Législation et intégration européennes

La taxe poids lourds française doit avant tout, selon certains acteurs, tenir compte des directives européennes Eurovignette et Interopérabilité qui fournissent un cadre pour l’instauration d’une taxation sur les poids lourds.

Alors que les initiateurs du projet affirment qu’ils ont appliqué strictement les directives européennes et que, plus que tout autre pays européen, la France a voulu s’intégrer dans le cadre communautaire, d’autres acteurs mettent en avant les défauts de l’écotaxe française et le problème général de l’intégration économique et fiscale dans l’Union Européenne.

 

Les disparités nationales dans l’application des directives

Le fait que certains pays n’aient pas encore appliqué les directives amène une remise en question dans la presse de la nécessité de les appliquer au niveau national.

Selon un article du Figaro, le problème de l’application des directives européennes dans les différents pays de l’Union Européenne est loin d’être résolu. De nombreux pays n’ont pas encore instauré de taxe kilométrique sur les poids lourds :

Votée en juin 2011, une révision de la directive Eurovignette donnait deux ans aux États membres pour mettre en place une taxe kilométrique sur le fret routier. Aujourd’hui, seuls six pays de l’UE ont appliqué cette mesure.

Le délai de deux ans, donné à titre indicatif pour instaurer la « surtaxe kilométrique poids lourds » votée par les députés européens, n’a pas non plus été accepté par tous les pays, comme l’illustre la carte ci-dessous :

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La mise en place de l’écotaxe française s’inscrit dès lors dans ce mouvement controversé de transcription législative des directives européennes.
Pour en savoir plus sur les autres taxes européennes sur les poids lourds, rendez-vous ici.

 

La France doit-elle suivre les directives ?

Alors que le ministère de l’Environnement met en valeur l’application des directives et le rôle de l’écotaxe dans l’intégration européenne, d’autres acteurs politiques considèrent que l’écotaxe n’est pas et ne doit pas être le résultat de la législation européenne.

Ainsi, selon un article publié sur le site de France Inter, la France n’est en aucun cas obligée de se plier aux directives européennes et l’écotaxe ne serait pas une taxe dont elles pourraient imposer la mise en place :

Cette écotaxe s’impose-t-elle vraiment à tous les pays européens comme le laisse entendre Jean-Vincent Placé ? C’est faux. Aucune directive européenne n’oblige à mettre en place une écotaxe.

Selon le député UMP Dominique Riquet, c’est l’application d’une vignette et non d’une taxe kilométrique qui est recommandée par la directive Eurovignette. La France n’a donc aucune obligation, même dans une perspective européenne, de mettre en place une taxe kilométrique :

Vous noterez que ce n’est pas l’euro-écotaxe, mais l’écotaxe. Il y a toujours une confusion entre eurovignette et écotaxe, cette dernière étant une taxe kilométrique, alors que l’eurovignette suit le principe de la vignette que vous achetez et appliquez à l’année et qui donne une autorisation à circuler. Pour l’instant, il n’y a pas de directive européenne ou de règlement qui oblige à appliquer une écotaxe dans tous les pays. C’est laissé à la subsidiarité. Effectivement, il y a des débats sur le sujet dans les institutions européennes, mais il n’y a pas de directive adoptée.

L’article conclut en montrant que le projet d’écotaxe est avant tout une décision du Grenelle de l’Environnement portée par Jean-Louis Borloo. Ce n’est donc ni l’Interopérabilité, ni l’Eurovignette qui doivent guider le projet français :

Mais dans ce jeu de la patate chaude, une chose est sûre : l’Europe n’a rien à voir.

Au contraire, un membre d’association environnemental met en avant le fait que la France a un problème général d’analyse économique du secteur des transports, comparé aux autres pays européens. L’écotaxe aurait dû être instaurée comme elle l’a été ailleurs car les taxes dans les autres pays ont eu des effets bénéfiques. C’est en ignorant ce qui a été fait ailleurs que la France a rejeté à tort l’écotaxe :

- C’est donc aussi un problème d’uniformisation européenne ? (…)

- Le deuxième point qu’il ne faut pas oublier – vous me mentionnez les autres pays – c’est que quand on regarde tous les pays qui ont mis en place une redevance, l’Allemagne, la Suisse etc, le transport routier se porte à merveille. Il y a quand même un problème de fond sur l’analyse économique, si l’on regarde l’analyse économique du transport routier : il se porte très bien dans ces pays-là et il se porte très mal en France. Et en France il n’y a pas eu d’écotaxe. On accuse l’écotaxe de ruiner le transport routier alors qu’elle n’a pas été mise en place.

Entretien avec Michel Dubromel, FNE

 

Appliquer les directives selon le principe de l’utilisateur-payeur ?

Selon la Direction générale des infrastructures, des transport et de la mer, l’écotaxe, étant soumise aux contraintes communautaires, respecterait le principe de l’utilisateur-payeur. La mise en application de ce principe et son lien direct avec l’intégration européenne justifieraient ainsi les critères de taxation selon les catégories de véhicules. C’est notamment l’avis de l’adjoint au chef à la mission de tarification :

La distinction entre catégories de véhicules, c’est l’application de l’encadrement communautaire, qui impose de définir des classes pour essayer de faire en sorte qu’on fasse payer au prorata réel des coûts d’usage. Donc là on a fait un certain nombre d’études avec les services techniques, le CETRA à l’époque, pour définir les catégories qui seraient à la fois pertinentes au niveau des coûts et quand même simples à identifier.

Entretien avec Olivier Quoy, Mission tarification

On retrouve également la mention de ce principe dans les rapports officiels. En effet, selon un rapport à l’Assemblée National de mai 2014 :

La création de la «taxe poids lourds» en France s’inscrit pleinement dans la politique européenne des transports et de lutte contre le changement climatique, dont un des objectifs est de mieux prendre en compte le coût réel des transports en mettant en œuvre un principe «utilisateur-payeur».

« Mission d’information sur l’écotaxe poids lourds » (p.17)

 

Renforcer les critères écologiques de l’écotaxe ?

On retrouve la question de la hiérarchie des principes guidant la taxe au niveau de l’intégration européenne : si certains acteurs politiques valorisent la dimension utilisateur-payeur des directives européennes, d’autres affirment que ces directives et les lois françaises contiennent également une dimension écologique et qu’il faut davantage la mettre en valeur.

Le même rapport remet en question le fait que ce principe doive être le seul qui guide la taxe poids lourds. Son objet est précisément de souligner que l’écotaxe doive également respecter une contrainte écologique. Après avoir présenté la nécessité de suivre les directives Eurovignette et Interopérabilité, le rapport insiste sur le cadre spécifiquement français imposé par la loi “Grenelle I” d’octobre 2007, dont le rapport utilise un extrait pour justifier son argumentation :

Engagement n° 45: Création d’une éco-redevance kilométrique pour les poids lourds sur le réseau routier non concédé. Objectif : mise en place effective en 2010. Modes de compensation via divers mécanismes et reprise en pied de facture. Affectation de cette ressource aux infrastructures ferroviaires (AFITF). Demande de révision de la directive Eurovignette en vue d’une meilleure intégration des coûts environnementaux. Le montant de la taxe, qui doit pouvoir être répercuté, serait fonction des émissions spécifiques du véhicule, de la charge utile maximale et du nombre de kilomètres parcourus.

« Mission d’information sur l’écotaxe poids lourds » (p.34)

A partir de cet extrait de la loi Grenelle, le même rapport met alors en avant le fait que l’écotaxe ne respecte pas le principe fixé et qu’elle n’a pas, telle qu’elle est, d’objectif véritablement écologique :

Votre Rapporteur note, dans l’engagement n° 45 comme dans la loi du 3 août 2009, que l’objectif expressément attribué à l’éco-redevance/écotaxe est le financement des infrastructures de transport, via l’affectation de cette ressource à l’Agence de financement des infrastructures de transport (AFITF). L’argument de l’éventuel effet positif en termes de report de trafics vers des modes de transport non routiers (report modal) n’est pas présent à ce stade, bien que le Grenelle de l’environnement ait fixé des objectifs très ambitieux d’évolution de la part modale du fret non routier.

« Mission d’information sur l’écotaxe poids lourds » (p.35)

En conséquence, une des propositions est précisément d’ « écologiser » la taxe poids lourds afin de respecter d’avantage un principe environnemental, en accord avec les lois françaises. Il met en avant le fait que la grille de taxation respecte déjà le critères de normes Euro, mais insiste aussi sur le fait qu’il est possible de modifier le rapport de coût entre poids du véhicules, nombre d’essieux et catégorie Euro. Le rapport invite ainsi les membres du projet à accroître l’importance du critère écologique dans le choix des véhicules taxés :

Accroitre les modulations actuelles des taux kilométriques pourrait inciter les transporteurs à investir dans de nouveaux véhicules, aux normes d’émissions Euro plus récentes, et de ce fait, soumis à un taux d’éco-redevance plus faible.

« Mission d’information sur l’écotaxe poids lourds » (p.79)

 

Le problème des disparités  économiques

Certains acteurs politiques et entreprises privées rappellent également le problème de compétitivité dans le secteur des transports du fait de la libre-circulation européenne des marchandises. Même s’ils ne remettent pas en cause l’intégration européenne, ils déplorent le fait qu’aucune taxe sur les transports ne puisse permettre au transport français de regagner en compétitivité.

Un membre de France Nature Environnement affirme par exemple qu’en imposant un cadre économique similaire à l’ensemble des pays de l’Union Européenne, les directives désavantagent la France à cause des différences nationales entre les régimes sociaux :

Par rapport aux autres pays qui ont mis en place cette taxe, est-ce que la France ne perdrait pas un avantage compétitif en faisant augmenter les coûts des transports français, sachant qu’ils sont parmi les moins chers en Europe ? Le problème du transport en général au niveau européen, c’est que le transport a été libéralisé, c’est-à-dire que la marché est complètement ouvert, sans qu’il n’y ait eu uniformisation des règles sociales. Les transporteurs des pays de l’Est ont des salaires qui sont dix fois moins élevés que les salaires des Français.

Entretien avec Michel Dubromel, FNE

Le projet de taxation française, s’inscrivant sans aucun doute dans une intégration européenne, est sujet à débat en ce qui concerne la manière d’appliquer les directives. On retrouve cette application dans le choix des véhicules qui seront taxés, une sélection qui a été fortement remise en question. Nous vous proposons ci-dessous d’accéder à l’ensemble de ces débats.

N.B: Tous les schémas de ce site sont interactifs.

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