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Une ère numérique ?

Le procès de Google : (im)partialité et (dés)intérêt

Nous allons sur cette page aborder le cas de Google, acteur le plus important de la numérisation des ouvrages à l'échelle mondiale.

Le 14 décembre 2004, les fondateurs de la société Google, Sergey Brin et Larry Page, annoncent leur projet de numérisation à grande échelle. L'objectif est fixé à pas moins de 15 millions d'ouvrages en l'espace de 6 ans.

Les fondateurs de Google : Sergey Brin et Larry Page

Le projet, initialement nommé Google Print (Initiative), a été rendu possible, entre autres, par la coopération des bibliothèques universitaires de Harvard, du Michigan et de Stanford, ainsi que les bibliothèques publiques New York Public Library et la Bodleian Library (Oxford). Il change de nom pour Google Book Search, puis Google Books.

Aujourd'hui, ce projet est au centre du processus de numérisation des ouvrages dans le monde. Un article du quotidien britannique The Guardian, publié en juin 2011, indiquait 13 millions d'ouvrages numérisés par la société, et des partenariats avec une quarantaine de grandes bibliothèques à travers le globe.

Comme l'a écrit le journaliste Robert McCrum dans l'article « Google's library digitalisation project: philanthropy or piracy ? » issu de The Guardian, on peut considérer ce projet de deux façons différentes.

La première, et celle communiquée par la société elle-même, est la vision d'une vaste initiative au service de la culture, pour toutes les populations acceptant un partenariat. Google chercherait ainsi à ouvrir un accès universel au savoir contenu dans les ouvrages, en accord avec son credo de fournir à chacun les connaissances qu'il recherche.

La seconde, adoptée par un nombre croissant de détracteurs, dépeint ce projet comme celui d’une entreprise de très grande envergure qui cherche à s'accaparer des richesses culturelles en contournant les lois de propriété intellectuelle. Robert McCrum lui-même, dans un article postérieur, le décrit par :

« Google Print Initiative, the biggest copyright heist in history »

Robert McCrum, journaliste de The Guardian

Bien entendu, il existe des points de vue intermédiaires sur la question. Aujourd'hui, les acteurs publics français, dans leur ensemble, disent vouloir profiter de l'opportunité que leur offre Google vis-à-vis de notre patrimoine culturel, mais ne dénient pas l'intérêt économique de la société dans un éventuel partenariat.

L'annonce du lancement du projet n'a causé que peu d'agitation, et la communauté littéraire (notamment américaine) a réagi tardivement face à cette initiative. Cependant, en France, Jean-Noël Jeanneney, alors président de la BNF, écrit le mois suivant dans le quotidien Le Monde un article intitulé « Quand Google défie l’Europe », dans lequel il dénonce le danger que représente Google Print.

Trois principaux arguments sont avancés pour s'opposer à ce projet de numérisation.

Le premier tient à la nature même de cet acteur : Google est une entreprise privée, et est par conséquent soumise aux lois du marché de contenus et à la nécessité de maximiser son chiffre d'affaires pour se développer. Ainsi, la numérisation d'ouvrages littéraires et scientifiques pourrait se traduire par une commercialisation du savoir. Beaucoup affirment que l'on ne peut pas concilier intérêt économique et travail pour la culture dans une même initiative.

Dans le cas de Google, cet aspect se traduit par la présence de publicité dans les pages de recherche Google Books, et qui permet de financer ce projet. La publicité apparaissant à l'utilisateur dépend du résultat de la recherche qu'il a effectué, afin qu'une entreprise ou un produit soit associé(e) à un ouvrage ou un thème littéraire. Or, une étude réalisée aux États-Unis par l'organisme Pew Internet & American Life Project a montré que 62% des internautes interrogés ne font aucune distinction entre les informations fournies à des fins publicitaires et les autres. C'est pourquoi les opposants au projet de Google, parmi lesquels M. Jeanneney, craignent une altération des informations culturelles reçues.

Le deuxième argument tient à la façon dont est organisée, non pas l'acquisition des données (cf. page précédente), mais leur distribution. En effet, l'acteur qui réalise la numérisation des ouvrages choisit comment fournir les informations ainsi obtenues aux utilisateurs.

On reproche à Google les résultats des recherches effectuées avec Google Books. Bien que ces résultats puissent être considérés comme impartiaux, n'étant que le fruit d'un algorithme de calcul. Cet algorithme repose en grande partie sur la fréquence de consultation. Ainsi, les données culturelles obtenues par l'utilisateur sont dépendantes d'une loi de consommation : on voit à nouveau se dessiner l'antagonisme entre aspect économique et aspect culturel du projet.

Enfin, le troisième argument tient à la quantité d'informations obtenues par Google grâce à ce projet. Lorsqu'un individu à la recherche d'informations utilise Google Books, la société peut acquérir et mémoriser ses choix de recherche. Tout comme dans le cas du moteur de recherche Google, beaucoup considèrent qu'amasser ces informations personnelles porte atteinte à leur vie privée.

Ces éléments, combinés aux problèmes plus généraux qui sont liés au processus de numérisation (cf. pages précédentes), expliquent le choix de la plupart des bibliothèques françaises d'ignorer l'offre de Google concernant la numérisation de leur contenu ; et ce, malgré le fait que les objectifs de Google - fournir un accès universel à l'information - semblent coïncider, dans ce cas, avec la fonction d'une bibliothèque.

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