Eyjafjallajökull - Fallait-il fermer l'espace aérien ?
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Éruption : la facture s'annonce salée

Les économies modernes découvrent leur impuissance face aux forces naturelles. Tout dépendra de la durée de l'éruption islandaise.

Un volcan, l'Eyjafjöll, qui se réveille après un sommeil de 190 ans. A l'échelle de la planète, c'est à peine une petite sieste. A l'échelle humaine, pour peu que le volcan en question se situe à la porte d'une des régions les plus riches du monde, c'est le début d'une «catastrophe économique». Exagération ? Pas sûr. D'après l'Association internationale du transport aérien (IATA), la perte financière est de 250 millions de dollars par jour pour l'ensemble des compagnies aériennes interdites de décollage, d'atterrissage et de survol de l'espace aérien de l'Europe du nord. Pour les seules compagnies européennes, cette perte atteindrait 200 millions de dollars. Rien d'insurmontable toutefois... à une question près : combien de temps l'éruption va-t-elle durer ?

Un univers de science-fiction qui revient à la réalité

Le phénomène est tellement peu intégré dans les modes de vie européens que, pendant deux semaines, personne n'a songé à tirer la sonnette d'alarme. Personne ne prit de dispositions au cas où le réveil de l'Eyjafjöll serait plus qu'une image anecdotique pour scénario de science fiction en mal d'hyper-réalisme. Les volcans ne sont pas qu'une toile de fond à la disparition des dinosaures. Ils sont toujours actifs sous d'autres latitudes, mais l'Europe l'avait oublié. L'éruption, à laquelle l'Islande se préparait compte tenu des alertes sismiques enregistrées sur place, remonte en fait au 21 mars. Ensuite, le volcan fit mine de se calmer, sans toutefois se rendormir. Plus personne ne s'interrogea sur la persistance ou non d'une quelconque activité volcanique... jusqu'à ce qu'elle reprenne de plus belle, le 14 avril. Et c'est en catastrophe que les autorités de sécurité européennes décidèrent de fermer l'espace aérien, le 15 avril. Ainsi, pendant trois semaines, aucune mesure ne fut prise pour réduire l'exposition au risque causé par cette éruption. Et tout le monde fut pris au dépourvu par la formation de nuages de cendres géants.

Défaut d'anticipation

Depuis la gêne causée par les interdictions de vol, le principe de précaution est mis en accusation. Il se révèle de toute évidence mal adapté à la situation. Mais surtout, c'est l'absence de toute progressivité dans sa mise en œuvre qui est à l'origine des problèmes posés. Car si la décision avait été anticipée et moins brutale, des modes de transport de substitution auraient pu être organisés autrement que dans l'urgence. Les compagnies elles-mêmes auraient pu prendre des dispositions pour amortir les effets de l'interdiction. Le problème n'est donc pas celui du principe de précaution, mais d'une application trop tardive.

Adapter la maîtrise du risque

Les reconnaissances effectuées par des avions dans les nuages de cendres, et qui n'ont pas révélées de risques de dysfonctionnements, démontrent que la mesure de précaution la plus radicale - l'interdiction de vol - n'est pas adaptée. Pour d'autres risques comme le gel à haute altitude, qui peut entraîner la perte de contrôle des moteurs ou des équipements, des solutions ont été trouvées avec les procédures appropriées pour maîtriser le risque. Sinon, plus aucun avion ne volerait. Il en est de même des cendres volcaniques. Mais à chaud, il est toujours plus difficile de faire marche arrière sur un principe dit de sécurité, sans courir le risque d'être accusé de brader cette sécurité pour les seuls intérêts des compagnies aériennes. On sait aujourd'hui que l'Europe n'est pas épargnée par le risque d'éruption volcanique. Il faudra donc mettre en place des procédures particulières, tout comme il en existe pour d'autres risques naturels comme les tremblements de terre dans les contrées exposées à ce danger.

Redressement compromis des compagnies aériennes européennes

C'est lorsqu'il ne fonctionne plus qu'on prend conscience que le transport, présenté souvent comme un mal nécessaire, est un poumon de l'activité économique. En l'occurrence, les compagnies aériennes sont les premières touchées. Après les 9,6 milliards de dollars de pertes enregistrées en 2009, les autorités internationales estimaient que leur déficit cumulé pourrait être réduit à 2,8 milliards de dollars en 2010. Ce redressement est d'ores et déjà compromis. Impossible, surtout pour les compagnies européennes, de songer à revenir à une croissance du trafic comparable à celle d'avant la crise.

En 2008, après une progression de 3,4% du nombre de voyageurs (moitié moins qu'en 2007), le transport aérien international avait enregistré 2,3 milliards de passagers, estime l'Organisation internationale de l'aviation civile (OACI). Si l'on s'en tient au transport intérieur européen la même année, le trafic de passagers avait concerné 798 millions de passagers, selon les statistiques fournies par Eurostat. Les effets de la crise en 2009 ont réduit le trafic aérien de voyageurs de l'ordre de 4% dans le monde, à environ 2,2 millions de personnes l'an dernier. Cette baisse a été inégalement répartie, affectant plus l'Amérique du nord et l'Europe que l'Asie et l'Amérique du sud. Ainsi en 2009, le recul aurait atteint 7% en Europe, ramenant le nombre de passagers sur les lignes intérieures à quelque 740 millions de personnes selon Eurostat.

Les compagnies européennes sont les plus affectées

Combien coûtera une semaine de non activité forcée des compagnies, surtout pour celles qui opèrent le plus dans le ciel européen? Environ 2% en termes de trafic, pour une facture évaluée à 1,5 milliard de dollars, dont 1,2 milliard de dollars pour les compagnies européennes. Si l'éruption se poursuit plus longtemps (ce que craignent les experts), et si les conditions météorologiques (pas de vent, pas de pluie) persistent, la perte sera encore plus lourde. Elle sera d'ores et déjà supérieure à celle des attentats du 11 septembre 2001. Pour les compagnies les plus fragiles, l'Association européenne des compagnies aériennes (AEA) prend les devants en tirant le signal d'alarme: «Il est sûr que certaines d'entre elles ne survivront pas à une ou deux semaines de suspension», a déclaré l'association le 20 avril.

Les autres secteurs sont touchés

Les compagnies ne sont pas les seules menacées. Le transport aérien qui s'est développé avec la mondialisation, en est un des vecteurs. A ce titre, il est intimement associé à la croissance des économies. Il n'est pas de secteurs qui, soit par les conséquences sur le transport de passagers, soit par les effets sur l'acheminement du fret et la bonne coordination des opérations de production, ne soient affectés lorsque des avions restent au sol. Au contraire, le transport aérien est un générateur d'activité pour les autres secteurs. A commencer par le tourisme et les voyages d'affaires, et tous les services qui, ensuite, s'appuient sur le transport de voyageurs pour nourrir leur plan de charge. Ce n'est pas un hasard si les Chambre de commerce et d'industrie des capitales régionales veulent toutes disposer d'infrastructures aéroportuaires. En 10 ans entre 1995 et 2005, les liaisons internationales (y compris intra-européennes) au départ ou à l'arrivée des métropoles françaises ont vu leur trafic doubler dans le transport de passagers, selon les statistiques de la Direction générale de l'aviation civile (DGAC). Et même si la tendance à la hausse s'est ralentie, elle se poursuit.

Quant au fret aérien (13 millions de tonnes en Europe en 2008 dont 3,5 millions de tonnes pour l'Allemagne et 1,7 million de tonnes pour la France), il est certes marginal dans l'ensemble du transport de marchandises (3,9 milliards de tonnes en Europe en 2008). Mais il concerne des produits à forte valeur ajoutée dont les prix peuvent supporter le surcoût d'un acheminement par avion. Il s'inscrit aussi dans la chaîne logistique moderne organisée autour d'un mode de travail en «juste à temps». C'est d'ailleurs cette stratégie de la production qui a été à l'origine du fabuleux développement de l'express, dont le transport aérien est un vecteur indispensable.

(Éruption : la facture s'annonce salée, slate.fr, Gilles Bridier, 20 avril 2010)

Dernière mise à jour le 08/05/2011 par Groupe.

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