Comme on l’a vu, le principe de précaution n’est imposé légalement que dans le cas de menace sur l’environnement. Dans ces conditions – et c’est là l’opinion de la plupart des acteurs concernés – la question de la fermeture des espaces aériens lors de l’éruption du volcan Eyjafjallajökull sort du domaine de compétence du principe de précaution ; dès lors, cette locution ne peut plus prétendre représenter davantage qu’une posture morale, une position éthique, au même titre que les termes prudence ou discernement, et il n’existe plus de critère objectif pour juger de sa pertinence.
Le principe étant lettre morte, il est néanmoins loisible de se demander si son esprit (qui est une émanation de bon sens) a été respecté.
Dans un premier temps, l’interdiction de vol n’a pas soulevé de contestation, l’incertitude étant trop grande et les intérêts économiques ne pesant pas lourd face aux vies humaines. Toutefois, dans la perspective du principe de précaution comme principe d’action, les autorités (gouvernements et DGAC en France) ont notamment été critiquées par les compagnies aériennes et l’IATA pour leur lenteur à organiser des tests en vol, afin de récolter de nouveaux éléments qui auraient permis de lever l’incertitude pesant sur les risques courus par les avions. Puis, quand les vols d’essai se sont multipliés à l’initiative de tous les partis, les observations ont convergé vers le constat d’une absence totale de danger, et la décision de fermeture est apparue comme largement disproportionnée ; les compagnies et l’IATA ont alors attaqué les politiques sur le thème de la réactivité aux nouvelles données : selon elles, les autorités tardaient à prendre en compte les résultats des essais et à assouplir les mesures, au moins en aménageant des corridors aériens dans les zones jugées de moindre risque.
Ainsi, même si le principe de précaution n’a pas de valeur légale dans le débat sur la fermeture de l’espace aérien, ses préceptes procéduraux y sont au cœur. De plus, si les nombreux médias qui l’ont rattaché à la fermeture ont tort d’un point de vue formel, il est cependant indéniable que le principe de précaution, ou plutôt une certaine idée du principe de précaution, a largement joué dans l’esprit des politiques au moment d’approuver et de prolonger la décision cruciale. En témoigne la justification du Ministre des Transports, Dominique Bussereau, le 19 avril :
La confusion, à tous les niveaux, d’un principe de prévention avec le principe de précaution, et du principe de précaution avec une idéologie du risque nul, a sans doute poussé certains acteurs à rechercher la sécurité en dépit du bon sens, et a quoi qu’il en soit contribué à envenimer le débat, en l’orientant vers une nouvelle polémique sur le principe de précaution.