Qu’est-ce que « le capital » ?

Piketty, lorsqu’il nomme son livre Le capital au XXIème siècle, fait un clin d’oeil à Karl Marx et à son célèbre essai « Le Capital », dont le premier tome fut publié en 1867. Cette référence n’est pas anodine : Marx proposait déjà dans son livre d’analyser la dynamique du capitalisme. Cette analyse déboucha sur une sinistre prédiction : celle de l’accumulation sans fin des moyens de production au mains de quelques uns, parallèlement à une exploitation et une paupérisation croissante de la masse populaire.

Mais Piketty et Marx n’utilisent pas le mot capital dans le même sens. Le premier précise sa définition du terme dès le début du livre. Pour Piketty, le capital n’est rien d’autre que « l’ensemble des actifs non humains qui peuvent être possédés et échangés sur un marché. Le capital comprend notamment l’ensemble du capital immobilier (immeubles, maisons) utilisé pour le logement et du capital financier et professionnel (bâtiments, équipements, machines, brevets, etc.) utilisé par les entreprises et les administrations ). »

Pour Marx, le capital n’est pas synonyme de patrimoine mais caractérise « un mode de production, c’est-à-dire un rapport social. Un rapport social complexe qui, au rapport monétaire des simples économies marchandes, ajoute — c’est le cœur de toute l’affaire — le rapport salarial, constitué autour de la propriété privée des moyens de production […]. » comme le rappelle l’économiste Frédéric Lordon*.

Cette différence sémantique a son importance : Piketty parle des inégalités en terme de richesse personnelle alors que Marx parle des inégalités en tant que structure sociale. Le premier parle de centiles, le second de classes (p.396 : « La lutte des classes, ou la lutte des centiles?). Aussi, Piketty ne remet pas en cause le capitalisme lui-même, contrairement à Marx, et appelle une solution fiscale pour contrer la dynamique inégalitaire, là où Marx proposait une révolution du prolétariat.

Mais admettons que l’on décide de ne pas se limiter au sens marxiste et d’appeler capital la valeur d’un patrimoine. Qu’allons nous mettre dedans ? On l’a dit, Piketty compte « l’ensemble des actifs non humains qui peuvent être possédés et échangés sur un marché ». Cette définition simple est attaquée par des économistes comme Michel Husson* ou Frédéric Boccara*, qui lui reprochent tour à tour d’être trop extensive ou d’oublier certaines composantes.

Aussi, Michel Husson dans son article Le capital au XXIème siècle : Richesse des données,

pauvreté de la théorie, choisi différentes définitions du capital et trace la fameuse courbe de l’évolution du rapport capital/revenu pour la France entre 1978 et 2010 et trouve des résultats qui diffèrent de Piketty. De son côté, Frédéric Boccara s’étonne de ne pas voir compris dans la définition de Piketty les actifs détenus par les entreprises et prend l’exemple de la famille Peugeot, qui voit son capital considérablement augmenté si les actifs de PSA étaient pris en compte.