La quatrième partie du livre de Thomas Piketty propose une réflexion prospective quant aux actes à mener en vue de répondre à la situation précédemment décrite. Elle s’intitule « réguler le capital », titre signifiant sujet à de vives réactions sous plusieurs angles d’analyse.

La volonté de régulation en économie attire de facto l’attention d’une école de pensée libérale, défendant l’efficacité de mécanismes d’auto-régulation des marchés. Les mesures fiscales formulées par Piketty, en particulier, suscitent l’hostilité. Dans cette ligne, le capital de Piketty, c’est-à-dire la richesse (l’ensemble des biens valorisables sur un marché), ne se régule pas par définition. En effet la théorie classique veut que la richesse accumulée par quelque groupe particulier est investie de manière à générer un développement. Le retour sur investissement permet alors de réinvestir et de distribuer les richesses générées. Une politique de taxation du capital revient alors à interrompre ce cycle vertueux; en prélevant sur les concentrations de richesse, l’investissement est inhibé, la croissance cesse et la masse globale des biens dépérit au détriment de tous.

Notamment au regard de ce processus, il devient même douteux que les ultra-haut revenus du capital identifiés par Piketty soient véritablement des « rentes », il pourrait au contraire ne s’agir que des retours sur investissements, totaux ou partiels, des dits investisseurs garants de la prospérité générale. La taxe prônée par Piketty apparait alors punitive, dictée par des principes idéologiques méconnaissant les lois réelles de l’économie. En introduisant de la morale dans le jugement, l’auteur fausse irrémédiablement ses prescriptions, s’aveuglant sur les principes objectifs de la prospérité. Au pire, ces mesures laissent libre cours à la basse envie.

Il s’agit de thèses portées par Michael Potter, de la National Autralian University, par exemple, lequel soulève également des questions d’ordre technique partagée par d’autres (cf notre entretien avec Guillaume Allègre).

En effet, l’uniformité de la taxe suggérée par Piketty pose problème: elle s’appliquerait indifféremment au type de capital en question, or on a vu l’hétérogénéité des objets classés sous cette catégorie par l’auteur. Dès lors, les différences de rendements entre secteurs ne sont pas prises en compte et l’on risque d’aboutir à des situations de surtaxation aberrantes où le prélèvement ne se justifie plus par une dynamique accélérée d’accumulation. Face à quoi des propositions alternatives émergent, qu’il s’agisse naturellement de définir des taux de taxation par secteur, voire d’élargir l’accès à la propriété de capital (Michael Potter).

Cependant, ces critiques ne sont qu’autant d’objections prévisibles marquant la scission entre différents camps politico-économiques. Des remarques plus virulentes se voient émettre par les acteurs a priori plus proches de Piketty par leur position face au système économique actuel.

Des oublis ou insuffisances sont sévèrement reprochés à l’auteur dans son ambition de livrer une analyse du « capital au XXIème siècle ». La plus immédiate dans cette catégorie est l’absence de traitements des autres dimensions de l’inégalité et de sa transmission. Il s’agit de le pensée inspirée notamment par l’idée de capital social, intellectuel ou symbolique développée par P. Bourdieu principalement, et qui vise à rendre compte de déterminants sociaux autres que la simple richesse pécuniaire, apparentés à un ensemble de savoirs, codes ou relations transmissibles d’une génération à l’autre dans un cadre familial perpétuant ainsi une domination sociale par quasi-héritage. G. de Lagasnerie consacre à ce sujet un article virulent dans Libération, reprochant même l’immobilisme social de Piketty, jusqu’à qualifier son livre de « Manifeste de la pensée conservatrice ». Il est intéressant de relever la sécession brutale manifestée par l’auteur d’un tel article du propos de Piketty, quand le critère habituel d’un curseur politique tendrait à les rapprocher. Cet effet de retournement est récurrent au sein des sphères progressiste ou socialo-marxiste; pour cause, la conception du capital entretenue par untel, point crucial pour cette partie de la critique.