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« 3 produits laitiers par jour »

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INPES PNNS HCSP CNA MTES produitslaitiers maisonlait milkugood

PNNS : Plan National Nutrition Santé

Ce plan a été officiellement lancé en 2001 par le Ministre de la Santé Bernard Kouchner. Le but affiché était de rééquilibrer les habitudes alimentaires françaises, source de pathologie comme l’obésité enfantine. Initialement prévu sur 5 ans, il a été reconduit par deux fois, en 2006 et 2011.

Le PNNS a pour but de « développer l’information et l’éducation » autour de l’alimentation. A travers des revues, des spots publicitaires ou des messages obligatoires sur les publicités alimentaires, le PNNS a utilisé de nombreuses expressions désormais bien connues, comme « 5 fruits et légumes par jour » ou encore « 3 produits laitiers par jour ».

L’impact a été profond. Avant 2001, on ne compte que quelques rares publications comportant les mots « trois produits laitiers », alors que l’apparition de cette expression est devenue plus soutenue à partir de 2002.

Les objectifs du PNNS sont fixés par le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP). Ces objectifs sont uniquement nutritionnels. Il est ensuite élaboré à partir de consultations auprès de nombreux acteurs à travers des colloques. Parmi eux des professionnels de :

  • la santé publique
  • médical
  • secteurs publiques et privés
  • acteurs économique
  • associations de consommateurs
  • représentants de patients

Un comité d’élaboration PNNS rédige ensuite le PNNS, qui est approuvé par le Ministère du Travail de l’Emploi et de la Santé.

 

Ministère du Travail de l’Emploi et de la santé

C’est lui qui en 2001 a lancé le premier PNNS. Il est à l’origine de la relance des PNNS suivant.

 

INPES : Institut de Prévention et d’Education pour la Santé

Le rôle de l’Inpes est de communiquer les bons comportements alimentaires aux enfants, mais aussi aux professionnels de la santé. Il est doté depuis 2011 d’une charte assurant sa transparence et sensée éviter les conflits d’intérêts.

L’INPES organise des grandes études nationales afin d’obtenir des données sur le comportement alimentaire des Français. Un de ses outils est le Baromètre Nutrition Santé. En 2008, cet outil révèle ainsi que les Français ne consomment pas assez de produits laitiers par rapport aux recommandations et insiste sur l’importance de continuer la promotion des produits laitiers.

C’est à travers ces études que sont notamment établies les priorités et les évolutions des PNNS suivant.

 

En matière de communication et en ce qui concerne les produits laitiers, l’INPES gère le site du PNNS mangerbouger.fr.

HCSP : Haut Conseil de la Santé Publique

Anciennement Haut Comité de la Santé Publique, le HCSP a été créé en 2004. Il regroupe des experts de la santé. Il est consulté par les ministères qui le demandent. C’est lui qui définit aussi les objectifs de santé publics, donc aussi ceux du PNNS. Toutefois, leurs décisions ne sont pas explicitées sous la forme « 3 produits laitiers par jour » mais plutôt « réduire l’obésité », mais (pour le PNNS 2011) « Augmenter les apports en calcium des groupes à risque ».

Ces experts sont indépendants. En 2000, suite à la crise la vache folle le HCSP publie le rapport « Pour une politique nutritionnelle de santé publique en France » qui favorisera la création du PNNS en 2001.

Serge Hercberg, président du PNNS, fait notamment partie du HCSP, et a participé à la rédaction du rapport en 2000. Il y est mentionné l’importance de l’apport en calcium chez les personnes âgées et de l’allaitement.

CNA : Conseil National de l’Alimentation

Le CNA est « une instance consultative indépendante » [1]. Son avis peut être appelé par les ministères, mais aussi par des acteurs dans le secteur de l’alimentation. Contrairement au HCSP qui n’aborde que l’aspect « Santé Publique » d’un domaine, le CNA s’intéresse aux réalités économiques et sociétales d’une thématique.

Les membres du CNA sont des « acteurs de la chaîne alimentaire » [1], principalement des professionnels (dont des producteurs et industriels membre du CNIEL), et des consommateurs.

Le CNA n’a pas de pouvoir décisionnel concernant le PNNS. Il est consulté pour donner son avis sur la question, mais seulement du point de vue économique et communication. Ce n’est donc pas lui qui fournit les recommandations en apports journaliers.

produits-laitiers.com

Lancé en 2010, le site produits-laitiers.com est l’un des premiers résultats lorsque l’on tape « lait » dans un moteur de recherche, avec mangerbouger.fr. Ce site, rédigé par le Cniel, est à destination du grand public. Il présente à la fois les produits laitiers, leurs bienfaits et l’industrie laitière.

Le but affiché est d’informer le public sur l’importance qu’ont les produits laitiers dans la santé de chacun, mais aussi sur l’économie. L’accent est mis sur l’aspect humain de l’industrie laitière, à travers des portraits d’agriculteurs.

Une partie du site donne des informations santé. Ces recommandations s’appuient sur des études (citées) internationales, concernant les liens potentiels entre lait et cancers notamment. Il y est indiqué que dans le cadre des recommandations du PNNS (3 produits laitiers par jour) le lait n’est pas dangereux pour la santé.

maison-du-lait.com

Ce site est géré par le Cniel. Il est en lien direct avec deux autres sites, Les Produits laitiers et Cniel Info.

A travers ce site web, le Cniel donne des informations chiffrées sur l’industrie laitière. Le message véhiculé est positif concernant les produits laitiers, et décrit les institutions qui façonnent l’économie du lait en France.

L’information dispensée est aussi bien à destination du grand public que des professionnels.

A la page décrivant le Cniel, il est écrit : « La mission fondamentale du CNIEL est d’organiser l’économie laitière de façon cohérente pour favoriser le développement économique du secteur. » et de « Promouvoir collectivement le lait et les produits laitiers auprès des consommateurs pour contribuer au développement des ventes, anticiper les attaques contre le secteur et y répondre en s’appuyant sur une expertise scientifique incontestable. »

 

milkugood.com : Milk U Good

Ce site très récent (août 2014) est présenté sous la forme d’un blog. Comme l’indique ses menus contextuels (Plaisir Gourmand, Plaisir Partagé, etc…) l’idée véhiculée est celle du bonheur à travers la consommation de produits laitiers.

En effet, chaque article replace la consommation et la cuisine d’un produit laitier dans le cadre d’une activité plaisante, apéritif, piquenique, beauté, etc… Il s’agit de donner une image positive et ludique des produits laitiers.

Le CNIEL n’est jamais mentionné, à part dans les mentions légales. Dans ces dernières, le CNIEL stipule que « Le CNIEL et ses affiliés et partenaires ne garantissent en aucun cas l’exactitude, la valeur commerciale, la qualité ou la non contrefaçon d’une information publiée sur le site web. » Il ne s’agit donc pas d’un site d’information comme Les Produits Laitiers, mais un site visant une population jeune.

Milk U Good possède aussi une chaîne Youtube avec de nombreuses vidéos, podcasts et des clips. La chaîne possède plus de 16500 abonnés.

Un article scientifique au coeur du débat

Le 28 octobre 2014, le British Medical Journal publie une étude réalisée sur une cohorte d’environ 32 000 personnes par l’équipe du professeur Michaelson de l’université d’Upsala en Suède : Milk intake and risk of mortality and fractures in women and men: cohort studies.

Son objectif :

« To examine whether high milk consumption is associated with mortality and fractures in women and men. »

Ses conclusions, si elles restent prudentes, remettent en cause les bienfaits du lait pour la santé, notamment en ce qui concerne l’ostéoporose. Là où les médecins recommandent de boire du lait pour solidifier les os, les chercheurs obtiennent des résultats statistiques en faveur d’une corrélation entre augmentation de la consommation de lait et risque de fracture. La molécule qui semble ici être la plus remise en cause est la D-galactose. Plus fort, une importante consommation de lait entraînerait une augmentation du taux de mortalité !

« High milk intake was associated with higher mortality in one cohort of women and in another cohort of men, and with higher fracture incidence in women. Given the observational study designs with the inherent possibility of residual confounding and reverse causation phenomena, a cautious interpretation of the results is recommended.»

Dans l’éditorial de cette édition du BMJ, intitulé pour l’occasion Milk and mortality : Genetic studies could help us interpret a biologically plausible but preliminary association, C. Mary Schooling, de l’ University of New York School of Public Health commente l’article de l’équipe suédoise :

« Dietary guidelines may also be designed to provide recommended intakes of specific nutrients, sometimes based on the lowest level of evidence (that is, opinion) and reflecting the assumption that normal intakes in Europe or North America represent those that are optimal. As such, it is hardly surprising that dietary guidelines are not always confirmed by experimental evidence from trials, such as the harmful effects of saturated fats or the benefits of calcium.

« As milk consumption may rise globally with economic development and increasing consumption of animal source foods, the role of milk in mortality needs to be established definitively now. »

Sur http://www.bmj.com, les internautes commentent l’article et l’éditorial. En plus de nombreux commentaires de scientifiques, on trouve également :

« Monkeys leave the cows alone. What is to be logically inferred is that for the adult human body systems , any milk or any milk derivative is foreign. Consequencies of more and longer dairy product intake are not known. Broken bones and early death are horrible indeed. »

 « Faced with our multitude of pressing nutritional problems, we need less scientific purity and more real world pragmatism. »

Les meilleurs commentaires scientifiques d’internet ainsi que les réponses parvenues au BMJ sont repris dans des lettres dans le BMJ du 26 novembre 2014. Les auteurs y répondent en explicitant leurs choix de méthodes. Ce sont majoritairement ces courtes réponses que l’on retrouve sur la carte des citations en aval de l’article fournie par le Web of Science :

  • The potential effects of modern milk production (quel rôle attribuer dans les résultats aux substances de synthèses comme les antibiotiques injectés aux vaches laitières ?)
  • Statistical problems with study on milk intake and mortality and fractures
  • Raw versus pasteurised milk
  • Vitamin D status, bone fracture, and mortality 
  • Study used wrong assumption about galactose content of fermented dairy products
  • Unaccounted sex differences undermine association between milk intake and risk of mortality and fractures
  • Authors’ reply to Labos and Brophy, Kerr, Hill, Hettinga, Sundar, and Bonneux

Ces articles sont référencés dans l’arbre de citations ci-dessous : les articles à gauche sont ceux cités par l’étude, ceux à droite sont ceux citant l’étude. Les conclusions scientifiques ne sont donc pas fixes mais continuent d’évoluer au fil du temps.

Arbre des citations pour l'étude du P. Michaëlsson
Arbre des citations pour l’étude du P. Michaëlsson (WOS)

Suite à ces publications, le message a été largement diffusé dans la presse à l’échelle mondiale avec toujours la même phrase: « pour les hommes, le lien statistique entre grande quantité de lait consommé et risque de décès est également observé mais « de manière moins prononcée » tandis qu’aucun lien n’est observé pour les fractures ».

En conséquence la Suède revoit en novembre ses recommandations à la baisse [1], recommandant de boire un maximum de deux verres de lait par jour, contre trois auparavant.

En janvier, on assiste dans la presse à une deuxième relance de publication, plus modérées cette fois ci, toujours au sujet de l’étude. C’est la deuxième vague médiatique, bien qu’elle soit beaucoup moins relayée. Ce qui est intéressant c’est que l’article à l’origine de cette vague est de Jean Michel Lecerf [2].

SOURCES

[1] Fin24. Swedish farmers hit as milk’s popularity wanes, Fin24 [site internet], 18 février 2015. Lien.

[2] PARIENTE, Sophie. Lait et produits laitiers participent à la diversité alimentaire, Le Quotidien du médecin, 22 janvier 2015.

Un livre qui fait polémique

Thierry Souccar, journaliste-enquêteur à composante scientifique, publie en 2004 Santé, mensonges et propagande avec Isabelle Robard. Selon lui, c’est ce livre qui est à l’origine de la prise de conscience progressive par le public d’une remise en question possible du bien-fondé de notre consommation de lait et de laitages. Face à ce premier succès, il consacre un deuxième livre au lait et aux produits laitiers, publiant en 2007 Lait, Mensonges et Propagande [42].

Voici quelques notes prises à la lecture de l’ouvrage, qui permettent de refléter le point de vue de l’auteur : celui-ci n’est pas contre les produits laitiers, mais contre leur surconsommation sous le prétexte qu’il serait bon pour la santé.

Préface du Pr Henri Joyeux, chirurgien – cancérologue à la faculté de médecine de Montpellier

« Ce livre ne peut faire que du bien à la Santé publique. Il est surtout en avance sur le temps qui vient. » 

Le professeur décrit notre « intoxication au lait » comme un « lactoolisme », provoqué par les lobbies mondiaux du lait. Le lait ne serait pas bon pour l’adulte car il contient trop d’hormones favorisant la croissance du veau. Le lait n’est pas non plus la meilleure source de calcium, l’assimilation du calcium végétal est nettement supérieure.

« Il est désormais certain qu’il n’y a aucune preuve scientifique sérieuse pour affirmer qu’il faut pour sa santé consommer trois à quatre laitages par jour. »

Le professeur termine sa préface en mentionnant le fait qu’il a fallu 50 ans pour que nous nous rendions compte des méfaits du tabac: combien de temps nous faudra-t-il pour purger nos fausses idées sur le lait?

« Confessions d’un ex-buveur (de lait) »

Thierry Souccar commence son livre par son propre témoignage. Enfant, il buvait du lait. Ce n’est qu’au milieu des années 1990 qu’il commence à remettre en question sa consommation de lait, et décide de récolter toutes les données scientifiques sur le sujet. Il se rend alors compte que les produits laitiers ont peu de qualités nutritives. Les affirmations de l’industrie laitière quant au bénéfice nutritionnel du lait et des laitages reposent sur un petit nombre d’études toutes financées par leurs soins.

 « Entendons-nous bien. Je dis oui au yaourt, au fromage, au bol de lait qui agrémente le repas. […] Oui au plaisir donc, mais non au diktat. Je considère qu’il est irresponsable de continuer à encourager les français à manger autant de laitages sous le prétexte de préserver leur santé. »

Quelques chiffres

Thierry Souccar donne alors quelques chiffres clés (les sources ne sont pas citées):

  • L’agrobusiness laitier en France a un chiffre d’affaire qui dépasse 20 milliards d’euros.
  • L’industrie laitière représente 20% du chiffre d’affaire des industries agroalimentaires françaises et emploie directement 180 000 personnes.
  • Elle est le premier annonceur publicitaire.
  • La consommation moyenne annuelle équivalent lait d’un français est de 371kg.

Historique de la consommation de lait en France

Thierry Souccar choisit alors de traiter le sujet du point de vue historique, en prenant comme point de départ l’année 1955: Pierre-Mendès France prend alors la décision de distribuer gratuitement du lait dans toutes les écoles primaires de France. C’est la période de l’après guerre, pour consolider l’Europe il faut du lait et du sucre, les programmes alimentaires font l’éloge du lait.

Trois lobbies, que Thierry Souccar appelle les « envahisseurs » apparaissent:

  • la Fédération nationale des producteurs de lait
  • la Fédération nationale des coopératives laitières
  • la Fédération nationale des industries laitières

Ils se regrouperont sous le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL), qui a créé le CIDIL (Centre interprofessionnel de documentation et d’information laitières).

L’industrie finance aussi une grande part de l’Institut français pour la nutrition (IFN). Au fil des années apparaissent des affaires louches, par exemple le directeur du PNNS (plan national nutrition santé) en 1999 siégeait à l’institut Candia. Thierry Souccar souligne également la grande importance du National Dairy Concil des Etats-Unis.

« L’industrie laitière a réussi à persuader les médecins que le lait est un aliment essentiel. »

Démystification de nos besoins en calcium

Thierry Souccar liste d’abord toutes les campagnes menées ses dernières années pour avertir la population des dangers des carences en calcium. Il montre ensuite qu’il n’y a aucune corrélation scientifique prouvée par des études indépendantes entre l’apport en calcium et la bonne santé osseuse. Pire, une étude européenne CALEUR (Ration alimentaire en calcium et masse osseuse) commencée en 1995 voit ses résultats étouffés car elle ne constate aucune différence entre des sujets chez lesquels l’apports en calcium varient du simple au double. Pourtant, les apports conseillés en calcium ont bel en bien été augmentés.

L’ostéoporose peut être directement diagnostiquée en mesurant la densité osseuse, ce qui permet de réaliser de nombreuses études avec un critère plus simple que le risque de fracture. Cependant, aucune conclusion scientifique formelle n’a été trouvée en plus de vingt ans. On a par contre réussi à imposer l’idée qu’il est important de se constituer avant 20 ans un « capital osseux ». Pour l’auteur, l’équation est absurde:

« Risque faible de fractures = densité osseuse élevée à 50 ans = pic de masse osseuse maximum à 20 ans = plus de calcium donc plus de laitages = moins de fractures. CQFD »

L’auteur étaye tous ses arguments par des références précises à des études scientifiques, citant pas moins de 230 études à la fin de son livre.

Preuves que « les laitages ne préviennent pas de l’ostéoporose

Thierry Souccar met en regard deux citations:

         « Le calcium du lait prévient l’ostéoporose », INRA, 2008

« Croire que l’ostéoporose est due à un manque de calcium, c’est croire que les infections sont dues à un manque de pénicilline. » Pr Mark Hegsted, professeur émérite de nutrition, université de Harvard.

Il avance des arguments géographique: la consommation de lait est très inégale de par le monde, on constate moins de fractures en Asie et en Afrique noire, où l’on consomme moins de laitages. Les suédois détiennent eux à la fois le record de la consommation de laitage et celui du plus grand nombre de fractures du col du fémur. En 2002, l’OMS a identifié ce phénomène sous le nom de « paradoxe du calcium ».

« Je pourrais dans ce livre procéder à la longue énumération des études qui condamnent les laitages, en écartant les résultats qui leurs sont favorables. Ce ne serait pas très honnête. J’ai donc décidé de présenter les résultats des chercheurs qui ont essayé avant moi de dégager une tendance de l’ensemble de ces études. »

Sur neuf grandes « méta-analyses » menées, les résultats sont différents, car les approches sont différentes: certains donnent une note de fiabilité aux différentes études avant d’effectuer l’analyse statistique, d’autres sont directement financés par l’industrie laitière (Thierry Souccar donne toutes les sources des études). Au final, aucune conclusion ferme, mais en creusant un peu on peut conclure de l’absence de lien entre une augmentation des apports en calcium et la bonne santé osseuse.

« Inutile d’être médecin ou scientifique pour en tirer la seule conclusion qui s’impose: rien, absolument rien ne permet aujourd’hui d’affirmer qu’en consommant toute sa vie 3 à 4 laitages par jour on évitera une fracture du col du fémur. C’est pourtant sur ces résultats qu’est bâti le message de santé publique selon lequel il faut consommer 3 à 4 laitages par jour pour avoir des os solides. »

Explications à l’épidémie d’ostéoporose

Thierry Souccar s’appuie sur l’avis du professeur Mark Hegsted, créateur du professorat de nutrition de l’Ecole de santé publique de Harvard. Pour lui, nous consommons trop de calcium. Nous perdons alors notre capacité à utiliser efficacement le calcium que nous absorbons. Mais il avance aussi sa propre hypothèse: « la consommation tout au long de la vie durant de quantités massives de calcium laitier est une anomalie dans l’histoire de l’évolution. Cette afflux de calcium laitier épuise en quelques décennies la capacité de l’os à se renouveler. » Il décrit alors d’une façon scientifique le processus de remodelage osseux, qui serait déficient dans le cas de l’ostéoporose. Il montre en s’appuyant sur des études scientifiques que la consommation de produits laitiers conduit à l’absorption par l’organisme d’une substance appelée IGF-1 (Insulike growth factor-1) qui augmente fortement le remodelage osseux. Ceci provoque un « stress » bénéfique pendant les périodes de croissance, mais qui conduit à l’épuisement du processus de remodelage osseux chez l’adulte.

L’intolérance au lactose

75% des habitants de la Terre ne sont pas capables de digérer le lactose (source absente).

« Ne pas digérer le lait n’est ni une maladie, ni une anomalie qu’il faudrait corriger – contrairement à ce que voudrait vous faire croire la publicité – mais plutôt la règle chez les mammifères et dans l’espèce humaine. »

La capacité ou non de digérer le lactose est sous contrôle génétique. Les symptômes de l’intolérance au lactose sont diminués pour la consommation de yaourts par rapport au lait, mais peuvent rester gênants chez certains patients. Il faut alors des régimes alimentaires adaptés, bannir le lait ne suffit pas. Cette « épidémie silencieuse » touche au minimum 5 millions de français (là encore, Thierry Souccar ne donne pas de source claire)

Liens entre lait et cancer

Thierry Souccar s’appuie sur les travaux de T. Colin Campbell, professeur émérite de nutrition à l’université de Cornell. Celui-ci a réalisé des études sur les liens entre le développement de cancer chez les rats et leur consommation d’une protéine du lait, la caséine. Les résultats sont clairs, la caséine à dose élevée favorise le développement du cancer. Mais aucune étude n’a été effectuée chez l’homme. On sait par contre que l’absorption par l’organisme adulte de l’hormone IGF-1 présente dans le lait est associée à un plus grand risque de cancer.

« Les pays les plus gros consommateurs de laitages sont aussi les plus frappés par le cancer de la prostate: c’est ce que montrent toutes les études de consommation. »

Pour étayer son argumentation, Thierry Souccar retranscrit un entretien (réalisé par Patrick Holford) avec le professeur Jeff Holly, de l’université de Bristol. Interrogé sur le rôle de l’IGF, il répond que celui-ci est essentiel pour l’organisme, mais que tout est question de la juste proportion: présent en trop grande quantité, il favorise le risque de cancer, absent de l’organisme il entraîne l’apparition de maladies cardiovasculaires par exemple.

« Le lait est conçu pour combler un fossé entre la naissance et le développement par le bébé d’un système digestif mature, capable de tirer le maximum de bénéfices des nutriments de l’alimentation. Il est plein d’hormones complexes que l’on ne trouve dans aucun autre aliment. Cela n’a aucun sens de continuer à le boire à l’adolescence ou à l’âge adulte. » (Jeff Holly)

Le lait ferait-il maigrir?

Thierry Souccar fait allusion aux campagnes publicitaires des années 2000 présentant le lait et les laitages comme aidant à maigrir. Des études menées par le docteur Michel Zemel, de l’université du Tennesse à Knoxville, qui s’avère sponsorisées par l’industrie laitière, ont montré que l’augmentation de la consommation de calcium aidait à maigrir. A bien y regarder, ces « preuves » reposent sur des études menées au total sur une soixantaine de personnes, les résultats ont été gonflés par les industriels. Les résultats obtenus n’ont jamais été reproduits, malgré un grand nombre d’études attachées à ce sujet.

Liens entre la consommation de lait, le diabète, la sclérose en plaque, l’obésité et l’infarctus

Thierry Souccar mentionne l’étude TRIGR (Trial to reduce IDDM in the genetically at risk) dont les résultats sont attendus pour 2012. Elle confirmera ou infirmera le fait que le lait soit en tête de liste des facteurs contribuant au diabète de type 1. Ce sont les protéines du lait qui sont suspectées, contre lesquelles l’organisme produirait des anticorps liés au développement de la maladie.

La géographie de la sclérose en plaques est très ressemblante à celle du diabète de type 1 et de l’ostéoporose. L’auteur s’interroge donc sur le rôle de la consommation de lait dans le développement de la maladie. Quelques études vont dans le sens d’un lien probable, mais aucun résultat n’est suffisamment convaincant pour conclure.

Thierry Souccar avertit toutefois le lecteur contre les mauvaises interprétations des études d’observation: tant qu’une relation de cause à effet n’est pas mise en évidence, l’interprétation des résultats peut conduire à des conclusions erronées, du type « Depuis 50 ans, tant la température moyenne de la planète que la criminalité ont augmenté. Donc, l’augmentation de la température est à l’origine de la criminalité. »

Les résultats des études épidémiologiques ne convergent pas toutes vers les mêmes conclusions:

« l’agrobusiness laitier ne communique que sur les études qui vont dans son sens, et […] passe les autres sous silence. »

Conseils nutritionnels

« L’un des messages nutritionnels récurrents dans les pays développés c’est qu’il n’est pas possible de maintenir un statut adéquat en calcium si l’on ne consomme pas de laitages. A se demander comment l’espèce humaine qui a traversé plusieurs millions d’années sans une goutte de lait (sauf celui de la mère) tient encore debout. »

Apports conseillés en calcium en France: 1200 mg/jour chez l’adolescent, les femmes âgées de plus de 55 ans et les hommes âgés de plus de 65 ans, 900 mg/jour chez l’adulte. Mais ces chiffres dépendent beaucoup du mode de vie. Selon Thierry Souccar, ils ont été calculés sur la base d’un régime alimentaire riche en sel et en protéines, contradictoire avec le régime optimal prôné par le PNNS. Il avance même que moins on consomme de calcium, mieux celui-ci est fixé par l’organisme. Pour lui, la moitié des apports recommandés suffit largement, et corresponds aux apports en calcium dans les pays asiatiques où l’on consomme très peu de lait et de laitages. Le lait et les laitages sont loin d’être les seules sources de calcium: choux, épinards, sardines, eaux minérales sont également riches en calcium absorbable par l’organisme.

Thierry Souccar termine sur des considérations plus générales sur l’alimentation et propose sa façon de bien manger, en citant son livre La meilleure façon de manger.

Annexes

Dans les annexes rajoutées à la seconde édition du livre en 2008, il donne les réponses à des questions fréquemment posées par ses lecteurs.

« Dans l’alimentation oui, je pense que l’affaire du lait est un scandale, car il s’agit de pure propagande, de désinformation et d’intoxication du corps médical et des diététiciens. »

Il affirme avoir subit des pressions, ses interventions à la radio et à la télévision ont fréquemment été décommandées sans raison valable. Mais grâce à sa propre maison d’édition et à certains media courageux, il arrive à se faire entendre.

Il se livre au même jeu de questions-réponses avec l’industrie laitière. Il se réfugie souvent pour répondre derrière le grand nombre de références citées dans son livres (plus de 230), ainsi que derrière le fait qu’il n’a pas considéré uniquement les études allant dans son sens, mais les « méta-analyses » recoupant diverses études scientifiques et donnant des conclusions parfois contradictoires.

Il répond également que l’article L. 4113-13 du Code de la santé publique — « Les membres des professions médicales qui ont des liens […] avec des organismes de conseil intervenant sur les produits laitiers, sont tenus de faire connaître ces liens lorsqu’ils s’expriment lors d’une manifestation publique » — est rarement respecté.

Intolérances

On parle souvent d’intolérance au lactose. Cela décrit une incapacité ou une difficulté à digérer le lactose contenu dans le lait animal. Le lactose est le glucide naturellement présent dans le lait.[1] Celui-ci est transformé dans l’organisme par une enzyme appelée la lactase. En l’absence de la lactase (hyplactasie), le lactose n’est pas digéré dans l’intestin grêle, mais par la flore bactérienne du colon, ce qui a pour conséquence la production d’acides gras à chaîne courte et de différents gaz, ce qui conduit aux symptômes observés: flatulence, la diarrhée, le météorisme.

L’absence totale de lactase dans l’organisme est une maladie extrêmement rare qui ne concerne que 60 cas dans le monde [2]. Plutôt que d’intolérance au lactose on devrait parler de mal-absorption.

L’intolérance au lactose ne doit pas être confondue avec l’allergie aux protéines contenues dans le lait (caséine et albumine).

Origine de l’intolérance :

Le déficit en lactase peut être d’origine primaire (patrimoine génétique), ou acquise suite à des maladies affectant l’intestin, et dans ce cas réversible. La répartition géographique des personnes intolérantes au lactose n’est pas uniforme, comme le montre la carte ci-dessous.

Répartition de l'intolérance au lactose dans le monde
Intolérance au lactose dans le monde. Article de National Geographic France mai 2015 d’après Pascale GERBAULT et The Global Lactase Persistence Association Database, University College de Londres.

L’origine de l’intolérance au lactose est encore mal connu, mais cette non homogénéité géographique peut fournir une piste d’explication: il semblerait que la tolérance au lactose soit plus courante dans les régions avec un passé d’élevage de mammifères laitiers (l’Europe, la Russie et le Nord de l’Afrique sur la carte ci-dessous). Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette corrélation? Peut-être la capacité d’adaptation de l’organisme à son environnement, évoquée dans notre article sur la consommation du lait dans le monde.

Quelles sont les solutions?

Le nombre exact de personnes concernées par l’intolérance au lactose reste encore aujourd’hui sujet à discussion: certaines estimations [3] donnent jusqu’à 75% de la population française qui ne digère pas le lactose. Mais ces estimations comportent toujours une part de subjectivité: où commence l’intolérance? Aux moindres maux de ventre, qui pourraient être causé par d’autres facteurs?

Une idée consiste à dire que les intolérants au lactose devraient boire du lait afin de se désensibiliser et d’augmenter leur seuil de tolérance au lactose. C’est l’avis défendu par le CNIEL et par un article de Swartz J datant de 2000 [4]. Les industriels du secteurs voient eux un nouveau marché : ces dernières années se sont multipliés les laits « faciles à digérer », allégés en lactose, comme par exemple Matin Léger de Lactel ou Grandlait léger et digeste de Candia.

Gamme de lait allégé en lactose
Exemple de gamme de lait allégé en lactose chez Lactel

Les produits dérivés du lait sont-ils concernés?

Les produits dérivés du lait de vache comme les fromages et les yaourts posent en principe moins de problème d’intolérance au lactose car le lait a été fermenté et la quantité de lactose a nettement diminué. En effet la fermentation a permis une hydrolisation du lactose. Cependant les produits dérivés ne semblent pas pouvoir remplacer entièrement le lait car ils ne possèdent pas de vitamine D, essentielle à l’assimilation du calcium. C’est pourquoi on peut recommander de consommer « trois produits laitiers par jour » même aux personnes ne digérant pas le lactose.

SOURCES

[1] CNIEL.Les Produits Laitiers [site internet], mis en ligne en France, mise à jour régulière. Lien. Résumé.

[2] entretien avec Brigitte Coudray réalisé par notre équipe. Voir entretiens.

[3] SOUCCAR, Thierry. Lait, Mensonges et Propagande, Thierry Souccar Editions, 2008.

[4] KLOMPMAKER, TR, Lifetime high calcium intake increases osteoporotic fracture risk in old age, Medical Hypotheses, vol 65, no 3, pp 552-558, 2005. Résumé.

Entretiens

Résumé de l’entretien avec Brigitte Coudray, nutritionniste du CNIEL :

Le CNIEL a plusieurs rôles. Il va suivre l’état économique de la production, défendre les intérêts des producteurs, s’intéresser aux territoires, aux appellations d’origines contrôlées. Cela concerne également la communication, notamment via des publicités télévisuelles.

Le CNIEL finance la recherche mais ne possède pas de chercheurs. L’indépendance des chercheurs est assurée par un ensemble de contrats entre les équipes de recherches.

Dans une étude sur le lait, le lait est un aliment multifactoriel. En outre il faudrait effectuer des études placébos pour chaque aliment mais c’est bien trop compliqué à mettre en œuvre. Le lait est un aliment dans un contexte d’alimentation plus large.

Les trois produits laitiers proviennent d’une recommandation du programme nationale nutrition santé. Le PNNS utilise des experts mandatés par le ministère de la santé pour établir leurs recommandations.

L’étude suédoise établissant un lien entre l’ostéoporose et la consommation portait sur des femmes consommant bien plus de lait qu’un français moyen.

Les produits laitiers vont apporter à eux seuls entre 50 et 60% du calcium et les 30 à 40% qui restent sont apportés par tous les autres aliments dans un contexte d’alimentation variée. Le lait, de vache, de chèvre, contient environ 1200mg de calcium pour 100mL. Le lait de soja, standard n’en contient que 5 ou 7 mg. Les yaourts ou boissons au soja comme Soja Sun sont enrichis au calcium. Ce n’est pas du calcium naturel et il est moins bien assimilé.

Résumé de l’entretien avec Marie-France Montanera, infirmière et membre de l’Association Végétarienne de France (Lien vers l’entretien) :

Grâce à son expérience dans le milieu médical, Marie-France Montanera a pu prendre de la distance par rapport au problématiques liées au lait et nous apporte une nouvelle vision.

Tout d’abord, elle considère que l’Homme ne devrait, de base, pas consommer du lait. En effet, ce dernier est frugivore, et non pas omnivore, comme on a tendance à le croire. De ce fait, la consommation de viande, ou de tout autre produit animal, comme le lait, n’a pas de sens.
De plus, le lait de la vache, qui est initialement destiné au veau, n’est pas du tout adapté à l’être humain et les hormones de croissance qu’il contient favoriseraient l’obésité et le développement des cellules cancéreuses. Marie-France Montanera défend donc qu’il est possible d’adopter un régime sans produits laitiers en s’assurant d’avoir un apport suffisant en calcium via la consommation de produits végétaux adaptés.

Enfin, nous avons abordé ensemble la question de l’action des lobbies dans le milieu médical et dans l’industrie du lait. D’après elle, toutes les études commandées par l’industrie laitière sont faussées afin de tromper les gens et de les pousser à la consommation.

Cet entretien apporte donc un regard différent et très pertinent sur la problématique étudiée, et il est indispensable d’en prendre compte pour saisir totalement le point de vue des « anti-lait ».