés ? En quoi l'insertion professionnelle des jeunes s'est-elle améliorée, en quoi le chômage des jeunes a-t-il diminué ? Tout ça a augmenté. Alors on est pas dans la marchandisation, les jeunes sont au chômage, mais ce n'est pas marchand.

Il y a des arguments avec lesquels il faut arrêter quoi ! En revanche, moi je peux vous parler de la marchandisation, en médecine, on estime que entre la moitié et deux tiers des jeunes qui réussissent le passage de la première à la deuxième année de médecine ont suivi les cours de soutien à coté. Alors là on est dans la marchandisation : c'est gratuit l'université, on y va pas, les cours Galien moi qui n'habite pas loin, j'ai un cours Galien à côté de chez moi et ça ne désemplit pas : samedi, dimanche jusqu'à 2h du matin. Et c'est bondé. Là on est dans la marchandisation. Mais en revanche, c'est l'université : deux cent euros par an. Donc vous allez à l'université et pour 200€ vous avez le droit d'échouer, vous allez aux cours Galien, pour 200.. avec beaucoup de zéros derrière, vous avez le droit de réussir ! Un rêve ! Mais ça marche ! , c'est des arguments de rêve en France : américanisation, marchandisation, et à Science-Po on dit descoingnisation, c'est 100% de mobilisation. Au profit des classes sociales qui vont bien et qui s'en contrefoutent. N'entrons surtout pas dans une marchandisation, ayons des professeurs pauvres qui n'enseignent pas à des étudiants qui vont réussir, ça c'est bien !

J'ai une question en rapport avec les propositions de terra nova : trouvez-vous que ça va dans le bon sens ?

Tout ce qui bouge... et tout ce qui bouge à gauche avec un objectif de justice sociale me paraît bien. On a mis dix ans à obtenir que HEC soit obligée à annoncer par voie de page de pub que ses boursiers ne paieraient pas de droit de scolarité ! Je suis très fier de HEC. En tout cas si ça pouvais bouger à gauche, ça ne serait pas mal, mais ce n'est pas gagné. Science-Po est cogéré par l'UNEF et par la direction et quand on est très énervé avec l'UNEF je leur dis : l'UNEF a un intérêt objectif extraordinaire qui rejoint celui des ministres depuis 30 ans : il faut plus de boursiers avec des bourses les plus faibles possibles. Qu'est-ce qu'il y a de plus énervé qu'un boursier qui a une bourse qui le conduit à travailler ? Et là vous remplissez les rues sans problème. Qu'est-ce qui s'est passé depuis le dernier plan Jospin jusqu'au dernier de Valerie Pécresse ? C'est une augmentation du pourcentage de boursiers et alors le pompon, vous ne le direz pas à Valérie qui va encore me détester plus , le pompon c'est la création de bourses à taux zéro : vous êtes boursiers mais on ne vous donne pas d'argent, vous ne gagnez pas d'argent, elle est bonne celle là ! On a gagné 10 points de taux de boursiers !

Mais on peut dire, qu'ils ont de l'argent de manière indirecte en ne payant pas leur concours...

C'est un progrès mais avouez : on vous dit vous êtes boursier [silence], alors vous n'avez pas payé la Sécu, vous n'avez pas payé les 200€... ça vous fait une belle jambe pour vivre. Dix points de plus silence quand vous êtes boursier, ça veut dire que vous êtes à 3600€ par an et l'UNEF vient d'obtenir que ce soit sur 10 mois et pas sur 9 mois, vous n'avez pas l'impression qu'on se fout de la gueule du boursier quand même ?! Quand vous devez travailler ici au centre de Paris et qu'on vous donne 360€ par mois sur 10 mois, comment vous faites pour vous loger quand vous n'êtes pas parisien, comment vous faites pour vous nourrir, pour vous habiller, pour sortir, c'est juste impossible donc on nous ment ! Donc on leur ment à ses boursier : maximum 3600€ par an !Forcément ces jeunes ne sont pas pas contents. Pour peu qu'en plus ils soient obligés de travailler à côté alors qu'est ce qui se passe : ils ne se concentrent pas sur leurs études, qu'est-ce qui se passe, ils se plantent et à ce moment-là le CROUS leur dit : « ah, tatata, allez joker hein ! , c'est la première et dernière fois que vous vous plantez cette année sinon on vous supprime la bourse. » Et hop, ils re-vont travailler chez Flunch cette fois-ci et ils se replantent. Là, la bourse c'est terminé : « M., Mme. vous n'avez pas les résultats qu'on attend de vous, on fait un effort et vous échouez ! ».

Si vous n'êtes pas révolutionnaire dans ces cas-là , c'est inouï quoi ! Mais le taux de boursiers en France a augmenté, c'est une grande conquête sociale !

Comment voyez-vous l'avenir des frais de scolarité à Science-Po, parce que c'est votre dernier mandat je crois ...

Et ça a l'air d'alimenter un intérêt et un appétit ahhh c'est extraordinaire ! et en plus on appris que le job était bien payé (sourire), je n'ai plus que des amis.

Et pour le reste de l'enseignement supérieur en France, vous pensez qu'il va y avoir des réformes ou que le sujet est trop sensible ?

Écoutez, c'est un sujet atrocement sensible et je ne pense pas qu'un prochain gouvernement le traitera car il aura à traiter des sujets beaucoup plus graves, beaucoup beaucoup plus grave et qu'il ne pourra pas allumer tout les fronts en même temps. Je pense qu'il ne se passera pas grand chose... sauf s'il y a une crise budgétaire vraiment grave et que là si on dit que le budget des universités c'est -20% en 2013, vous aurez une partie des présidents d'universités qui seront avec -20% et là soit on se bouge soit on a compris : on a perdu notre AA-, etc. Mais si la situation n'est pas aussi grave que ça il ne se passera rien et la privatisation de l'université ira en grandissant. Et moi après Science-Po, je rachète Science-Po Galien, enfin ! Mais je vous dis ça de manière provocatrice pour attirer vos sourire mais je pense que ce que je vous dis là est proche de la réalité.

[un homme entre dans le bureau indiquer à M. Descoings qu'il est l'heure]


On va peut-être arrêter parce que...

Oui, je suis désolé mes commissaires politiques me draguent. Mais si vous avez d'autres questions on peut se revoir...

Wednesday the 18th. Mines ParisTech