Statut juridique actuel et à venir

Le statut actuel des œuvres orphelines est aujourd’hui à considérer selon deux plans. Il y a d’une part un statut défini par la directive européenne et d’autre part la législation française qui propose sa propre vision de la question. Le statut défini par la loi française est évoqué dans la page : le cas du livre orphelin / disponible.

Le statut défini dans la directive européenne du 25 Octobre 2012.

La directive européenne propose un régime d’exception juridique au droit d’auteur pour les œuvres orphelines. Nous précisons que cette directive s’applique uniquement aux œuvres orphelines, et se distingue de la loi française : le champ d’application n’est pas le même et cette directive n’a pas directement d’effet en France (sur les livres) puisque la loi du 1er mars 2012 est prioritaire. Mais cette directive montre déjà certaines divergences de point de vue entre l’Europe et la France. Les œuvres orphelines sont définies comme suit :

 « Une œuvre ou un phonogramme sont considérés comme des œuvres orphelines si aucun des titulaires de droits sur cette œuvre ou ce phonogramme n’a été identifié ou, même si l’un ou plusieurs d’entre eux a été identifié, aucun d’entre eux n’a pu être localisé bien qu’une recherche diligente des titulaires de droits ait été effectuée et enregistrée conformément à l’article 3. » Article 2, paragraphe 1 de la directive européenne.

La définition n’est pas la même que celle proposée par la loi française. Nous commenterons ces différences plus bas.

La directive européenne impose donc une recherche diligente et de « bonne foi » des titulaires à la suite de laquelle, en cas d’échec, l’œuvre est désignée comme orpheline. Cette recherche doit s’effectuer selon certains critères présents en annexe de la directive. Notamment, il est dit qu’il faut consulter :

  • le dépôt légal,
  • les catalogues des bibliothèques,
  • les associations d’éditeurs et d’auteurs,
  • les bases de données existants : WATCH (Writers, Artists And Thier Copyright Holders), ISBN (International Standard Book Number) et d’autres bases existantes,
  • les bases de données de société de gestion collective,
  • des bases de données regroupant des sources et registres multiples comme VIAF (Virtual International Authority Files) et ARROW (Accessible Registries of Rights Informations and Orphan Works).

Une fois le statut d’œuvres orphelines décrétées l’œuvre peut être utilisée, exploitée et reproduite par les bibliothèques, centre d’archives, musées nationaux, établissements d’enseignement, institutions dépositaires d’œuvres cinématographiques etc. comme stipulé au paragraphe premier de l’article premier de la directive.

 Un statut incomplet et contesté

 Ce statut européen a soulevé de vives critiques. En effet, avant que ne paraisse la directive des rapports européens évoqués déjà ce type de régime pour les œuvres orphelines. Les points remis en cause sont les suivants :

  1. La définition de l’oeuvre orpheline est très vaste : contrairement à la loi française, elle ne se limite pas aux oeuvres « protégées et divulguées ».
  2. La notion de recherche diligente de bonne foi est une notion relativement vague. Qu’est-ce réellement qu’une recherche diligente ?

 1. La définition de l’oeuvre orpheline :

L’un des points central est la notion de « protégée et divulguée » qui est ajoutée dans la définition de la loi française. Par oeuvre divulguée, on entend les oeuvres qui ont déjà été publiées une fois, c’est-à-dire rendu public sous n’importe quel format. Florence-Marie Piriou explique :

« Parfois les auteurs ne veulent pas que certains de leurs textes soient publiés mais que ceux-ci fassent partie de leurs archives. Ils ne le contrôlent pas, sauf s’ils l’ont précisé dans leur prescription testamentaire. On protège le droit moral des auteurs en ne visant que les « œuvres divulguées ». Sinon on risque de publier des documents inédits, des archives : des photos de familles, des manuscrits, des lettres, des correspondances… La publication peut devenir une atteinte à la vie privée rapidement. » F-M Piriou, entretien.

L’ajout du terme divulguée est donc une protection du droit moral des auteurs évitant une diffusion de documents dits « inédits » qui pourraient porter préjudice à l’auteur ou à celle de sa famille, de ses proches.

Si une oeuvre manuscrite est retrouvée et qu’on ne parvient pas à en identifier l’ayant-droit, si ce manuscrit n’a jamais été publiée, cette oeuvre n’entre pas dans le contexte de la loi. Pour la publier ou l’exploiter, il faudrait recourir à une requête devant un juge pour obtenir une autorisation particulière.

La loi française choisi donc des termes plus restrictifs. Il est dit également dans la directive que celle-ci ne s’applique qu’aux oeuvres « publiées » mais la notion d’ »oeuvre divulguée » n’apparaît pas explicitement dans la définition de l’oeuvre orpheline. La législation française se veut par certains aspects plus protectrices du droit d’auteur que la directive européenne.

2. Recherche « diligente » ou recherche « avérée et sérieuse » ?

Dans les deux textes, on évoque l’idée d’une recherche des ayants-droits. L’Union Européenne choisira le terme « diligente », la France celui de « avérée et sérieuse ». En réalité, dans les deux cas, la recherche des ayants-droits est approximative : il n’existe pas de réelle règle. Bernard Lang nous évoque cette difficulté :

« Quand vous recherchez quelque chose, si vous le trouvez, vous avez la preuve qu’il existe, sinon vous n’avez pas non plus de preuve qu’il n’aurait pas pu être trouvé. Les recherches sérieuses et avérées que souhaitaient faire ces gens-là sont de la même nature. Elles peuvent prendre un temps arbitrairement long. On peut prouver qu’un auteur est accessible en trouvant l’accès, on ne peut pas prouver qu’il est inaccessible. Prouver qu’une œuvre est orpheline est donc a priori quelque chose qui n’a pas de sens. » Bernard Lang, entretien.

En effet, l’effort de recherche qui doit être fourni n’est jamais quantifié dans les lois. Par conséquent, le terme de recherche « avérée et sérieuse » se vide de son sens et Florence-Marie Piriou reconnaît également que finalement cette appréciation ne peut être laissé qu’à un juge, au cas par cas.

Lors de notre entretien à la BNF, la Directrice adjointe du département de l’information bibliographique et numérique, Françoise Bourdon nous a expliqué que cette notion de recherche dépendait grandement de la qualité des registres et des bases de données grâce auxquels on pourrait identifier les ayants-droits.

La mise en place de base de données complètes et pertinentes n’est pas une tâche facile pour plusieurs raisons :

  • Les systèmes d’enregistrement, les bases de données ne sont pas uniformes entre les différents pays de l’Union Européenne.
  • Il ne suffit pas d’enregistrer une œuvre selon son édition d’origine mais il faut effectuer un travail de centralisation : l’œuvre doit être enregistrée en tant que telle, puis séparer les différentes éditions qui ont été effectuées, pour définir clairement qui est l’ayant-droit actuel (transferts, cessions de droits au cours du temps).
  • Des difficultés inhérentes aux règles traditionnelles de la bibliométries. Par exemple, lors d’un dépôt légal pour une œuvre collective, l’œuvre n’était enregistrée qu’avec trois de ces auteurs, si l’œuvre était le fait de davantage de créateurs, on utilisait la mention « … ». Forcément, il est difficile alors de retrouver l’intégralité des ayants-droits des œuvres.

D’après Mme Bourdon, il est donc difficile de retracer l’histoire d’une œuvre du dernier siècle grâce aux anciens documents de registres qui sont souvent non exhaustifs.

Maintenant que cette loi est adoptée, il faut envisager ce nouveau statut des œuvres orphelines d’un point de vue pragmatique : l’État peut-il réellement mettre à disposition ces œuvres ?