CNW Marketing Research

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En Mars 2006, le cabinet marketing CNW Marketing Research publie une étude comparée de l’évaluation du coût énergétique de différents véhicules, pratiquée sur un très grand nombre de modèles. Des études de ce genre existaient déjà auparavant et se basaient sur la comparaison entre les véhicules de la quantité de grammes de CO2 émis pour chaque kilomètre parcouru. L’originalité de ce rapport réside dans le fait qu’il ne se base pas seulement sur ce dernier critère mais prétend évaluer l’impact écologique d’un véhicule au cours de son entière existence, depuis sa conception et sa fabrication jusqu’à sa destruction – d’où le titre Dust to Dust, de la poussière à la poussière. Il a été décidé que pour rassembler tous ces critères en ensembles comparables les uns avec les autres, la comparaison s’effectuerait en coût sur la société par mile parcouru. Ce rapport est disponible à cette adresse.

Ce rapport a déclenché la polémique car il déclare que les voitures hybrides ont un plus grand impact sur l’environnement que nombre de véhicules – en particulier les énormes 4x4 tout-terrains Hummer H1, H2 et H3 pourtant réputés pour être ce qu’il y a de pire en termes de protection de l’environnement. Selon cette étude, la Honda Civic Hybrid coûte 2,42$/mile alors que le Hummer H3 ne coûte que 1,95$/mile pour une moyenne de 2,28$/mile. Comment atteint-on ce chiffre alors que le coût en carburant des véhicules hybrides est incontestablement inférieur ? Intéressons-nous aux critères retenus et à la méthode pratiquée par le CNW.

L’idée, nous l’avons vu, est d’évaluer le coût de chaque opération effectuée sur la voiture entre sa conception et sa destruction. CNW a donc réfléchi à toutes les opérations pouvant consommer de l’énergie, et a retenu les 4000 plus pertinentes. Ces opérations ont été rassemblées en une douzaine de catégories. Pendant quatre ans, CNW a ensuite rassemblé et synthétisé les informations concernant les coûts de chaque opération pour un éventail de plus de 300 modèles de véhicules différents. Ce travail a été effectué dans la plus grande discrétion, en particulier vis-à-vis des constructeurs automobiles, pour des raisons d’impartialité et d’indépendance.

Les catégories sur lesquelles ont été évalués des coûts sont :

Pendant le cycle de vie de la voiture :

-          La consommation de carburant

-          La maintenance

-          Les réparations après accident

De la conception à la vente :

-          La R&D

-          La fabrication

-          Les services administratifs pour le constructeur

-          La livraison au revendeur

-          Les dépenses liées au véhicule sur le point de vente

La fin de vie du véhicule :

-          Le recyclage des pièces

-          La destruction des pièces non recyclables

-          La reconversion des pièces réutilisables

 

Excepté dans la catégorie « consommation de carburant » - où elles sont trois fois plus économiques en moyenne que les voitures à essence – et dans la destruction des pièces non recyclables, les voitures hybrides sont perdantes partout, en particulier dans les catégories : dépenses liées au véhicule sur le point de vente (qui rassemble des critères tels que : espace d’exposition, espace de stockage, chauffage et éclairage du magasin, équipement de nettoyage et de préparation, etc.), fabrication, maintenance et réparation où le coût pour les véhicules hybrides approche le double de la moyenne des véhicules étudiés. Le coût le plus gros est – sans surprise –  celui de la R&D, qui pour les véhicules hybrides atteint le triple de celui du véhicule moyen. Il faut à cela ajouter le fait que, comme la technologie hybride est jeune et en évolution, les technologies actuelles seront vite dépassées et les acheteurs de voitures hybrides changent plus vite de voiture. Au contraire, excepté dans la catégorie « consommation de carburant », le Hummer H3 présente des coûts pratiquement partout inférieurs à ceux du véhicule moyen.

Le rapport ne recommande cependant pas de ne pas acheter un véhicule hybride. Son objectif principal est de fixer le prix en énergie que coûte à la société l’utilisation d’un véhicule.

La polémique déclenchée par le rapport

Probablement à cause des conclusions contre-intuitives qu’ils proposent, les résultats du rapport Dust to Dust ont dès la publication été largement diffusés dans les médias, via les journaux, la télévision, internet, ce qui a pu conduire à une mauvaise interprétation auprès du public, qui l’a simplifié par la formule : « La Prius pollue plus que les Hummers ». En réalité, le CNW évalue le coût en énergie d’un véhicule exprimé en dollars, ce qui n’est pas exactement son impact sur l’environnement : dans une politique de réduction des gaz à effets de serre, il est plus profitable de dépenser d’avantage d’énergie que d’émettre un surplus de CO2.

En outre, de nombreuses critiques ont été formulées contre la validité des conclusions du rapport.

La critique qui a le plus porté atteinte à la crédibilité du CNW a été formulée par le Dr. Peter H. Gleick, du Pacific Institute, groupe de réflexion basé en Californie, sous la forme d’un rapport contestant la méthode soi-disant scientifique du CNW. Ce rapport, publié en mai 2007, est consultable à cette adresse. La première critique du Dr. Gleick concerne la déclaration du rapport Dust to Dust de ne pas avoir été montré à une organisation extérieure avant sa publication, par souci d’impartialité. Ceci constitue sa plus grosse faute : « Toutes les études scientifiques et analytiques ont un bénéfice à tirer d’un point de vue extérieur, de l’examen par quelqu’un d’indépendant, et la vraie science a besoin d’un tel examen ».

Le rapport échoue également à donner des informations précises sur la méthodologie, sur les données et les sources, ainsi que les hypothèses qui aboutissent aux conclusions. Dust to Dust est en effet très vague sur ces points et n’en donne que les idées générales mais pas les détails, les 450 pages – qui lui donnent l’air d’être extrêmement complet – étant remplies de tableaux de chiffres présentant le coût de chaque véhicule dans chaque catégorie. Selon le Dr. Peter Gleick, ceci constitue « la violation d’une règle fondamentale de la science, qui nécessite l’accès aux détails de l’élaboration de toute analyse. […] Le rapport ne fournit aucune des données sur lesquelles sont basées les conclusions, ni le détail des analyses et des méthodes qui permettrait de vérifier ses surprenantes déclarations».

Le Dr Peter Gleick relève un certain nombre d’erreurs du rapport Dust to Dust. Par exemple des hypothèses fausses sur la durée de vie des véhicules (35 ans pour le Hummer, 11 ans pour la Prius), ou encore le fait que les coûts de R&D aient été comptabilisés dans le coût des modèles de véhicules hybrides existant – l’auteur du rapport a d’ailleurs admis que si l’on réalisait la même étude dans trois ans, les résultats seraient fondamentalement différents. Mais en réalité, « on ne peut pas relever toutes les fautes qui existent dans ce rapport, car on ne peut qu’émettre des hypothèses sur la manière dont elles ont été commises ». Corriger seulement quelques-unes de ces erreurs changerait ainsi totalement les résultats. En conclusion, le Dr. Gleick et le Pacific Institute émettent de sérieuses réserves sur l’indépendance et l’impratialité prétendues du CNW Marketing Research, Inc.

En réaction à la publication du rapport Dust to Dust, d’autres études ont été menées sur l’impact environnemental de certains véhicules. Heidi Hauenstein et Laura Schewel, du Rocky Institute, se sont intéressés spécifiquement au cas de la Toyota Prius et du Hummer H3 et ont comparé les conclusions du rapport  Dust to Dust avec le résultat de l’utilisation d’un modèle approuvé par la communauté scientifique, le modèle GREET, développé par Argonne National Laboratory (Consommation d’Energie, de Gaz à Effet de Serre et d’Emissions Régulées dans les Transports). Le résultat de leur étude est consultable à cette adresse. Les résultats de cette étude sont à l’opposé de ceux du CNW : le Hummer pollue plus que la Prius, et ce malgré les tentatives répétées des expérimentateurs d’utiliser des paramètres qui avantagent le Hummer. La seule réserve que l’on pourrait émettre concerne le coût de transport du véhicule jusqu’au revendeur, qui n’est pas pris en compte par le modèle GREET, mais cela n’a guère d’importance : c’était un point du rapport Dust to Dust qui était plutôt à l’avantage des voitures hybrides.

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