Un Grexit, meilleure solution pour la Grèce ? ?>

Un Grexit, meilleure solution pour la Grèce ?

Comme nous l’avons vu, le Grexit s’est peu à peu imposé comme une solution possible à la crise grecque. Mais l’est-elle réellement du point de vue grec ?

truc1

Illustration des tensions liées à la dette.
Source : http://fr.anyoption.com/blog/grexit-les-risques-et-les-consequences/

Ainsi, une sortie unilatérale de la zone euro apparaît pour Pascal de Lima [1], économiste et enseignant à Sciences Po, comme la seule solution envisageable pour la Grèce : elle serait suivie de la création d’une nouvelle monnaie nationale, d’une forte dévaluation, jusque 70%, et d’une récession du fait d’une fermeture au marché des capitaux. Cela augmenterait l’inflation et donc entraînerait une baisse des revenus mais la reprise serait rapide, dépendant uniquement du temps nécessaire pour que la nouvelle drachme grecque soit acceptée sur les marchés. A l’inverse, un maintien à tout prix dans l’union entraînerait selon lui une recapitalisation quasi permanente des banques grecques par les instances internationales, point de départ d’un cercle vicieux conduisant à une augmentation du chômage, à toujours plus d’austérité et à une baisse des salaires. C’est également le point de vue de Daniel Cayla, maître de conférences à l’université d’Angers, pour qui « Le retour à une monnaie nationale créerait […] une cloison qui permettrait de réorienter l’épargne grecque vers les besoins de l’économie » [2]. Toujours d’après lui, la sortie de la zone euro entraînerait une dévaluation de la nouvelle monnaie nationale de l’ordre de 30 à 50%, ce qui permettrait de relancer les exportations, et engendrerait de l’inflation, ce qui réduirait la dette.

„Les créanciers imposeront de nouvelles politiques d’austérité jusqu’à une sortie inévitable de l’euro “

Gabriel Colletis

Gabriel Colletis, professeur à l’Université Toulouse I, va plus loin [3] : il considère que les objectifs fixés par la troïka sont intenables, et que si la Grèce reste dans la zone euro, sa dette ne va cesser de croître, renforçant sa dépendance au plan d’aide européen et plongeant le pays dans la spirale infernale de la dette. D’après lui, « Les créanciers imposeront de nouvelles politiques d’austérité jusqu’à une sortie inévitable de l’euro ». Il ne s’agit donc pas d’un choix grec, mais de quelque chose d’inévitable.

truc 2

Illustration des conséquences géostratégiques d’un Grexit.
Source : http://thesaker.is/grexit/, Grexit.

Comment se passerait alors concrètement un Grexit ? La première étape d’après Jean-Marc Daniel [4] serait de mettre en place une nouvelle monnaie nationale, ce qui pose déjà problème d’après lui car aucune infrastructure n’existe pour imprimer les nouveaux billets par exemple. Il faudrait ensuite imposer un taux fixe de change entre l’euro et la drachme, et s’y tenir, ce qui est quasiment impossible d’après lui du fait des marchés. Enfin, pour que ce changement de monnaie ne soit pas vain, il est nécessaire qu’il s’accompagne de réformes profondes de l’administration grecque. Cependant, plusieurs problèmes se posent d’après Jean Yves Archer : ainsi, il y a le risque d’un développement d’un marché et d’une économie parallèle, dans lesquels la population grecque et les entreprises continueraient d’utiliser l’euro et non la drachme et paieraient en liquide, ce qui diminuerait énormément les rentrées fiscales de l’Etat grec. Un autre problème réside dans la renégociation des différents contrats passés non seulement par l’Etat grec mais également par les entreprises grecques : en cas de sortie de la zone euro, ces contrats devront être renégociés. Le débat autour de la dette est également complexe : en cas de Grexit, la Grèce pourrait faire défaut de la totalité de sa dette, ce qui la discréditera certes auprès des marchés, mais lui permettra d’avoir de nouveau une marge de manœuvre, car les paiements des intérêts de la dette publique représente 4.2% du PIB [5]. A terme, cela permettrait à la Grèce d’augmenter sa compétitivité. Malgré tout, pour Jean-Yves Archer, une suppression pure et simple de la dette grecque n’est que très peu probable.
Jérôme Creel le rejoint sur ce point, puisque, d’après lui, les pays européens n’accepteront jamais de passer outre et de payer les erreurs grecques. C’est également le cas d’André Grjebine, docteur d’Etat en économie (Paris 1), qui affirme que « Il n’y a aucune fatalité qui condamnerait les contribuables européens à payer un défaut de la Grèce, voire sa sortie de la zone euro, le Grexit » [6] . Cependant, pour Christopher Dembik économiste chez Saxo Banque « les leaders européens devront tôt ou tard accepter une nouvelle restructuration de la dette, ce qui occasionnera des pertes pour le contribuable mais c’est le scénario le moins pire pour la zone euro et la France »[7] . Ainsi, loin de faire consensus, une sortie grecque de la zone euro n’est pas souhaitée par bon nombre d’acteurs et malgré son « non » à l’austérité lors du référendum de juillet 2015, la population grecque reste majoritairement favorable à un maintien dans la zone euro de la Grèce.

D’autre part, pour Dimitar Bechev, Senior Visiting Fellow of the European Institute of the London School of Economics, « un Grexit renforcerait uniquement le caractère périphérique de
l’économie grecque tout comme son rôle politique et stratégique
 » [8]. Ainsi, géopolitiquement parlant, la question du Grexit est là encore controversée : un Grexit isolerait un peu plus Chypre dans ses  conflits avec la Turquie et pousserait la Grèce à chercher une aide financière en se tournant vers la Chine ou la Russie, point également soulevé par Jean-Yves Archer au cours de notre entretien. La Grèce représenterait alors une porte d’entrée économique vers l’Europe pour la Chine, tandis que pour la Russie, elle est stratégiquement importante car elle lui permettrait d’avoir une base marine sur la Méditerranée [9]. La situation est la même du côté américain : c’est en Grèce qu’est située une des dernières bases américaines datant de la guerre froide. C’est donc un lieu géostratégique pour les Etats-Unis car il permet d’être un point de départ vers les missions au Moyen-Orient et abrite un port américain qui permet la présence d’une flotte américaine en Méditerranée, et il est hors de question pour les Etats-Unis de permettre un Grexit [10]. Cependant, Konstantinos Filis, directeur de recherche à l’Institut grec de relations internationales, « En cas de Grexit, la Grèce serait isolé sur la scène politique car la Chine ou la Russie ne veulent que d’une Grèce membre de l’UE pour en faire un cheval de Troie européen ».

truc 3

Caricature représentant les possibles effets destructeurs d’un Grexit sur la construction européenne.
(Source : http://socialistnetwork.org/tag/grexit/, Debate : As the Greek Crisis Nears the EndGame would a Grexit Help or Hinder ?)

Enfin, pour Jean-Yves Archer « une tension sur les taux grecs amènerait les marchés à revisiter la solidité des économies du Sud de l’euro zone et à accélérer le risque de fractionnement de la zone en emportant l’Italie dans ce fracas monétaire »[11]. Ainsi, un Grexit pourrait avoir de lourdes conséquences pour l’Union Européenne.

 

[1] PLASSARD, John. Grèce : les conséquences d’une sortie unilatérale de l’euro. La Tribune. mai 2015.
[2] INCHAUSPE, Irène. Et si l’Europe osait le Grexit ?  L’Opinion. juillet 2015.
[3] COLLETIS, Gabriel. Le Grexit est en marche. La Tribune. juillet 2015.
[4] Interview réalisée en mars 2016 par Oussamah JABER.
[5] HUSSON, Séverin. LE TALLEC, Camille. Pourquoi plaider pour une sortie de la Grèce de la zone euro. La Croix. juillet 2015.
[6] GRJEBINE, André. Ne surestimons pas le risque d’un défaut grec. Les Echos. juin 2015.
[7] RUSSEL, Géraldine. Que signifie le Grexit ? Le Figaro. février 2015.
[8] GUILLOT, Adéa. Les risques géopolitiques d’un Grexit. Le Monde. juillet 2015.
[9] GODIN, Romaric. Zone euro: qui a le plus à perdre d’une sortie de la Grèce ? La Tribune. février 2015.
[10] L’autre défi d’un Grexit. Les Echos. juillet 2015.
[11] GOETZMANN, Nicolas. Explosion de l’euro, le jour d’après : ce qui se passerait si la monnaie unique disparaissait brutalement (et avec le dossier grec, ce n’est pas de la science-fiction…). Atlantico. février 2015.