Eyjafjallajökull - Fallait-il fermer l'espace aérien ?
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Les leçons à tirer de la crise

Rapport parlementaire

Après la crise à proprement parler une polémique s’est rapidement élevée sur la pertinence d’avoir fermé l’espace aérien (voir la chronologie). Avec quelques mois de recul par rapport à l’événement un rapport parlementaire publié le 8 juillet 2010 tente de récapituler les différents éléments autour de cette question. Il résume particulièrement bien les différents points de vue qui ont pu être exposés (voir les acteurs).

Dominique Bussereau, secrétaire d'état aux transports, signale que la crise a vraiment été sans précédent et évoque le coût qu’elle a représenté pour les différents acteurs. Il rappelle les trois enjeux majeurs qu’elle a soulevés : la sécurité aérienne avant tout, le sort des passages bloqués et l’impact économique. La fermeture a été décidée par prudence pour garantir la sécurité (voir parties critiques d'un avion). Cependant, assez rapidement une attitude pragmatique a été adoptée pour tenter de débloquer dans la mesure du possible le trafic. Enfin, il tient à signaler que la coordination européenne a été difficile.

Il conclut par quelques mots qui semblent encourageants quant à d’éventuelles leçons tirées de cette crise :

En cas de nouvelle éruption, la fermeture totale de l’espace aérien à laquelle nous avons dû procéder d’urgence deviendra exceptionnelle parce que l’on aura tiré des conséquences opérationnelles de la crise que nous venons de vivre.
(D. Bussereau)

Pour Patrick Gandil, président de la DGAC, la décision de fermer l’espace aérien était inéluctable pour des raisons de sécurité. Cependant, il conçoit les critiques qui ont pu être faites notamment au sujet des pertes économiques et c’est pour cela que quelques jours après il a été décidé d’envisager une réouverture sous conditions de sécurité minimales. Les vols tests n’ont montré aucune trace d’impact et il a donc été décider de rouvrir l’espace aérien français alors que d’autres états européens continuaient à fermer le leur.

Il ajoute que selon lui il y avait une incompatibilité entre les chiffres produits par les motoristes très précis et les météorologues beaucoup moins précis qui les rendait inexploitables. Dans ce cas la gestion au cas par cas doit donc s’imposer et en cela la méthode pragmatique reposant sur les vols tests est la seule viable.

En conclusion, pour lui la question reste toujours ouverte :

Cette fermeture était elle justifiée ? C’est une bonne question a posteriori mais je pense que personne d’autre dans le monde de l’aviation n’aurait pris une décision différente. Une carte produite par le centre météorologique indiquait la présence de cendres, les recommandations de ne pas voler dans les cendres étaient claires : il était normal, s’agissant d’une industrie à haut niveau de sécurité de commencer par arrêter les vols et de réfléchir ensuite.
(P Gandil)

Pour Fabio Gamba, secrétaire général adjoint de l’Airlines European Association, le modèle de dispersion (voir le travail des scientifiques) utilisé malgré les tests réalisés pour recouper les résultats ne constituait pas une base suffisamment solide pour justifier la fermeture de la quasi-totalité de l’espace aérien européen.

Dates de fermeture des espaces aériens.

Selon lui la paralysie des vols aurait pu être évitée sans mettre en péril la sécurité. Il déplore le manque de dialogue et le fait que des zones aient été reconnues contaminées à tort seulement après que les compagnies ont exercé de nombreuses pressions.

Son argument massue est le suivant :

Il est intéressant de constater que les éruptions volcaniques qui se produisent partout dans le monde - y compris dans le sud de l'Europe - n’entrainent pas systématiquement la fermeture de l’espace aérien.
(F Gamba)

Jocelyn Smykowsky, président du syndicat national des pilotes de ligne insiste sur le fait que la capacité à arrêter les vols ne doit pas reposer sur un facteur chance lié à un phénomène mal maitrisé, d’autant plus lorsque les acteurs ne sont pas d’accord sur la pertinence des modèles exposés. Il regrette que les pilotes aient été exclus de tout débat alors qu’ils sont les premiers responsables de la sécurité des vols et que ce sont eux qui auraient eu à gérer tout incident éventuel.

Il rappelle notamment quelques incohérences dans la gestion de la crise :

Les informations météorologiques et géophysiques ont cessé d’un coup d’être le référentiel et on a envoyé des pilotes volontaires le premier jour puis ignorants de la situation effectuer des vols d’essai pour voir s’il y aurait de la casse
(J Smykowsky)

Louis Jobard, président du SNPL Air France signale que certains pilotes d’essai se sont émus qu’on les fasse voler dans des zones rouges et que les inspections réalisées à l’arrivée soient très légères. Il est d’accord avec le fait qu’il est problématique que des centaines de milliers de passagers soient bloqués mais pour lui la sécurité des vols doit primer.

Il tient à rappeler toutefois une chose essentielle :

Il n’est pas vrai de dire qu’il n’y a jamais eu d’accident à cause d’un nuage volcanique.
(L Jobard)

Enfin Claude Birraux, député et Président de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Technologiques s’interroge sur une éventuelle dérive dans l’application du principe de précaution. (Pour en savoir plus sur le principe de précaution et son application).

Bilan sur la gestion de la crise

Le monde globalisé dans lequel nous vivons affecte aussi l’ampleur des catastrophes auxquelles nous serons confrontés à l’avenir. Celles-ci exigeront donc une réponse urgente et coordonnée d’autant plus que les institutions internationales spécialisées n’existent pas toujours. On peut donc si demander en toute logique si la crise du volcan islandais nous a permis d’aboutir à de nouveaux modèles de gestion de crise.

Dès le début de la crise, une polémique s’est élevée, alimentée par les situations dans lesquelles se sont retrouvés de nombreux passagers, non pas sur la prise en charge de ceux-ci mais sur la rigueur des mesures de sûreté mises en place. N’aurait-on pas pu isoler des zones navigables ou reprendre les vols plus rapidement ?

Les divers acteurs de la crise (volcanologues, météorologues, juristes, politiques) rappellent les contraintes de l’action et les logiques de la prise de décision étant données les nombreuses disciplines impliquées dans ce problème. Une telle diversité ne s’était jamais retrouvée auparavant et la crise du volcan islandais fait un peu "cas d’école" en la matière, d’autant plus que les intérêts économiques mis en jeux étaient importants et les connaissances scientifiques sur le sujet assez incertaines.

Le volcanologue David Pierri (CalTech et NASA) sonne l’alarme sur le besoin urgent d’avoir un programme indépendant de test de moteurs avec revue par des pairs et publications des résultats, mettant ainsi en exergue le fait qu’aucune recherche scientifique digne de ce nom n’a lieu actuellement dans ce domaine.

A ce sujet, rappelons que le cinquième "International Workshop on Volcanic Ash" qui se tenait quelques semaines auparavant sous l’égide de l’Organisation Internationale de l’Aviation Civile et de l’Organisation Météorologique Mondiale précisait dans son rapport final (consulter: Fifth International Workshop on Volcanic Ash Report) :

Il n’y a toujours pas de définition d’une concentration sans danger pour les différents types d’appareils, de turbines et de moteurs. Pour être en mesure de donner une autorisation de décoller fiable et justifiable une fois que les cendres se sont suffisamment dispersées pour ne plus être détectables, il revient aux industriels de l’aéronautique et aux autorités de tutelle de définir des seuils précis de concentration.

Doug Johnson du British Met Office rappelle les limites du modèle de dispersion utilisé NAME. Complexe, ce modèle intègre les variations de masse et de volume des particules, les vents, la gravité, et jusqu’au mouvement aléatoire issu des turbulences atmosphériques. NAME est ainsi capable de prédire avec précision l’extension horizontale d’un nuage de cendres, et de déterminer les pics de concentration en son sein. Mais la structure verticale du nuage est plus difficile à évaluer. Le lancement d’avions sans passagers, chargés de collecter des données lors d’une crise, pourrait aussi se révéler décisif, en permettant de vérifier en temps réel les prédictions des modèles mathématiques (consulter les vols d'essais et la technique). Dans cette optique une meilleure coordination entre météorologues et volcanologues ne pourrait être que bénéfique.

Le directeur général de l’IATA, Giovanni Bisignani se fait pour sa part le porte-parole des intérêts des compagnies aériennes et porte un regard assez critique sur la gestion de la crise :

L’Europe a utilisé une approche mathématique et théorique alors que ce n’était pas de cela qu’on avait besoin. Il fallait selon lui des vols-tests pour aller voir ce qui se passait dans l’atmosphère et prendre les bonnes décisions. Au delà de ses fondements économiques évidents, ce point de vue rejoint néanmoins celui des scientifiques sur la nécessité de compléter les simulations par une approche plus expérimentale.

Alain Jeunemaître de l’Ecole Polytechnique relève pour sa part le modèle de "tolérance zéro" qui prévaut actuellement, qu’il considère comme "conservateur" dans la mesure où lorsqu’aucune information fiable n’est disponible la règle est simple : personne ne décolle.

Pour Morten Broberg de l’Université de Copenhague, cette règle de tolérance zéro est adaptée à des situations au cas par cas mais elle n’a pas été conçue pour gérer des crises systémiques telles que celle qui s’est produite. Cependant, pour passer à des décisions graduées, des connaissances affinées sur le plan technique et scientifique sont nécessaires. Ceci permettrait alors d’éviter le "tout ou rien" et de déterminer un niveau de risque acceptable. Vraisemblablement, les connaissances à ce sujet n’étaient pas suffisamment étoffées à cette époque (voir évaluer les risques pour les structures).

Francisco Lopez-Jurado de l’Université de Navarre, pointe pour sa part la nécessité d’une plus grande coordination à l’échelle européenne afin d’avoir une meilleure coordination des décisions prises. En effet, en avril 2010 toutes les décisions ont été prises à des échelles nationales ce qui n’a pas manqué de générer des paradoxes avec des fermetures d’espaces incohérentes. Mais une telle coordination nécessite une confiance certaine entre les différents partenaires.

Adam Burgess de l’University of Kent souligne pour sa part que dans le cadre de cette crise, il n’y a pas eu d’amplification particulière du risque par les médias comme cela peut se produire habituellement. En contrepartie, il y a eu de nombreuses pressions sur les régulateurs pour la reprise des vols.

En conclusion, il ressort du séminaire que la réponse la plus adaptée serait une institution virtuelle, capable de faire remonter très vite des informations et de les analyser, disposant des éléments techniques nécessaires pour prendre des décisions dont la nature politique serait assumée. L’UE s’est engagée dans cette direction, avec la création d’une cellule de crise multi-parties- prenantes, bien identifiées et capable de se mobiliser rapidement. Cette réactivité ne sera réellement effective qu’en renforçant le dialogue entre acteurs en amont des crises. La transparence et la lisibilité des circuits de décision sont nécessaires, mais ne suffisent pas. Pour que la délibération soit efficace en temps de crise, il faut la faire vivre en amont, en développant une expérience en commun et une connaissance mutuelle.

La position des régulateurs est à cet égard délicate, et participe de ce que Jonathan Wiener (Duke Law School) appelle les "tragedies of the uncommons", en référence à l’article classique de Garrett Hardin ("The Tragedy of Commons", 1968) : le soutien public aux mesures de sûreté contre des événements très rares est généralement faible, ce qui affaiblit la position de ceux chargés de garantir cette sûreté. Comme le pointe Nick Bernard (Queen Mary University), d’autres acteurs comme les passagers sont visibles médiatiquement mais n’ont en réalité guère voix au chapitre, et, si l’on s’occupe de leur sécurité, en revanche certains de leurs intérêts sont mal représentés.

Dernière mise à jour le 15/05/2011 par Groupe.

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